Portavoces ou portavozas ? C’est le débat linguistique de la semaine en Espagne. A l’origine, la porte-parole du groupe Unidos Podemos qui a féminisé le terme "porte-parole" au cours d’un discours devant le Congrès des députés. Retour sur les faits et les réactions.
Mardi dernier, lors d’un discours au Congrès, Irene Montero, la porte-parole du groupe de Gauche Unidos Podemos a utilisé lors d'un discours le terme "portavoza", un néologisme visant à féminiser le nom commun "portavoz" -porte-parole en espagnol. Petit problème, le mot n'est pas masculin, il est neutre, comme l'a d'ailleurs confirmé l'Académie espagnole, la RAE (Real academia española) dans un tweet. Quelques jours plus tard, d’un changement de terminaison, c’est devenu une véritable polémique, provoquant des réactions de tous bords.
Tweet de la RAE
Il suffit de consulter la Une de vendredi du quotidien conservateur ABC pour s'en convaincre : une bonne partie de la société espagnole a grincé des dents face à l'invention de madame Montero. "Dire 'portavozas' ne nous donne pas plus d'égalité, ni de liberté", "Appuyer le féminisme avec des initiatives grotesques ne nous aide pas", "Cette dame devrait retourner au Primaire pour apprendre à parler et écrire correctement", y déclarent notamment les femmes de lettre Julia Navarro, Carmen Posadas ou Milagros Del Corral, illustrant assez bien les postures critiques qu'a pu générer dans la société espagnole le mot de la porte-parole de Podemos.
Cette dame devrait retourner au Primaire pour apprendre à parler et écrire correctement
Face à la polémique, Irene Montero, qui est donc elle-même porte-parole du groupe Unidos Podemos au Congrès des députés, s’est défendue jeudi en revendiquant l’utilisation de ce terme comme un moyen de "donner plus de visibilité aux femmes dans leur lutte pour l’égalité des droits avec les hommes". En pleine effervescence féministe avec le mouvement "Metoo" et l’affaire Weinstein, le débat a rapidement pris de l’ampleur la semaine dernière, surtout dans un pays ou la loi sur l’égalité hommes femmes dans le monde du travail de 2007 n’est pas respectée et où la crise a creusé encore plus les écarts en la matière. Les réactions ont donc été nombreuses, que ce soit en faveur ou contre la féminisation du mot.
Couverture du quotidien ABC
Mais pourquoi un tel engouement ? On se rappelle de la polémique du langage inclusif en France qui avait fait tant parler. C’est plus ou moins la même chose, même si la féminisation de termes n’est pas une nouveauté dans la langue espagnole. Durant les dernières décennies, de nombreux mots se sont féminisés, comme "ministra", "arquitecta" ou encore "medica".
De fait, au-delà de la question grammaticale, c'est bien le débat sur l'égalité entre hommes et femmes (et les moyens pour y parvenir) qui a été ravivé. On peut dire qu'en la matière la porte-parole a plutôt réussi un joli coup. Irene Montero a ainsi reçu le soutien de la Secrétaire générale adjointe du PSOE, Adriana Lastra : "Moi j'appelle 'portavoza' ma porte-parole [Margarita Robles]" a-t-elle déclaré.
Nous disons que nous sommes ici dans ce pays, nous sommes des médecins, des infirmières, des ingénieures, des politiciennes, nous sommes beaucoup de choses et nous contribuons à construire ce pays
Les porte-paroles ont du prendre un malin plaisir à s'exprimer sur la question. Comme la porte-parole du PSOE à Madrid, Purificacion Causapié, qui dimanche lors d’un discours en hommage à Clara Campoamor, féministe espagnole connue pour sa lutte en faveur du droit des femmes, en a profité pour clarifier certains points : "Lorsque les gens disent 'portavozas' ou 'jovenas', ils veulent exprimer le fait que les femmes sont présentes dans la reconstruction du pays et qu’elles subissent en retour discrimination et harcèlement sexuel, […] Nous disons que nous sommes ici dans ce pays, nous sommes des médecins, des infirmières, des ingénieures, des politiciennes, nous sommes beaucoup de choses et nous contribuons à construire ce pays". Ou encore Angel Gabilondo, porte-parole du PSOE à l’assemblée de Madrid, qui a pour sa part nuancé en se disant favorable à l'évolution de l’usage de la langue, tout en estimant que cela doit être fait en accord avec la grammaire.
Le dernier mot à Mercedes Bengoechea, sociolinguiste et professeur de Philologie à l’université d'Alcala, qui estime que "si nous voulons l’inclusion absolue, nous devons nous attaquer au langage, […] le problème est que le genre masculin représente toute l’humanité entière (…) Tout cela n’est pas venu de nulle part".