La musique chantée en espagnol, un phénomène mondial qui explose

Mondialisation de la musique hispanophone

Rosalía, Shakira, Quevedo, C. Tangana, J Balvin ou encore Bad Bunny sont des stars mondiales qui se sont imposées comme un genre à part entière sur la scène internationale. Bad Bunny peut d'ailleurs se targuer d'être le premier Hispano à avoir eu sa couverture dans Time Magasine, de même que la chanteuse espagnole Rosalía avec le magazine Rolling Stone. Il y a quelques mois, un jeune espagnol, Iñigo Quintero, est devenu l'artiste le plus écouté au monde sur Spotify! Quant à Shakira, elle a battu le record de la chanson latine la plus vue de l'histoire de YouTube avec son "Shakira || BZRP Music Sessions #53". En seulement 24 heures, le morceau, dans lequel la chanteuse colombienne dénonce les infidélités du footballeur espagnol Gerald Piqué, avait atteint plus de 82 millions de vues. Le clip compte désormais plus de 642 millions de vues.

Luis Fonsi et son "Despacito"

L'expansion mondiale de la musique chantée en espagnol est cependant un phénomène récent qui a explosé ces dernières années. Il y a d'abord eu le reggaeton (on se souvient il y a 6 ans du tube de Luis Fonsi, Despacito), puis le trap et le rap, les mutations vers la pop électronique et, l'année dernière enfin, l'explosion inattendue de la musique régionale mexicaine.

On aurait pu penser qu'il s'agissait d'une mode passagère. Loin de là. L'année 2022 a été, selon Promusicae, l'association nationale des maisons de disques, l'année de la consolidation de la musique hispanophone dans le monde, avec plusieurs exemples qui ont placé de nombreux artistes latinos au sommet des palmarès mondiaux, amenant la langue espagnole aux quatre coins du monde. La musique chantée en espagnol est plus écoutée que jamais au niveau mondial et elle ne diminuera pas dans les années à venir, selon toutes les prévisions internationales.

La musique chantée en espagnol est plus écoutée que jamais au niveau mondial et elle ne diminuera pas dans les années à venir

600 millions d'Hispanophones dans le monde

De là à imaginer qu'elle pourrait finir par dépasser la musique en anglais, qui a dominé jusqu'ici les hit-parades? "Je ne sais pas si elle la dépassera -nous confie Antonio Guisasola, président de Promusicae, l'association nationale des maisons de disques-, mais elle sera certainement au niveau de la musique anglaise. Il y a près de 600 millions de personnes dans le monde qui parlent l'espagnol, mais au-delà de cela, la musique a un langage universel, et si elle parvient à se connecter aux goûts de la population, elle triomphe indépendamment de la langue. Il ne fait aucun doute que la musique en espagnol est à un moment de grande connexion avec les consommateurs de musique sur tous les marchés, ce qui nous place dans une très bonne position". Le marché de la musique chantée en Espagne a augmenté de 15% en 2023, selon les données de Promusicae.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que, pour la première fois dans l'histoire des Latin Grammys, leur célébration a lieu en dehors des États-Unis, et plus précisément à Séville. L'explication est claire pour Guisasola: "L'Espagne est, à l'évidence, un marché très important pour la musique latine et un lieu où tous les courants et styles musicaux se mélangent naturellement, car, en plus d'être un grand marché en soi où l'on consomme beaucoup de musique enregistrée et live, elle est la porte d'entrée de l'Europe".

La musique en espagnol a rapporté 2 milliards d'euros en 2022

En termes de chiffre d'affaires, la musique en espagnol s'élevait à environ 2 milliards d'euros en 2022: la moitié aux États-Unis et l'autre moitié dans le reste du monde. Il ne faut pas oublier que les États-Unis comptent plus de 60 millions de personnes d'origine hispanique. Sans parler de "l'Américain moyen" qui a vu Jennifer Lopez et Shakira à la mi-temps du Super Bowl! Ce marché d'un milliard d'euros a en plus augmenté de près de 25% en un an, selon les données de la RIAA, l'association de l'industrie du disque du pays.

Et les chanteurs espagnols dans tout ça? C'est là que le bât blesse quelque peu. Certes, la liste des albums les plus vendus de l'année en Espagne est toujours dominée par la musique chantée en espagnol. Mais il y a vingt ans, en 2003, 17 des 20 premières places étaient occupées par des artistes espagnols.  En 2013, il y en avait encore 13 sur 20 et en 2022, il n'y en avait plus que 6. Ils ont tout simplement été remplacés par des chanteurs latinos. Il faut l'admettre: Alors que l'Espagne était un exportateur de musique vers l'Amérique latine, elle est clairement devenue importateur.

Les chanteurs latinos surpassent les Espagnols

"Il y a quelques années, l'industrie musicale espagnole était en pleine croissance et expansion -se souvient le président de Promusicae-. Ces dernières années, le secteur de la musique latino-américaine s'est beaucoup développé et d'importants artistes latino-américains ou portoricains sont devenus des stars internationales, ouvrant la voie aux générations suivantes. Quoi qu'il en soit, l'Espagne continue d'être une référence en matière de musique et nous avons de grands artistes reconnus dans le monde entier, mais comme la musique s'est beaucoup mondialisée grâce au développement du streaming, la concurrence est plus forte et les plus grands succès du monde, dont beaucoup sont en espagnol, ont une plus grande pénétration dans notre pays que lorsqu'ils étaient en anglais".

En France, par exemple, tout ce qui "sonne" espagnol (ou latino) a beaucoup de succès. "Les chiffres d'exportation dont nous disposons concernent l'UE, qui est considérée comme un marché unique, mais nous savons avec certitude que la France représente une part importante du pourcentage des ventes de musique en espagnol dans l'Union européenne qui représentait 19,4% des exportations de musique en 2022".

Beaucoup d'aides en France

Et pour rester en France justement, selon la radiographie de la musique enregistrée en 2022 publiée par Promusicae, 77% des 200 albums les plus vendus en France l'ont été par des artistes français, ce qui contraste avec la situation en Espagne. "En France, il y a plus de soutien gouvernemental -se désole Antonio Guisasola, avec des quotas de musique française dans les médias, des incitations fiscales pour la production de musique française et une politique culturelle de l'État qui ne dépend pas de qui est au pouvoir. La France a toujours été un exemple de protection et de promotion de la créativité et un miroir dans lequel nous pouvons nous regarder. Dans notre cas, nous sommes très fiers de nos industries locales, mais nous sommes loin de les soutenir et de les soigner avec le même soin qu'en France. Espérons que nous parviendrons à conclure un pacte culturel comme celui de la France, qui aidera nos industries à décoller définitivement. Nous ne manquons pas de créativité... mais nous manquons de soutien".