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Corruption, disques durs et escorts : le PSOE au bord de la rupture

Le Parti socialiste espagnol (PSOE) est en pleine zone de turbulences. Une affaire de corruption aux allures de bombe à fragmentation menace de fissurer les fondations du pouvoir. Dans le viseur : des ex-hauts responsables du parti, accusés d’avoir monté un réseau de pots-de-vin, de manipulations de marchés publics et de soirées arrosées — avec prostituées, sur facture publique.

sanchez en train de faire un discours au congrès du psoesanchez en train de faire un discours au congrès du psoe
Photo : PSOE
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 22 juin 2025, mis à jour le 25 juin 2025

Argent public, sexe et pouvoir… le dossier explosif du “cas Koldo”

Trois noms reviennent comme un refrain dans l’affaire dite du “cas Koldo” (du nom de Koldo García) : José Luis Ábalos, ancien ministre des Transports ; son ex-conseiller Koldo García ; et Santos Cerdán, jusqu’à récemment numéro trois du PSOE. 

Aujourd’hui dans le viseur de la justice espagnole, ces hommes sont soupçonnés d’avoir formé, entre 2018 et 2021, un réseau de corruption sur fond d’adjudications publiques truquées. L’enquête de la Guardia Civil évoque plus de 620.000 euros de commissions occultes.

Mais ce qui fait exploser le dossier, bien au-delà de la délinquance en col blanc, ce sont les révélations sur l’usage privé et sexuel de fonds publics. L’enquête évoque l’organisation de soirées avec prostituées, présentées dans les messages comme des “cadeaux” offerts à des partenaires ou à des contractants.

Selon la Guardia Civil, ces échanges interceptés révèlent un système bien rodé. Entre 2020 et 2021, plusieurs appartements touristiques auraient été loués à Madrid pour accueillir ces rencontres. Une “équipe” de femmes, identifiées par leurs prénoms — Adriana, Tatyy, Alini — et qualifiées de “Brésiliennes” dans les conversations, aurait été mobilisée pour “recevoir” les invités dans un cadre pour le moins privé.

 

Lors de la perquisition menée au domicile de José Luis Ábalos à Valence, les agents de la Guardia Civil sont tombés sur une scène pour le moins embarrassante : une femme de 32 ans, Anaís D., présentée par l’ancien ministre comme une simple amie venue l’aider à faire le ménage et à sortir le chien, tentait de quitter les lieux avec un disque dur dissimulé dans son pantalon. Interceptée par une agente, elle a été contrainte de remettre l’objet, désormais entre les mains des enquêteurs. Connue dans la région de Valence comme modèle et ancienne actrice de films X sous le pseudonyme de Letizia Hilton, Anaís assure ne rien avoir à cacher et évoque une « amitié pure » avec Ábalos. Mais la tentative de dissimulation, aussi maladroite que suspecte, jette une ombre de plus sur une affaire déjà plombée par les non-dits.

 


 

Le PSOE face à ses contradictions

Le scandale provoque une onde de choc d’autant plus violente que le PSOE a fait du féminisme l’un de ses piliers idéologiques. Alors même qu’une loi visant à abolir la prostitution est en préparation, les révélations sur le comportement de certains cadres du parti exposent une hypocrisie insoutenable. La députée Pilar Bernabé a dénoncé des faits “répugnants”, et des militantes socialistes exigent que le code éthique du PSOE sanctionne explicitement le recours à la prostitution. 

Pedro Sánchez tente quant à lui de reprendre la main. Dans une lettre adressée aux Espagnols, le président du gouvernement a reconnu la gravité de l’affaire, ordonné un audit interne et annoncé une restructuration de la direction du parti. Mais il s’est refusé pour l’instant à envisager sa démission. 

Ce vendredi, la situation a encore empiré : la Guardia Civil a fait irruption au siège du PSOE, rue Ferraz à Madrid, pour saisir les courriels de Santos Cerdán. Dans le même temps, Pedro Sánchez recevait longuement Salvador Illa à La Moncloa. Officiellement, rien n’a filtré de cette rencontre. Mais la venue inattendue du président catalan, pressenti par certains comme successeur potentiel à la tête du PSOE, alimente les spéculations sur une possible relève en coulisses.

 

 

Coulisses d’un naufrage politique

En tout cas, l’affaire fait les choux gras de la droite espagnole. Le Parti populaire (PP) et Vox exigent des élections anticipées et accusent Pedro Sánchez d’avoir perdu toute légitimité. 

Dans le camp gouvernemental, les fissures s’élargissent. Le partenaire de coalition Sumar dit tout haut sa colère, tandis qu’ERC, Junts et Bildu prennent leurs distances, sans pour autant acter une rupture. 

Pendant ce temps, le trio formé par Ábalos, García et Cerdán implose en plein vol. Les trois hommes, convoqués devant la Cour suprême, s’accusent mutuellement d’avoir monté la machine à corruption. José Luis Ábalos, désormais isolé sur les bancs du groupe mixte, envisage de plaider partiellement coupable pour obtenir une réduction de peine — au prix d’un renvoi de responsabilités vers ses anciens compagnons de route.

Koldo García, de son côté, campe sur une ligne dure : pas question de négocier avec la justice. Mais ses propres enregistrements, conservés pendant des années, se retournent contre lui. Ce sont aujourd’hui les pièces maîtresses du dossier, révélant des échanges directs entre lui, Ábalos et Cerdán.

 

 

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La Moncloa sous pression, Sánchez sur un fil

La justice n’écarte plus l’hypothèse d’une incarcération des trois principaux protagonistes. Certaines entreprises, comme le géant Acciona, sont soupçonnées d’avoir profité d’adjudications truquées. Mais les enquêteurs peinent encore à reconstituer les circuits précis du système, ni à localiser les sommes évoquées dans les écoutes. Des pots-de-vin ont vraisemblablement circulé. Reste à établir qui en a profité, à quelle échelle, et jusqu’où remontent les responsabilités.

À La Moncloa, Pedro Sánchez temporise. Pris entre cette crise aux relents explosifs et un bras de fer diplomatique sur les dépenses militaires avec l’OTAN, il tente de garder le cap. Ses soutiens se font de plus en plus rares. Les partenaires de la majorité — ERC, Bildu, Sumar, Podemos — prennent leurs distances. Sans faire tomber le gouvernement, ils ne le protègent plus. La législature survit, faute d’alternative. Un équilibre très précaire… 

Le « cas Koldo » dépasse le cadre d’un scandale de corruption : il révèle une fracture morale au sein du PSOE, entre les valeurs brandies en façade et les compromissions en coulisses. Pour Sánchez, la vraie question n’est plus s’il restera. Mais jusqu’à quand.
 

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