Correspondant de presse au siège des Nations Unies à New-York pendant quatre ans, Karim Lebhour, accompagné par Aude Massot, dresse un portrait, aussi drôle qu’édifiant, de l’enceinte suprême de la diplomatie mondiale.
Conseil de sécurité de l’ONU. Le ministre indien des Affaires Etrangères prononce un discours. Il faudra quelques minutes à l’auditoire, mi assoupi, mi occupé à autre chose, pour réaliser que le dirigeant est en train de lire le texte de son homologue portugais. De ces anecdotes cocasses sur le gratin politique international, l’ouvrage « Une saison à l’ONU. Au coeur de la diplomatie mondiale » de Karim Lebhour et Aude Massot en regorge. 208 pages à travers desquelles le lecteur est plongé dans une galaxie de 50.000 salariés. Un voyage initiatique au cœur du « machin », comme l’avait qualifié le général de Gaulle.
« Il y a déjà beaucoup d'ouvrages sur l'ONU, souvent un peu assommants. Je voulais quelque chose de léger, drôle, instructif. La BD est un format attractif et grand public qui permet de faire vivre le récit, en le personnalisant. J'ai plus appris sur la Corée du Nord en lisant Pyongyang de Guy Delisle que des dizaines d'articles », raconte Karim Lebhour, qui arpente de 2011 à 2015 les couloirs du siège new-yorkais de l’ONU, comme correspondant pour RFI. Dans l’aventure, il embarque Aude Massot, une illustratrice rencontrée par un ami commun. « Je n’étais pas du tout familière avec le monde de la diplomatie mais j’ai pour habitude de passer du temps à observer ce que je vais dessiner » précise-t-elle. « Ça a été une collaboration de longue haleine mais très enrichissante. On a construit l’histoire en échangeant sur le rythme et le ton de l’album ».
Chroniques d’une immersion dans la « tour de Babel »
Des larmes de Mohamed Shalgam, ambassadeur libyen à l’ONU, à la langue de bois des communiqués, en passant par le jour où il a dû s’incliner devant le portrait de Kim Jong-il devant des gardes nord coréens, Karim Lebhour nous téléporte dans son quotidien. Celui qu’a découvert avec émerveillement sa co-auteure. « La vision qui m'a frappée, c'est cette sorte de "fourmilière" dans laquelle on se retrouve, une fois entré dans ce grand bâtiment : une population très mêlée de professionnels, diplomates, journalistes, bureaucrates mais aussi de touristes. Je l’assimile à une grande tour de Babel », confie Aude Massot.
Les décors des scènes sont plantés avec détail et humour. Le lecteur déambule dans les étages, passe devant des moines tibétains en grève de la faim, découvre les cadeaux des différentes délégations qui meublent l’enceinte - dont une statue d’éléphant aux parties génitales tellement imposantes qu’elle a été planquée dans le jardin. Avec cette impression de revivre des évènements diplomatiques familiers : la décision d’intervenir en Libye, les vétos russe et chinois sur la Syrie…
« Travailler à l’ONU c’est comme marcher sur un champ de mines »
La phrase, lâchée dans le récit par le porte parole de Ban-Ki Moon, reflète les jeux de pouvoir et d’influence et le ménagement des souverainetés à l’œuvre dans l’organisme. « Mon passage à l'ONU a renforcé mon pragmatisme. Les relations internationales sont faites de rapports de force et les décisions se prennent en fonction du poids des Etats et des intérêts stratégiques. L'ONU ne fait que mettre en œuvre la volonté des Etats membres et d'abord des plus puissants d'entre eux », expose Karim.
« C’est facile de dire que l’ONU ne fait rien »
Sans minimiser les critiques faites à l’encontre des Nations-Unies, Karim pointe, sous les bulles, le rôle mineur concédé à l’organisme par les Etats. « L'organisation n'a jamais été conçue comme un gouvernement mondial. C'est un espace de dialogue pour tenter de résoudre les différends par la diplomatie et c'est devenu un mécano géant avec des dizaines d'agences et de programmes, bureaucratiques et pesants. C'est facile de dire que l'ONU ne fait rien. En Syrie, elle a envoyé des observateurs, a conclu des cessez-le-feu, a tenté de négocier un accord de paix... Des pays puissants et influents ont saboté tous ces efforts », déplore Karim.
« On peut critiquer beaucoup de choses, et à raison d'ailleurs, sur le fonctionnement actuel de l'ONU. Malgré tout, ça reste un lieu où des êtres humains de toutes nationalités se côtoient et peuvent échanger, et ça me paraît important », remarque Aude avec optimisme.
Une saison à l’ONU- Au cœur de la diplomatie mondiale
Editions Steinkis. En librairie le 3 octobre 2018
Auteurs : Karim Lebhour et Aude Massot.
Préface de Gérard Araud, ambassadeur de France aux Etats-Unis.
Format : 19 x 25 cm / Pagination : 208 / Prix : 20 euros