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Inégalités sociales, un défi majeur aux multiples visages

En Espagne, les inégalités sociales préoccupent une large majorité de la population. Malgré une reprise économique, elles demeurent un obstacle important à la cohésion sociale et au bien-être des citoyens en 2025.

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Towfiqu barbhuiya, Unsplash
Écrit par Lisa Taleb
Publié le 7 octobre 2025, mis à jour le 8 octobre 2025

L’Espagne se trouve à un tournant décisif dans sa lutte contre les inégalités sociales. En juin 2024, une enquête réalisée par le CIS révèle que 86,4% des citoyens sont très ou assez préoccupés par la persistance et l'aggravation des inégalités dans leur pays. Près de la moitié des personnes interrogées (47,9%) estiment que ces inégalités ont augmenté durant la dernière décennie. Par ailleurs, 58% craignent que les jeunes vivent une vie socialement plus difficile que celle de leurs parents.

 

Un contexte économique contrasté et un marché du travail fragile

Si l’économie espagnole affiche une croissance dynamique, le marché du travail demeure marqué par une forte précarité. Selon les données publiées en juillet 2025 par l’Institut National de la Statistique (INE), le taux de chômage est tombé à 10,29% au deuxième trimestre 2025, soit son niveau le plus bas depuis 2008. Il y avait à cette date environ 2,55 millions de demandeurs d’emploi, en baisse d’environ 236.000 par rapport au trimestre précédent. Cette réduction concerne tant les hommes que les femmes, avec un taux de chômage estimé à 9,20% chez les hommes et 11,50% chez les femmes.

Toutefois, malgré cette amélioration, le taux de chômage espagnol reste le plus élevé de l’Union européenne et de l’OCDE, où la moyenne est respectivement d'environ 6,2% et 4,9% fin 2025. La Banque d’Espagne prévoit que le chômage devrait terminer l'année autour de 10,5% et pourrait passer sous la barre symbolique des 10% en 2027 pour la première fois depuis 2007.

 

Le chômage des jeunes reste particulièrement préoccupant, s’établissant à un taux supérieur à 26%, creusant ainsi une fracture générationnelle majeure. Ce phénomène aggrave les inégalités, d’autant que les emplois stables, bien rémunérés et à temps plein sont encore cantonnés à une minorité de travailleurs.

 

Pauvreté, logement et exclusion sociale en Espagne

Le taux de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en Espagne s’élève à environ 26% de la population, soit près de 12 millions de personnes en 2024. Parmi elles, 4,3 millions vivent sous le seuil officiel de pauvreté, selon une étude récente de la Fondation Caritas Foessa. L’exclusion sociale touche particulièrement les zones rurales, où le taux est passé de 8,7% en 2018 à 11% en 2024, tandis que dans les zones urbaines la précarité frappe 54,6% des familles, notamment à cause de la flambée des prix du logement. 

Le marché du logement accentue les inégalités. En effet, un ménage sur quatre est confronté à des difficultés liées au coût du logement, que ce soit en location ou en achat. Lorsque l’on déduit les charges liées au logement, 14% de la population active se retrouve sous le seuil de pauvreté, un chiffre qui atteint 50% dans les grandes villes comme Madrid et Barcelone. Cette situation force de nombreux ménages à réduire leurs dépenses sur des besoins fondamentaux, alimentant un cercle vicieux de pauvreté. 

 

Une protection sociale insuffisante

L’Espagne demeure une exception en Europe par le faible niveau de ses dépenses sociales publiques, qui représentent environ 23% du PIB, contre une moyenne de près de 30% dans l’Union européenne. La majorité des aides socialisées concernent des prestations contributives, comme les pensions de retraite et les allocations chômage, profitant davantage aux classes moyennes et supérieures. Les plus vulnérables peinent à accéder à des aides efficientes, malgré la mise en place en 2020 de l’Ingreso Mínimo Vital (IMV), équivalent du RSA français, qui reste sous-utilisé en raison d’un taux de non-recours élevé.

Les familles avec enfants sont particulièrement touchées : les aides publiques directes pour les enfants représentent environ 2.290 euros par an, soit moitié moins que la moyenne européenne (4.670 euros). Cet écart contribue à maintenir un niveau élevé de pauvreté infantile, qui fait figure d’alerte sociale majeure. 

 

Inégalités territoriales et démographiques

L’Espagne est également marquée par de grandes disparités régionales. Madrid et la Catalogne, par exemple, concentrent une grande part de l’activité économique et des opportunités, mais aussi une forte pression sur le logement. À l’inverse, des régions comme l’Andalousie et l’Estrémadure affichent des taux de chômage supérieurs à la moyenne nationale, avec des difficultés accrues d’accès aux services publics. Le gouvernement reconnaît le rôle crucial de l’immigration dans le renouvellement démographique et la croissance économique, en particulier dans les zones urbaines dynamiques. En 2025, une campagne de régularisation ambitieuse a été lancée pour permettre à jusqu’à 300.000 migrants en situation irrégulière par an de se régulariser, favorisant ainsi leur insertion dans le marché du travail et leur accès aux droits sociaux. 

Le gouvernement socialiste poursuit ses efforts pour réduire les inégalités : augmentation du salaire minimum (+61% depuis 2018), amélioration de la progressivité fiscale et encouragement des politiques sociales inclusives figurent parmi les priorités politiques. Toutefois, le défi reste immense, porté par la persistance d’une segmentation forte du marché du travail et d’une pauvreté structurelle qui freinent la mobilité sociale.

La majorité des Espagnols (64,5%) se déclarent satisfaits de leur niveau de vie actuel, mais le sentiment d’insécurité sociale et économique reste élevé, notamment chez les jeunes qui se sentent moins confiants quant à leur avenir. Le fossé entre promesses économiques et réalité sociale met en lumière la nécessité d’une action publique renforcée et ciblée pour garantir une équité durable et renforcer la cohésion sociale. 

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