Édition internationale

50 ans après la mort de Franco, l’Espagne face à un passé qui ne passe pas

Ce 20 novembre marque les cinquante ans de la mort de Francisco Franco, décédé en 1975 après trente-neuf années d’une dictature parmi les plus longues et les plus violentes d’Europe occidentale. Un demi-siècle plus tard, l’Espagne célèbre autant la fin d’un régime autoritaire que l’avènement des libertés qui ont suivi. Mais l’anniversaire révèle aussi une fracture persistante autour de la mémoire du franquisme.

Franco et Juan Carlos en 1969Franco et Juan Carlos en 1969
@Archief : Fotocollectie Anefo Reportage, CC0. / Franco et Juan Carlos en 1969
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 19 novembre 2025, mis à jour le 21 novembre 2025

Cinquante ans après, son fantôme plane encore sur la démocratie espagnole. Arrivé au pouvoir par un coup d’État contre la République et une guerre civile qui fit plus de 500.000 morts, Franco a laissé un pays exsangue, verrouillé par la répression, les exécutions, la censure, l’exil et l’effacement méthodique de toute dissidence politique, linguistique ou sexuelle. Après l’autarcie des « années de la faim », les années 1960 virent une modernisation économique portée par Washington et les technocrates de l’Opus Dei, jusqu’à ce que la crise pétrolière inaugure la lente agonie du régime.

La Transition, engagée à la mort du dictateur sous l’impulsion de Juan Carlos I et d’Adolfo Suárez, choisit la réforme plutôt que la rupture. Elle posa les fondations de la démocratie actuelle mais laissa debout plus d’un pilier du franquisme, permit le recyclage d’anciens dignitaires et ne jugea jamais les responsables de la répression. Pendant longtemps, l’Espagne a préféré « passer de puntillas » sur son propre passé — un pas chassé collectif qui laissa la poussière sous le tapis, en attendant d’y revenir.

 

Franco n’est pas mort sur TikTok

Aujourd’hui, cette mémoire longtemps éludée ressurgit avec force. Selon le CIS, 17 % des jeunes jugent la démocratie « pire » que la dictature. Dans un pays traversé par les batailles culturelles entre gauche, droite et extrême droite, une part non négligeable de la population continue même de voir dans le franquisme quelque chose de « positif ».

Pour tenter de reprendre la main, le gouvernement a débloqué près de 20 millions d’euros pour un programme de plus de 200 activités célébrant « 50 ans de liberté ». Les lois de mémoire, elles, cherchent à identifier les victimes, retirer les symboles franquistes et graver dans le marbre institutionnel le rejet de la dictature. Mais chaque initiative se heurte aussitôt aux critiques de l’opposition conservatrice, qui dénonce un usage politique du passé. Comme si la bataille autour de Franco n’avait jamais vraiment cessé.

 

Cinquante ans après, une démocratie face à ses fantômes

En parallèle, les partisans du dictateur maintiennent leurs propres rituels : la Fondation Francisco Franco organise encore une messe, tandis que Falange appelle à une marche à Madrid. Le débat s’est rallumé avec la parution des mémoires de Juan Carlos I, où l’ancien roi dit son « respect » pour Franco. Une phrase “gâchette” qui relance les polémiques autour de son rôle dans la Transition et brouille un récit déjà contesté.

Cinquante ans jour pour jour après la mort du Caudillo, l’Espagne continue donc de débattre non seulement de son passé, mais aussi de ce qu’elle veut transmettre aux générations futures. Car derrière les cérémonies officielles et les querelles politiques se pose une question essentielle : comment construire un consensus démocratique durable sans affronter, pleinement et sereinement, l’héritage d’une dictature qui n’a jamais totalement cessé d’habiter le présent ?

 

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