Vendredi 2 février, au matin : le secrétariat de rédaction du site lepetitjournal.com apporte les dernières corrections à l'interview accordée à notre journal par Samantha Cazebonne, députée de la 5e circonscription.
L'objectif est de faire un bilan des actions menées par l'intéressée, au cours des premiers mois de son mandat, mais aussi de revenir sur les sujets chauds qui concernent les Français de l'étranger. C'est alors que la nouvelle tombe : le Conseil constitutionnel, par la décision n°2017-5052 AN, a annulé les élections législatives qui se sont déroulées dans la 5e circonscription des Français établis hors de France. En dépit de cette décision, nous avons fait le choix de publier l'interview, car elle reflète un parcours et des prises de position qui ont marqué le quotidien des Français de la circonscription au cours des derniers mois. Cette décision se justifie aussi parce qu'avant l'officialisation de la date du nouveau scrutin, qui devra se tenir sous trois mois désormais, cette interview permet, à notre sens, de divulguer un témoignage libre de la rhétorique propres aux campagnes électorales.
Lepetitjournal.com : Comment expliquez-vous la faible mobilisation des Français de l'étranger, et plus concrètement de la 5e circonscription, pour les Législatives du printemps dernier ? Comment y remédier ?
Samantha Cazebonne : La faible mobilisation que vous évoquez est relative, compte tenu des spécificités de l'implantation française à l'étranger, et s'explique à mon sens par le cumul de plusieurs facteurs : la distance moyenne des bureaux de vote, les moyens de vote à disposition des électeurs, la méconnaissance du rôle des députés des Français établis hors de France et le sentiment que les jeux étaient déjà faits.
Si la densité des bureaux de vote était aussi faible dans une circonscription en France, que les électeurs avaient à faire plusieurs dizaines de kilomètres pour voter, et parfois même une heure de queue pour accéder à l'isoloir, je doute sincèrement que le taux de participation y eût été bien supérieur. On observe d'ailleurs que c'est à Madrid où la présence française est la plus forte et où la communauté française est la plus concentrée qu'on a obtenu le meilleur taux de participation (22%), alors que ce taux était beaucoup plus faible dans les zones périphériques où l'implantation de nos concitoyens est plus éparpillée. J'observe également que certains bureaux de vote de banlieue parisienne ont connu des taux de participation similaires à ceux constatés à l'étranger.
La possibilité de voter électroniquement pour les Français établis hors de France permettrait sans aucun doute d'améliorer la participation de nos concitoyens
Je pense également que la possibilité de voter électroniquement pour les Français établis hors de France permettrait sans aucun doute d'améliorer la participation de nos concitoyens, d'autant que nous avons pu constater en 2017 des défaillances du vote par correspondance, peu connu, trop complexe à mettre en œuvre et quasi-impossible à déployer au second tour, compte-tenu des délais nécessaires.
J'ai également été frappée de constater que, malgré les efforts de communication produits par les consulats et les medias, beaucoup de nos concitoyens ignoraient tout simplement qu'ils pouvaient élire un député des Français établis hors de France.
Enfin, ne sous-estimons pas non plus l'important effet que peut avoir sur la participation l'organisation des Législatives dans la foulée des Présidentielles qui peut donner le sentiment aux électeurs, particulièrement ceux dont le candidat à la Présidentielle n'a pas été élu, que les jeux sont faits et que le fait d'aller voter pour élire son député n'est pas si important. Toute chose égale par ailleurs, les comportements électoraux ont grosso modo été les mêmes à l'étranger qu'en France, entre l'élection présidentielle et les Législatives.
Peu de gens connaissent le rôle de leurs élus à l’étranger
La représentation politique des Français de l'étranger est-elle appelée à évoluer ? Dans quel sens ?
Le candidat Macron et les candidats de La République En Marche (LaREM) se sont engagés à moderniser nos institutions et à évaluer le mode de représentation des Français établis hors de France mis en place en 2013. C'est dans cette perspective que j'ai sollicité l'avis des conseillers consulaires de ma circonscription qui semblent tous s'accorder au moins sur les éléments suivants : leurs prérogatives sont mal connues des postes diplomatiques et ne sont donc pas respectées et les moyens à leur disposition pour les mettre en œuvre sont dérisoires. La question de l'articulation entre conseillers consulaires sur le terrain et l'Assemblée des français de l'étranger (AFE) se pose également.
Peu de gens connaissent le rôle de leurs élus à l’étranger. Une consultation sur la réforme de la représentation des élus, sera organisée dans les prochains mois elle s’adressera également aux Français de l’étranger. Notre secrétaire d’Etat des FDE, Jean-Baptiste Lemoyne est déjà au travail sur ce sujet.
Je pense que mon investissement sur des sujets comme l'enseignement français à l'étranger, la qualité de l'alimentation et ses impacts écologiques, la condition animale ainsi que les questions de société, peut apporter une valeur ajoutée au travail de la majorité
Quel est le bilan de vos premiers mois de mandat en tant que députée ?
Comme tous les observateurs de la vie politique ont pu le constater, l'Assemblée nationale n'a jamais autant travaillé, et les nouveaux députés, quel que soit le groupe politique, issus de la société civile pour une majorité d'entre eux, sont entièrement dévoués à l'exercice de leur mandat. De ce point de vue, notamment, la fin du cumul des mandats pour les parlementaires est une excellente chose.
Mon bilan en tant que députée est donc d'abord celui de la majorité parlementaire à laquelle j'appartiens : une majorité réformatrice qui s'emploie à mettre en œuvre scrupuleusement le programme pour lequel elle a été élue. Et je pense que les Français non seulement s'en rendent compte mais le reconnaissent.
Ensuite, il va de soi qu'un député ne peut pas être spécialiste de tout et s'occuper de tous les sujets. Il convient alors de mettre l'accent sur les sujets pour lesquels mon parcours, mon expérience et mes sensibilités peuvent faire la différence par rapport à mes collègues. Je pense que mon investissement sur des sujets comme l'enseignement français à l'étranger, la qualité de l'alimentation et ses impacts écologiques, la condition animale ainsi que les questions de société, peut apporter une valeur ajoutée au travail de la majorité.
Le fait notamment que le Gouvernement, et plus spécifiquement les ministres de l'Europe et des Affaires étrangères et de l'Education nationale, m'aient confié une mission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger est révélatrice d'une méthode, du respect et de la reconnaissance du travail parlementaire que nous effectuons.
Je suis, par ailleurs, présidente du groupe d’amitié France-Portugal, membre de la section française de l’Assemblée parlementaire de la francophonie et vice-présidente du groupe d’étude parlementaire sur la condition animale.
Mon action législative propre est relativement limitée car j'ai fait le choix de siéger au sein de la Commission des Affaires étrangères qui n'est pas une commission productrice de lois
Quelles sont les priorités et les actions principales menées à destination exclusive de la circonscription ?
Je suis certes élue de la 5e circonscription des Français établis hors de France, mais néanmoins députée de la Nation et ai donc vocation de servir l'intérêt général. Tout ce que je fais pour la circonscription s'inscrit donc dans l'action collective que mènent les neuf députés des Français établis hors de France de la majorité, en phase avec l'action de la majorité parlementaire. De ce point de vue, les principaux sujets de préoccupation de nos concitoyens de la circonscription ne sont absolument pas différents des sujets de préoccupation de l'ensemble des Français établis hors de France : il s'agit très largement de l'accès à l'enseignement français, de la fiscalité et de la couverture sociale.
Le rôle d'un député est triple : voter le budget de l'Etat, participer à l'élaboration de la loi et contrôler l'action du Gouvernement.
Mon action législative propre est relativement limitée car j'ai fait le choix de siéger au sein de la Commission des Affaires étrangères qui n'est pas une commission productrice de lois mais qui est compétente pour les sujets relatifs aux Français de l'étranger (enseignement à l'étranger, conventions fiscales etc.) et m'a ainsi permis de siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Etranger (AEFE) et au sein de la Commission nationale des bourses (CNB) où j'entends singulièrement défendre les intérêts de nos concitoyens établis hors de France et interroger des modes de fonctionnement qui ne me semblent pas satisfaisants. C'est donc au sein de cette commission que je me sens la plus utile pour porter la voix de nos concitoyens de la circonscription. J'ai également été rapporteure du projet de loi de ratification de la nouvelle convention fiscale franco-portugaise ainsi que de la convention destinée à fournir un cadre juridique aux actions de coopération transfrontalière franco-andorrane en matière de police et de douanes.
Le contrôle de l'action du Gouvernement se fait notamment sous la forme des questions (écrites ou orales) auxquelles le Gouvernement est tenu de répondre dans un délai de trois mois. Je me suis notamment exprimé sur l'évolution des services consulaires et les gros problèmes rencontrés par nos concitoyens, notamment retraités, en matière d'assurance maladie ou de versement des pensions.
Je m’appuie également sur mon équipe de collaborateurs qui traite de nombreux mails par jour, qui est en contact direct avec nos différents interlocuteurs institutionnels et nos concitoyens de la circonscription, et qui me représente parfois lorsque mon agenda ne me permet pas de me déplacer.
L'avenir de l'enseignement français à l'étranger doit faire l’objet d’une réflexion collective
Quel est l'objectif de la mission parlementaire sur la réforme de l'enseignement français de l'étranger qui vous a été confiée ?
Je suis encore dans l'attente de la lettre de cadrage et ne suis donc pas en mesure de vous en donner le périmètre exact. Néanmoins, une chose est sûre, c'est que l'avenir de l'enseignement français à l'étranger doit faire l’objet d’une réflexion collective.
Instrument inégalé de notre rayonnement à l'étranger, pour lequel j'ai consacré une partie importante de ma vie professionnelle, ce modèle doit offrir une meilleure lisibilité ainsi qu’une stratégie d’avenir afin que parents, enseignants et élèves puissent faire le choix de notre réseau d’enseignement, en toute connaissance de cause.
La France a un intérêt majeur à défendre sa position stratégique dans le monde, notamment à travers son modèle éducatif et culturel, mais la France doit aussi l’adapter aux réalités actuelles de l’expatriation et aux enjeux de rayonnement et d’influence dans un monde qui a beaucoup évolué.
Nous devons partir d’un diagnostic partagé, établi à partir de consultations publiques des élèves, parents, personnels et élus, et des auditions réalisées auprès des instances dirigeantes de ce réseau
Par quoi passe selon vous l'avenir des établissements français à l'étranger ?
Je pourrai vous donner cette réponse une fois la mission terminée et le rapport rédigé, je veux entrer dans cette mission sans a priori, sans idées préconçues.
Je vous apporterai donc plutôt un éclairage sur la méthode et la forme, et moins sur le fond.
Nous devons partir d’un diagnostic partagé, établi à partir de consultations publiques des élèves, parents, personnels et élus, et des auditions réalisées auprès des instances dirigeantes de ce réseau. A partir de ce diagnostic et des objectifs de la lettre de cadrage nous proposerons des pistes pour maintenir l’attractivité du réseau tout en répondant aux demandes. Enfin il nous faudra proposer des pistes pouvant concilier contexte local, enjeu national et moyens car l’intention finale est bien de rendre réalisables ces propositions. Il est dans l’intérêt supérieur des familles que cette mission prépare l’avenir des élèves et qu’elle permette à la France de maintenir un outil d’influence et de rayonnement inégalé dans le monde.
Nous avons mis fin à un système clientéliste
Fin de la réserve parlementaire : qu'en est-il exactement et dans quelle mesure les associations locales seront affectées ?
Comme nous nous y étions engagés, nous avons mis fin à un système clientéliste (unique en Europe, d'ailleurs) dont l'opacité a entraîné des dérives connues. Néanmoins, si nous avons mis fin à un mécanisme pervers de distribution d'argent public, nous avons souhaité préserver la capacité pour les associations qui œuvrent dans l'intérêt général, en France comme à l'étranger, de bénéficier de subventions attribuées dans un cadre transparent et non partisan. Le budget 2018 a donc prévu, dans cette perspective, une enveloppe supplémentaire de 2 millions d'euros attribuée au ministère des Affaires étrangères.
Il revient donc désormais au ministère de mettre en œuvre, en concertation avec les parlementaires des Français établis hors de France et l'Assemblée des Français de l'étranger, le mécanisme qui permettra la redistribution de ces 2 millions d'euros aux associations qui en feront la demande et répondront à un certain nombre de critères objectifs.
Comme vous le savez, j'ai consulté dès le mois de septembre nos concitoyens de la circonscription à ce sujet, et plaide donc pour un mécanisme en trois étapes :
1) le dépôt de dossiers de candidatures sur une plateforme en ligne;
2) la sélection des dossiers par un jury de citoyens volontaires inscrits sur la liste électorale consulaire;
3) l'attribution des subventions par un conseil spécial de circonscription qui réunisse les conseillers consulaires, les consuls, un sénateur et le député de la circonscription.
Le mode de redistribution sera prochainement arrêté et tiendra compte des propositions faites par les députés, les élus de l’AFE et les sénateurs.
Il n'est pas possible de dispenser une partie de nos compatriotes du paiement d'un impôt sur des revenus français, au seul motif qu'ils seraient établis hors de France
Comment expliquez-vous le maintien de la CSG-CRDS pour les Français de l’étranger ?
Après l'arrêt dit "De Ruyter" qui a conduit la France à rembourser la CSG-CRDS acquittée entre 2012 et 2015 par les Français établis dans un Etat membre de l'Espace économique européen (EEE) ou en Suisse, notamment au motif qu'il s'agissait d'une cotisation sociale, la nature de la CSG-CRDS a été modifiée par les autorités françaises de façon à l'apparenter à un impôt (et non plus à une cotisation sociale), ce qui a reconduit à partir de 2016 les Français établis hors de France à devoir s'en acquitter sur les revenus du capital de source française. En vertu du principe d'égalité des Français devant l'impôt, il n'est donc pas possible de dispenser une partie de nos compatriotes du paiement d'un impôt sur des revenus français, au seul motif qu'ils seraient établis hors de France.
Les candidats de la majorité pour les Français établis hors de France nous étions donc engagés à demander une remise à plat de la fiscalité des Français de l'étranger, particulièrement complexe. C'est désormais chose faite avec la mission d'information qui vient d'être confiée à ma collègue Anne Genetet, députée de la 11e circonscription des Français établis hors de France. Nous attendrons donc ses conclusions avant de faire des propositions de réforme en la matière.
Je souhaite également attirer l'attention de vos lecteurs sur le fait que la Commission européenne est censée se pencher sur la requalification en impôt de la CSG-CRDS. Il n'est donc pas totalement exclu que le "feuilleton De Ruyter" se poursuive. Affaire à suivre...