Jeudi 26 novembre de façon virtuelle a été organisée la 17e cérémonie de remise du Prix Diálogo, qui chaque année récompense des institutions ou des personnes qui caractérisent l'amitié franco-espagnole.
Pour cette édition 2020, ce sont deux femmes scientifiques qui ont été mises à l'honneur : la mathématicienne espagnole, experte en glaciologie, exploratrice et aventurière María del Carmen Domínguez, et la physicienne et climatologue française, co-présidente du groupe 1 du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), Valérie Masson-Delmotte.
Elle se tient traditionnellement en juin, cette année la remise du Prix Diálogo aura été décalée à la fin novembre et aura donc dû se tenir de façon virtuelle. On rendra hommage aux organisateurs d'avoir étés en mesure de s'entourer, dans ces conditions exceptionnelles, de deux lauréates particulièrement inspirantes, mais aussi d'une modératrice -la biologiste Odile Rodriguez de la Fuente- de l'Ambassadeur de France en Espagne et de la quatrième Vice-présidente du gouvernement espagnol et ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera, qui auront su transmettre une sensation de "presque normalité", à cette cérémonie. À sa manière, la remise du Prix Diálogo a participé à briser les barrières que la distance sociale a dressées entre membres d'une même communauté.
C'est d'une autre lutte, celle contre le changement climatique, dont il a néanmoins été question au cours de la remise du Prix, qui aura en outre cette année le mérite de faire valoir une cause absolument essentielle, quelque peu éclipsée par l'urgence de la gestion de la pandémie de Covid. Au cours d'une session de questions - réponses d'une heure environ, les deux lauréates ont décrypté leur engagement pour la cause, tout en apportant des pistes de réflexion particulièrement pertinentes, à l'échelle technique comme philosophique. En fin de comptes, c'est un modèle de société que nous pourrions transmettre aux générations futures que María del Carmen Domínguez et Valérie Masson-Delmotte ont débattu, esquissant des solutions qui pour être réalistes et concrètes n'en restent pas moins révolutionnaires. "Ce n'est que par une révolution menvironnementale que nous pourrons sortir de cette situation", a ainsi exprimé la lauréate espagnole, qui a souligné l'importance d'un changement de priorités à l'échelle de l'ensemble des acteurs, notamment des entreprises. Soulevant le Prix qu'elle a reçu par courrier postal, María del Carmen Domínguez, cofondatrice d'une méthode unique de mesure du changement climatique dans le monde -le projet Glackma- a étouffé un sanglot tandis qu'elle indiquait que la reconnaissance de l'association d'amitié franco-espagnole lui arrivait "à un moment où les financements sont épuisés". Plus que jamais, le Prix Diálogo revêt cette année une dimension particulière, en mettant en relief le travail de chercheuses qui œuvrent pour le bien commun, mais dont l'activité dépend aussi des fonds attribués à la recherche.
Notre action est en train de stagner !
"Plus que jamais, le terme de dialogue est d'actualité", a pour sa part évoqué Valérie Masson-Delmotte, qui co-préside donc un groupe de réflexion intergouvernemental, dépendant de l’Organisation météorologique mondiale et du Programme des Nations unies pour l'environnement. "Le dialogue entre scientifiques et entre représentants des pays est fondamental", a-t-elle estimé, d'autant qu'en la matière de lutte contre le changement climatique les enjeux sont immenses et les tentations de déni ou de repli sur soi, fortes. Mais c'est aussi l'enjeu du dialogue intergénérationnel que la scientifique française a mis en valeur. "J'ai en permanence à l'esprit l'horizon 2050, quand mes enfants seront adultes, ou l'horizon 2100 -c'est demain- quand les effets du changement climatique seront inéluctables", a-t-elle déclaré. "De notre attachement aux conditions de vie des plus jeunes, dépend notre capacité à changer le monde qui sera le leur". Concrètement, de nos actions aujourd'hui, même des plus modestes, dépend notre capacité à changer le monde de demain. Un message qui, certes, nous a été répétés a saciété, mais qui dispose des moyens de nous parvenir, pour peu qu'ils soient développés. Des interventions de la physicienne, on retiendra ainsi les pistes évoquées pour "agir directement sur la cause du problème". "Il faut renforcer l'éducation et la formation", a-t-elle avancé au cours des débats, estimant aussi qu'il faut renforcer l'innovation technologique et sociale : "Il existe une forme d'innovation frugale qui en limitant la demande, en favorisant une consommation saine et intelligente, réduit son impact sur l'environnement", a-t-elle détaillé. Valérie Masson-Delmotte a en outre évoqué la possibilité de construire des groupes d'experts régionaux, et de s'appuyer sur leurs connaissances des acteurs de terrain pour atteindre un développement "résilient". Elle a surtout signifié l'importance de mettre en place une grille d'analyse des décisions prises à l'échelle mondiale, calquée sur les objectifs de développement durable définis par les Nations Unies, qui permettrait de mesurer de façon systèmatique la pertinence de chacune de ces décisions.
Nous devons nous efforcer à continuer à faire vivre l'esprit de Paris
Est-ce une coïncidence ? Le Prix Diálogo a cette année lieu à l'occasion du 5e anniversaire de la COP 21. L'Ambassadeur de France en Espagne, Jean-Michel Casa, a tenu à rappeler le rôle essentiel joué par la diplomatie française pour la signature des accors de Paris. Il a évoqué l'organisation de la COP 25 à Madrid, il y a désormais un an, et rendu hommage à la capacité de l'Espagne de reprendre au pied levé le flambeau, après le renoncement du Chili. "Nous devons nous efforcer à continuer à faire vivre l'esprit de Paris", a-t-il déclaré. D'autant que les Etats ont peu avancé depuis le dernier sommet. "2020 aurait dû lancer une nouvelle décennie d'action, nous en sommes loin", a regretté l'Ambassadeur. La France, organisatrice de l'initiative "Make Our Planet Great Again" et des rencontres anuelles "One Planet Summit" (le prochain ayant lieu le 21 janvier prochain), compte bien rappeler à la communauté internationale l'importance de tenir les engagements définis à Paris en 2015.
"Nous devons prendre garde à ce que les jeunes générations ne soient pas paralysées par l'ampleur du défi climatique" a estimé lors des débats Valérie Masson-Delmotte. "L'Histoire nous montre que ce sont toujours des groupes de gens qui prennent à bras le corps des problèmes et élaborent des solutions, pas des gouvernements". "Notre action est en train de stagner !" a quant à elle averti María del Carmen Domínguez. La prise de conscience est donc essentielle et le Prix Diálogo 2020 "souligne le rôle des chercheurs, mais aussi des femmes" dans cette lutte, comme n'a pas manqué de le souligner Teresa Ribera. "La société civile se doit de diffuser ces connaissances", a quant à lui défendu José Maria Segovia, Président de Diálogo.