Édition internationale

Une douce imprégnation de la culture espagnole

Entre souvenirs d’enfance et vie madrilène, Maylis Dessaut raconte son lien intime avec l’Espagne. Des routes d’Aragon aux ruelles de Madrid, elle évoque cette « douce imprégnation » née des voyages familiaux, des lectures et des voix espagnoles qui ont accompagné son parcours jusqu’à devenir une part essentielle de sa vie.

Paysage bovin et montagneux dans la région d'AragonPaysage bovin et montagneux dans la région d'Aragon
@Juan Pablo Guzmán Fernández, Pexels
Écrit par Maylis Dessaut
Publié le 9 octobre 2025

Je me souviens de ces retours en voiture avec mes parents et mes sœurs, retraversant la frontière pyrénéenne par le tunnel de Bielsa-Aragnouet, boîtes de caramelos sur nos genoux, la revue HOLA entre les mains de ma mère et Isabel Pantoja, sur cassette, à fond dans la voiture. Tout ce que nous étions allés chercher en Aragon, jusqu’à Ainsa, comme chaque année.

Je me souviens de la montagne pelée d’un côté, de la montagne verte de l’autre, attendant toujours avec impatience le passage de l’un à l’autre. J’adorais et j’adore toujours ce contraste. 

De ces barrages qui avaient englouti des villages entiers, carcasses de murs, parfois le clocher de l’église émergeant. Ses vies déplacées. Je me baignai dans un de ces lacs de barrage, sachant ce qu’il avait coûté de chagrin, de maisons noyées. Je m’imaginai qu’un de mes pieds toucherait un toit, déplacerait une tuile, ferait s’envoler une âme. Il ne fit que frôler d’étranges branches mortes… 

Et puis, il y a ce merveilleux bocadillo con tomate, le meilleur de ma vie, parce qu’il est ce souvenir gustatif impérissable ; une saveur et une texture que je n’ai jamais retrouvées.

 

Une transmission maternelle, une passion devenue vie

Je tarde à l’avouer : ma mère était professeure d’espagnol. En aurait-il été autrement de mon engouement pour l’Espagne si elle ne l’avait pas été ? Et si je n’étais pas née et n’avais pas vécu à Bordeaux ? Si je n’avais pas feuilleté les revues HOLA que maman achetait régulièrement et où les propriétés, appartements et silhouettes sur la plage des personnes présentées sont tous « fenomenal, increible, espectacular… ». Si je n’avais pas été intriguée par les livres de la « collecion Austral » de ma mère ? Si mon père ne m’avait pas autant parlé de l’histoire de l’Espagne dont il est féru, en particulier de la Guerre civile ? Il m’en parle toujours d’ailleurs.

 

Une du magazine Hola
@Todocoleccion, DR.


Ma mère fit plusieurs séjours en Espagne. Elle passa une année à Madrid en 1965 étudiant l’espagnol dans une annexe du Lycée français alors situé calle Marqués de la Ensenada. Elle avait 19 ans. Elle séjourna chez une amie, Consuelo, dans les Asturies, fit d’autres séjours chez des religieuses, fit de l’auto-stop (« parce que c’était plus sûr à mon époque ou c’est que j’étais inconsciente »). 

J’ai vécu l’Espagne d’antan à travers ses anecdotes, comme elle vit un peu l’Espagne actuelle à travers mes immersions et incursions dans la vie madrilène, dans la culture espagnole, dans la connaissance – qui n’aura jamais de fin - de ce pays. Elle vérifie ce qui a changé, ce qui n’a pas changé. Ou à travers la télévision espagnole que mes parents regardent toujours. Ils m’informent parfois de choses dont je passe allègrement à côté. 

Je fis aussi des allers retours pour des séjours linguistiques : Logroño, Santiago de Compostela, Barcelona, Avila et une année Erasmus à Granada. Je ne cessai d’étudier l’espagnol tout au long de mes études. Don Quijote de La Mancha, Lazarillo de Tormes en espagnol. Et tant d’autres. Je choisis de réaliser un mémoire sur les relations entre l’UGT (Union General de los Trabajores) et le PSOE (Partido Socialista-Obrero Español) dans les années 80. Quelle drôle d’idée !


Madrid, l’apprentissage d’une seconde patrie

Je suis arrivée à Madrid en septembre 2020. J’ai préféré pendant mes premières années me plonger entièrement dans l’espagnol : tertulias, théâtre, cinéma, musique, sport, et tous les systèmes : de santé, de logement, bancaire. Pas de problème pour le tutoiement, los piropos (les compliments), pas de problème pour décaler les heures de repas, pour un pincho de tortilla con café con leche, pas de problème avec la chaleur de Madrid (non, c’est là une petite blague). Pas de problème pour dire que Almodovar n’est pas le seul réalisateur espagnol intéressant. 
 

Rues de Madrid
@Jorge Fernández Salas, Unsplash


Alors oui, il me manque des pans de culture espagnole, des références, je me sens encore larguée dans certaines conversations mais je ris à certains traits d’humour. Je connais quelques chansons cultes que l’on entonne en chœur (un Beso y una Flor, …) et quelques moments cultes de télévision (Francisco Umbral en 1992, …). Je sais reconnaître certains accents régionaux. Et mille autres petites choses.

C’est l’histoire d’une douce accoutumance. Une imprégnation recherchée, constituée en premier lieu de liens d’affection et de souvenirs d’enfance. J’aimerais me débarrasser de mon accent français mais cela ne fera pas de moi une Espagnole. Alors voilà, je suis cette Française éprise de la France et de l’Espagne, vivant à Madrid. 

 

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