Elles ont quitté leur pays natal pour enseigner leur langue à l’étranger. Estefanía, Espagnole installée à Bordeaux, transmet l'espagnol avec passion. Anne, Française vivant à Alcàsser près de València, enseigne le français à des adolescents. Entre découverte culturelle, défis professionnels et enracinement personnel, ces deux parcours se répondent. Leurs témoignages révèlent les joies et les complexités d’une vie entre deux langues, deux patries – et d’une vocation partagée : faire aimer leur culture par l’apprentissage.


C’était un rêve : vivre au moins un an en Espagne. Depuis 1997, je n’ai plus quitté le pays. (Anne)
J’avais en tête l’image de Français froids, très organisés. En réalité, ils sont plutôt discrets au début, mais très chaleureux ensuite. (Estefanía)
Toutes deux ont quitté leur pays d’origine dans le cadre de leurs études. Ce qui ne devait être qu’un Erasmus d’un an s’est rapidement transformé en une nouvelle vie. Estefanía, 30 ans, originaire de Logroño – capitale de La Rioja, une communauté autonome espagnole – enseigne aujourd’hui l’espagnol à Bordeaux. Comme elle, Anne, 50 ans, originaire de Clermont-Ferrand, enseigne le français à l’IES d’Alcàsser, de la 5e jusqu’à la Terminale. Fières de leurs racines, elles ont choisi de les transmettre dans le pays qui les a séduites. Rencontre.
Une année Erasmus… devenue une nouvelle vie
Quelle raison vous a poussée à quitter votre pays d’origine ?
Estefanía : Je suis venue en France, à Limoges plus précisément, dans le cadre d’un programme Erasmus. C’est là que j’ai rencontré quelqu’un qui vivait dans la même résidence étudiante que moi, et tout s’est ensuite enchaîné naturellement. J’ai d’abord été assistante de langue, puis j’ai poursuivi un Master pour enseigner l’espagnol en France. Par la suite, j’ai déménagé à Bordeaux, où j’ai eu la chance de travailler à l’université Bordeaux Montaigne et à l’Institut Cervantes. Enfin, j’ai fondé ma propre école d’espagnol, EleQueOle, pour aider des étudiants à intégrer des universités espagnoles (en kinésithérapie, dentaire, vétérinaire ou médecine, par exemple).
Anne : J’ai depuis toujours une passion pour la langue et la culture espagnole. J’ai commencé l’espagnol en quatrième grâce à Monsieur Arnaud, mon professeur, qui m’a transmis cet intérêt. Après le lycée, je me suis orientée vers des études de droit, qui m’ont ensuite amenée jusqu’en Espagne, où j’ai effectué un Erasmus en quatrième année (la maîtrise à l’époque) à València. C’était un rêve : vivre au moins un an en Espagne. Depuis 1997, je n’ai plus quitté le pays.
L'Espagne, destination préférée des étudiants en Erasmus
Comment s’est passée votre intégration ?
Estefanía : Mon intégration s’est vraiment accélérée pendant mon Master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation), car des amitiés se sont tissées autour de cette passion commune pour l’enseignement de la langue espagnole. Ensuite, dans le milieu professionnel, j’ai aussi rencontré beaucoup de personnes, notamment à l’université et à l’Institut Cervantes. L’intégration n’a pas été difficile : je suis entourée d’hispanophones, mais aussi de Français très ouverts et bienveillants.
Anne : À mon arrivée à València, je voulais une immersion totale, c’est pourquoi j’ai choisi de faire une colocation avec deux jeunes Espagnols. Tout s’est très bien passé. Ce fut un choc culturel, mais c’était ce que je recherchais. Je voulais éviter de vivre avec d’autres étrangers, puisque je savais que j’en côtoierais à l’université dans le cadre de l’Erasmus.
France vs Espagne : le quotidien à l’épreuve de la comparaison
Dans l’enseignement, avez-vous ressenti des différences ?
Estefanía : Je n’ai jamais enseigné en Espagne, j’ai donc appris à enseigner ma langue maternelle en France. En tant qu’étudiante, j’avais déjà perçu certaines différences : les méthodes et les relations professeurs-élèves ne sont pas les mêmes. En France, j’ai dû adopter une approche plus formelle et hiérarchique, bien maîtriser la langue mais aussi les codes sociaux et professionnels. En Espagne, on est souvent plus tactiles et proches des élèves.
Anne : Être professeure de français dans la Communauté valencienne, c’est un vrai parcours du combattant. Ici, la LV2 est optionnelle, les élèves choisissent entre plusieurs matières, dont le français – contrairement à la France, où elle est obligatoire. De plus, les élèves me tutoient, ce qui n’est pas un manque de respect : c’est culturel.
Quelles différences majeures percevez-vous entre la France et l’Espagne au quotidien ?
Estefanía : En Espagne, les journées sont plus longues, les repas plus tardifs. En France, les horaires sont plus réguliers, avec des repas plus tôt. Cela m’a surprise au début, mais aujourd’hui je préfère ce rythme. En revanche, les élèves espagnols ont plus de temps libre le soir, ce qui manque un peu en France. L’importance de la famille est forte dans les deux pays, mais en Espagne, les liens sont particulièrement marqués. En France, on valorise davantage l’indépendance dès le plus jeune âge.
Anne : En l’espace d’une journée espagnole, j’ai l’impression d’en vivre deux françaises ! On se lève tôt, on dîne tard (vers 21h, voire plus tard), on a le temps de faire plein de choses. Mes élèves sont choqués quand je leur dis que beaucoup de collégiens français vont se coucher à 21h30. Ici, la qualité de vie est incroyable : il fait beau, on mange très bien. L’Espagne m’a changée : j’étais une personne assez pessimiste sans m’en rendre compte. J’ai appris ici à être optimiste et à vivre plus sereinement.
Qu’est-ce qui vous manque de votre pays d’origine ? Et qu’appréciez-vous le plus dans votre pays d’accueil ?
Estefanía : Ce qui me manque le plus, ce sont les moments de convivialité : les réunions de famille, les fêtes, les proches. Mais j’apprécie énormément la qualité de vie à Bordeaux, la richesse culturelle, la diversité. J’ai eu la chance de m’intégrer dans un milieu académique qui m’a accueillie et m’a permis de partager ma culture, tout en apprenant de celle des autres.
Anne : Ce qui me manque le plus, c’est la politesse. Des gestes simples comme remercier son professeur quand il distribue les cours. Et aussi la propreté : en sortie scolaire, je me transforme en « gendarme du papier » !
Derrière les stéréotypes, la réalité du métier d’enseignant
Votre expérience a-t-elle confirmé ou déconstruit certains stéréotypes ?
Estefanía : J’avais l’image des Français réservés, très organisés, un peu froids. En réalité, s’ils sont plus discrets au début, ils peuvent se révéler très chaleureux. Ce n’est pas de la froideur, mais une forme de respect. Quant à l’organisation, j’ai vu que les services publics pouvaient être tout aussi compliqués qu’ailleurs… La France n’est pas aussi carrée que je l’imaginais !
Anne : Certains stéréotypes se sont confirmés : les Espagnols font la fête, le football est une religion – il suffit de voir les infos : au moins 25 minutes y sont consacrées. Et oui, on mange très bien ici ! En revanche, dire que les Espagnols sont fainéants est totalement faux : je n’ai jamais autant travaillé qu’en Espagne. Et ils parlent fort ! Ma mère me dit que je crie quand je parle...
5 clichés français sur les Espagnols
Quelle phrase résume votre expérience ?
Estefanía : Une aventure d’apprentissage. J’ai réussi à combiner ma passion pour l’enseignement et mon épanouissement personnel dans un nouveau pays.
Anne : Le parcours d’une combattante épanouie. Un clin d’œil à mon quotidien, à mon engagement pour transmettre la langue française et à l’épanouissement que m’a apporté la vie en Espagne.
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