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Coronavirus : que faites-vous Monsieur Johnson ?

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Au hasard d'une rue… @Victor Forgacs - Unsplash
Écrit par Luther Beaumont
Publié le 17 mars 2020, mis à jour le 17 mars 2020

Essayons de comprendre les raisons qui ont permis d’établir la stratégie du Royaume-Uni face au virus Covid-19. Stratégie qui demeure radicalement différente de celles adoptées par les autres nations.

 

Avec un nombre de cas recensés dans le Royaume-Uni compris entre 5000 et 10 000, le gouvernement n’a pas prôné des mesures d’éloignement social telles que la fermeture des écoles ou l’annulation d’événements sportifs, mis à part le prochain Euro 2020 de football, mais c'est loin. En lieu et place, il a préconisé des comportements tels que se laver les mains, ne pas se toucher le visage, ne pas se serrer la main, rester à son domicile dans le cas où vous vous sentiriez malades, et s’auto-isoler si vous toussez continuellement.

Cette approche diffère donc radicalement des mesures de quarantaine prises en Chine, en Corée du Sud, en Italie ou en Iran. Mais cela place aussi le Royaume-Uni dans une approche bien différente de celles mises en place par des pays plus voisins tels que l’Irlande, la Norvège et le Danemark qui ont mis en œuvre la fermeture de leurs établissements scolaires malgré un nombre relativement faible de cas recensés. Patrick Vallance, le représentant du conseil scientifique pour le gouvernement britannique, a justifié ce point en soulignant que la non restriction des rassemblements permettrait de favoriser l’immunité collective. Déterminant même un nombre suffisant de personnes pouvant survivre à la pathologie du virus. Ainsi, le virus n’aura plus de nouveaux individus à contaminer, et s’arrêterait lui même.

Une approche trop audacieuse ?

Les autres pays européens semblent considérer cette approche comme trop audacieuse ou trop laxiste. L’immunité collective mise en lumière n’étant probablement que temporaire, le risque de nouveaux pics épidémiques n’est pas à exclure, compliquant par là la traçabilité des cas. Le gouvernement britannique est ainsi persuadé du bien-fondé de sa stratégie qui vise à responsabiliser les citoyens, plutôt que leur imposer des mesures radicales.

Cette prise de position corroborerait la théorie selon laquelle il ne serait pas encore temps de fermer les établissements scolaires ou d’interdire les grands rassemblements parce que la fatigue, la lassitude ou l’exaspération pourraient surgir. En ce sens, la population en arriverait à un « ras-le-bol » des interdictions, et commencerait donc à les contourner. Si l’efficacité de l’éloignement social et autres mesures idoines n’était que temporaire, ne serait-il pas alors préférable de les appliquer juste avant le pic de l’épidémie ?

La conférence de presse du gouvernement qui a eu lieu jeudi fut bien agencée. Boris Johnson était accompagné par ses deux principaux conseillers scientifiques, dans le but de montrer la foi en la science du gouvernement.

Des voix d’experts se font entendre

Mais la stratégie du Royaume-Uni demeure bel et bien une aberration pour des centaines de scientifiques qui ont récemment rédigé une lettre ouverte adressée au gouvernement Johnson. Si cette approche était la bonne, pourquoi une telle quantité d’autres pays préconiseraient-ils une interprétation si diamétralement opposée des retours scientifiques. Les prédictions liées à cette fatigue, lassitude ou exaspération devant toucher la population face aux interdictions paraît plus que contestable. Certes nous pourrions en arriver à être exaspérés par l’interdiction des rassemblements de masse (comme les concerts ou matchs de football) ou la fermeture des écoles. Cependant il ne nous serait pas possible de les contourner réellement pour autant, car rien ne pourrait avoir plus d’impact quant à la propagation du virus que l’impact lié aux mesures radicales prônées par les autres pays.

Le gouvernement britannique possède ses propres prédictions vis-à-vis du comportement humain. Ces dernières sont basées sur l’observation et l’analyse de nos comportements par le passé, une approche qui a souvent induit en erreur. Tirer par anticipation des conclusions pourrait donc s’avérer bien incertain.

Mais sur quelles analyses du comportement humain les scientifiques du gouvernement se sont-ils basés ? Et comment ces analyses seraient-elles comparables ? En quoi cette fatigue de la population serait-elle un obstacle aux mesures destinées à lutter contre le virus ? Cette fatigue ou exaspération de la population ne devrait-elle pas plutôt être à l’origine d’un véritable mouvement de citoyenneté, comparable à un effort de guerre ? Nous ne pouvons répondre à ces questions, parce que les scientifiques du gouvernement n’ont pas encore mis à disposition les éléments concrets sur lesquels ils ont pu se baser pour justifier d’une telle approche. La tactique du gouvernement consiste quoi qu’il en soit à avoir foi en ces experts et scientifiques spécialisés dans les comportements humains.

Les approches respectives du Royaume-Uni et des autres pays d’Europe demeurent donc radicalement opposées, et il faut admettre qu’elles ne peuvent s’avérer être bonnes toutes les deux. Les erreurs potentiellement commises au travers des deux approches vont de fait avoir des répercussions l’une sur l’autre.

Le territoire irlandais devrait nous livrer la vérité

Au nord de la frontière irlandaise, les écoles britanniques sont ouvertes et les citoyens ont pour seule recommandation de garder leur calme et de se laver les mains. Au sud, les écoles irlandaises sont fermées, et l’attitude laxiste du gouvernement britannique est considérée comme insuffisante. Il sera facile de constater dans quelques semaines, voire dans quelques mois, qui avait raison.

La campagne électorale pour quitter l’Union Européenne menée par Johnson nous avait imploré de faire abstraction des potentielles conséquences économiques mises en lumière par les experts dans le domaine. Ironie du sort, c’est désormais le contraire qui se produit, le gouvernement britannique nous implore d’écouter les experts qui dans ce cas sont des experts de la science du comportement. Nous serions à notre tour bien laxistes ou trop attentistes dans le fait de mettre en application sans sourciller les conseils de Johnson et de son équipe, sans que ces derniers n’aient été illustrés par des preuves tangibles ou des éléments concrets.

 

Luther Beaumont journaliste Londres
Publié le 17 mars 2020, mis à jour le 17 mars 2020