

Le ministre espagnol Alberto Garzón a contrarié jusqu'à son Premier Ministre en présentant une vidéo qui met en garde contre une consommation excessive de viande. Ce clip sans nuance fâche aussi les éleveurs espagnols, qui se sentent désormais en ligne de mire.
El 14,5% de las emisiones de gases de efecto invernadero proviene de la ganadería, especialmente de las macrogranjas, mientras que para que tengamos 1 kilo de carne de vaca se requieren 15.000 litros de agua.
— Alberto Garzón? (@agarzon) July 7, 2021
De ello os hablo en este vídeo:#MenosCarneMásVida pic.twitter.com/wMDOd1GI8J
C'est une vidéo d'un peu plus de deux minutes qui a enflammé le débat politique en Espagne. L'objet de la controverse : une intervention du ministre de la Consommation Alberto Garzón, déconseillant à ses compatriotes de manger de la viande, ou en tout cas les incitant à en manger moins, pour des raisons de santé publique et de sauvegarde de l'environnement.
Le ministre n'a pas seulement provoqué un tollé dans l'opposition et auprès des organisations professionnelles concernées par l'élevage bovin, mais également au sein même du gouvernement. Dont le propre premier ministre Pedro Sanchez, qui a essayé de clore le débat et le bec à son ministre en répliquant : "Rien de meilleur qu'une côte de bœuf à point !" Une frivolité qui ferait presque oublier que tout ce beau monde a pour fonction de légiférer sur ces sujets, plutôt que de commenter ou communiquer par médias interposés. Sur le fond, Alberto Garzón rappelait simplement des recommandations de santé émises depuis longtemps par l'OMS, selon laquelle la viande rouge serait une cause probable de certains cancers. Consommer 100 grammes de viande rouge quotidiennement augmenterait ainsi le risque d'avoir un cancer colorectal de 29%.
Le problème se pose donc en Espagne, puisque la consommation de viande hebdomadaire dépasse ici un kilo par personne (contre les 500 grammes recommandés par l'OMS). Dans son clip vidéo, le ministre mêle par ailleurs des considérations environnementales aussitôt contestées par le syndicat espagnol interprofessionnel de la viande (Interovic).
Il faut dire que la filière carnée pèse lourd dans l'économie agricole espagnole, puisque le secteur génère quelque 2,5 millions d'emplois (directs et indirects) et assure bon an mal an 9 milliards d'euros en termes d'exportations. Une activité qui compte, par conséquent, dans le bilan de la balance commerciale.
9 élevages bovins sur 10 en Espagne sont des petites et moyennes exploitations
Il est vrai que dans la forme, le ministre espagnol de la consommation ne fait pas dans la finesse ! Comme en témoigne cette image où un pot d'échappement crachant une fumée grisâtre est accolé au cul d'une vache : une façon un peu grossière de souligner que les flatulences bovines seraient à l'origine de 14,5% des gaz à effet de serre dans le monde. Un chiffre réfuté par le syndicat interprofessionnel Interovic, qui prétend de son côté que l'élevage de viande est responsable uniquement de 5,8% de ces émissions (citant le chiffre du Climate Watch & World Resources Institute de l'université d'Oxford). Alberto Garzón mêle aussi les effets reconnus par les Nations-Unies de la déforestation (notamment en Amérique du Sud) et les besoins de consommation en eau prétendument exorbitants (15.000 litres d'eau nécessaires pour produire un kilo de viande). Mais évidemment sans nuance. Sans prendre en compte, par exemple, les travaux reconnus de Simon Fairlie, estimant que 90% des eaux utilisées proviennent des pluies... qui continueront de tomber. C'est également raisonner avec un marteau que de faire un lien direct entre la consommation de viande et les deux milliards de personnes en surpoids ou obèses dans le monde (l'un des principaux facteurs de co-morbidité du Covid-19).
Mais surtout, malgré une petite incise, le ministre fait semblant d'ignorer que neuf élevages bovins sur dix en Espagne sont des petites et moyennes exploitations, utilisant la plupart du temps, pour l'alimentation des bêtes, des céréales ou des féculents produits localement (et au demeurant impropres à la consommation humaine). Avec en plus, en fin de chaîne, des viandes parfois d'excellence (et la qualité de la production est un facteur essentiel pour les effets sur la santé). Peu de rapport par conséquent avec les élevages extensifs, véritables sources de pollution, mais quasiment inexistants en Espagne.
Pourtant, la polémique créée par la vidéo d'Alberto Garzón vient rappeler que les mises en garde du ministre font partie (depuis le mois de mai dernier) d'un agenda du gouvernement espagnol d'ici 2050 (en réalité : l'agenda dicté par la Communauté Européenne). Avec aussi peu de nuance dans l'analyse d'un ministre en activité, les éleveurs espagnols ont donc quelque souci à se faire. La santé et l'environnement aussi : car l'affaiblissement de ces petites et moyennes exploitations européennes renforce automatiquement les élevages extensifs, notamment sur le continent américain, de plus en plus ouverts au marché européen par les accords de libre échange.