Cédric Prieto, le Consul de France à Madrid, explique au site lepetitjournal.com en quoi l´état d’alarme a mobilisé le Consulat mais aussi l’Ambassade pour tous les Français en situation d’urgence. Il prépare aussi la sortie du confinement, après des centaines de rendez-vous annulés et une communauté française probablement très touchée.
Depuis le début de l’état d’alarme, le Consulat de France a reçu près de 30.000 appels, avec parfois plus de 6.000 appels par jour. "Nous avons traité 26.000 appels –raconte Cédric Prieto- les deux semaines qui ont suivi l’annonce de l’état d’alarme et la mise en place du confinement. Nous avons ouvert 4 lignes téléphoniques dédiées pour répondre à ce flux incessant. Une ligne demeure ouverte. Il faut à ce titre saluer le remarquable engagement des agents du Consulat et de l’Ambassade qui se sont prêtés à l’exercice, tous les jours week-end compris, de 9h à 22h. Les appels étaient liés aux cas particuliers de gens qui voulaient rentrer sans délai en France, demandant comment faire pour rentrer des Canaries, passer les frontières en véhicule, etc. Il y a parfois de l’irrationnel, de l’angoisse dans ces appels, mais aussi de vraies urgences médicales, des Français qui suivent des traitements et des retraités avec une santé précaire".
Les jeunes aussi ont été particulièrement touchés par cette situation inédite. Ainsi, de nombreux étudiants, dont les cours étaient interrompus et dont les résidences universitaires fermaient, ont décidé de quitter précipitamment l’Espagne. "Beaucoup d’Erasmus sont rentrés en France auprès de leur famille -explique le Consul de France à Madrid- mais de nombreux étudiants sont finalement restés, comme ceux qui ont des baux de location jusqu’à la fin de l’année universitaire. Le conseil que nous leur donnons, s’ils sont hébergés et en sécurité, c’est qu’ils restent confinés là où ils se trouvent et suivent scrupuleusement les recommandations des autorités espagnoles, pour ne pas s’exposer à un risque de contamination en se déplaçant".
1.600 touristes français coincés aux Canaries
Le cas particulier des Canaries mérite qu’on s’y arrête. Ainsi, avec l’état d’alarme, les fermetures d’hôtels et les annulations de vols, 1.600 touristes français se sont d’un seul coup retrouvés coincés sur ces îles d’ordinaire paradisiaques. Par chance, ce n’était pas encore les vacances scolaires françaises ou la Semaine sainte, sinon les chiffres auraient été bien supérieurs. "Nous avons organisé plusieurs vols avec Transavia, la filiale d’Air France -raconte Cédric Prieto- entre différentes îles et Paris pour permettre le retour des ressortissants. Un vol a également été commercialisé par le Corte Ingles pour faire rentrer des Français depuis Tenerife. Plus d’un millier de personnes sont déjà rentrées".
Pour les autres, la plupart ont utilisé des vols intérieurs via Madrid ou Barcelone. Il reste environ 300 personnes aux Canaries que le Consulat, et en particulier les consuls honoraires à Las Palmas et Tenerife, suivent de manière très individualisée. "Certains rentrent -signale Cédric Prieto- d’autres préfèrent rester pour l’instant. C’est vraiment du traitement au cas par cas. Il s’agit encore de Français de passage, et plus marginalement de résidents".
Cette situation d’urgence est d’autant plus complexe à gérer pour le Consulat que ses agents sont pratiquement tous confinés chez eux. "Sous la supervision du Numéro deux de l’Ambassade, qui coordonne remarquablement la gestion de crise, il a fallu mettre au point une organisation simplifiée -observe Cédric Prieto- puisqu’on est tous en télétravail, sauf moi-même et mes deux adjoints. Le Consulat reste ouvert, mais ne répond qu’aux urgences avérées. Les activités consulaires habituelles sont suspendues pour des raisons évidentes de confinement et restriction aux déplacements".
Quelque 1.200 Français encore en difficulté sur le territoire
La réponse téléphonique s’est considérablement ralentie depuis début avril. "Nos ressortissants en difficulté –signale le Consul- sont de moins en moins des Français de passage, même s’il en reste. Il peut s’agir de résidents en Espagne, comme par exemple des Français qui vivent en mobile home dans un camping en bord de mer, mais qui a dû fermer. Ils se retrouvent sans rien, sans famille en France, sans personne. Et ce sont souvent des retraités. Nous rappelons les quelque 1.200 Français encore en difficulté sur le territoire pour prendre de leurs nouvelles".
C’est compliqué aussi bien de rentrer en France que de venir en Espagne
Le Consulat émet actuellement de nombreuses attestations de circulation pour rentrer en France ou au contraire en Espagne, dans des cas d’urgence médicale ou d’impérieuse nécessité, qui requièrent la présence d’un parent. "On fait ces attestations -déclare Cédric Prieto- pour que la police laisse passer les véhicules. C’est compliqué aussi bien de rentrer en France que de venir en Espagne, en tout cas par la voie terrestre. Par avion, c’est plus simple en théorie, mais les vols sont très peu nombreux et chers, et peuvent être annulés au dernier moment".
Dans un futur proche, se pose la question des congés d’été pour les Français résidant en Espagne. Dans la nouvelle attestation du Ministère de l’intérieur, il n’y a pas de motif à donner. "Il y a d’abord beaucoup d’interrogations au sujet du déconfinement -prévient le Consul. Comment ça va se passer, on n’en sait encore rien. L’autre interrogation, c’est de remettre en marche le Consulat, qui sera resté à l’arrêt plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ce qui va être très compliqué, en particulier pour rattraper des centaines de rendez-vous annulés pour faire un passeport ou une carte d’identité par exemple, d’autant que justement la période avant l’été est normalement très chargée, car il y a aussi le Bac, les inscriptions universitaires, etc".
Remettre en marche le Consulat
Afin de rattraper le temps perdu et pour pouvoir accueillir le plus de monde possible, le Consulat étudie différentes formules, dont une ouverture éventuelle de nouveaux créneaux au public l’après-midi. Sans oublier bien sûr de suivre de près les recommandations de l’OMS et des autorités sanitaires espagnoles, avec très probablement le port du masque pour les agents et les usagers.
Préoccupations pour la communauté française résidente
Bientôt, le plus urgent ne viendra plus des quelques Français de passage, mais de la communauté résidente, avec la crise économique qui s’annonce. "C’est cela qui va nous occuper sur le long terme -prévoit Cédric Prieto- pendant les mois, voire les années à venir. Potentiellement très affectée, notre communauté française d’Espagne va avoir du mal à s’en remettre". Il y a non seulement la question des bourses scolaires mais aussi celle des allocations aux Français en difficulté, handicapés, ou indigents, versées par le secteur affaires sociales du Consulat : "On s’attend à une hausse substantielle des demandes en termes d’emploi et d’aides économiques. Un travail main dans la main avec tous les acteurs de la communauté, associations et notamment sociétés de bienfaisance ou chambres de commerce, mais aussi conseillers consulaires, établissements scolaires et bien entendu notre réseau de consuls honoraires, va être indispensable pour venir en aide à la communauté".
"En prenant du recul -observe Cédric Prieto- on réalise que ce genre de crise donne tout son sens à notre mission consulaire auprès des Français, celle de toute une équipe entièrement dévouée au service de nos ressortissants. Dans le feu de l’action c’est extrêmement concret. Il y a une dimension humaine, voire humaniste dans cette mission. Quelque chose qu’on ne perçoit pas toujours dans le travail quotidien du Consulat".