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JULIEN CALLÈDE / MADE.COM – "Démocratiser le design et encourager la créativité à un prix imbattable"

Écrit par Lepetitjournal Londres
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 février 2018

Made.com, c’est le site de déco et de design le plus « in » du moment. Un lieu interactif, convivial, où l’internaute est invité à voter en ligne pour le mobilier qu’il souhaiterait voir chez lui. La particularité est de proposer des meubles de haute qualité à des prix abordables. Comment ? En réduisant les intermédiaires. Face à face avec Julien Callède, co-fondateur et Directeur des Opérations de Made.com

 

Julien Callède a le sens du timing. Il doit s’envoler le lendemain pour Shanghai. Au programme : management de son équipe sur place et intégration d’un nouveau directeur pour son bureau de sourcing. Même pas 30 ans, et pourtant, ce stakhanoviste a la haute main sur tous les maillons de la chaîne. Après des expériences en achats, vente, finance, management puis private equity dans des groupes de toutes tailles, Julien Callède est convaincu d’une chose : il montera sa propre boîte. Il boucle d’ailleurs son parcours académique par une année de spécialisation entreprenariat à HEC Paris. Made.com est une longue histoire qui débute en septembre 2009. En janvier 2010, l’entreprise ouvre, et quelques mois après seulement, le 21 mars 2010, le site est lancé au Royaume Uni. Made.com naît de la collaboration avec deux autres opérationnels : Chloé Macintosh, co-fondatrice qui gère le produit et le design et Ning Li, co-fondateur et CEO. Les premiers échanges avec ce dernier ont lieu sur le campus de Jouy-en-Josas, où ils discutaient déjà de l’idée de lancer un business ensemble. Le projet se concrétise le jour où Ning Li est contacté par Brent Hoberman, fondateur de Lastminute.com et plus récemment de Mydeco.com. "C’était un business model que nous connaissions parfaitement, pour l’avoir longtemps réfléchi et déjà partiellement mis en place dans le passé. Brent était passionné par l’idée et voulait investir dans un projet retail web sur ce marché qu’il connaissait déjà bien. Il recherchait l’équipe idéale. Chloé travaillait déjà avec Brent. On a donc décidé de s’associer tous les trois en opérationnel, avec lui pour l’aspect non opérationnel. Made est lancé" se souvient le jeune entrepreneur. Et depuis l’aventure se poursuit.

Lepetitjournal.com - Comment qualifier Made.com en quelques mots ?

Julien Callède - C’est simple. Il est aujourd’hui extrêmement compliqué d’acheter du mobilier de qualité et original à un prix abordable : les acteurs du meuble haut de gamme proposent des prix prohibitifs, et les revendeurs "entrée de gamme" proposent une qualité moyenne et des produits d’une originalité assez limité. Made.com propose à ses clients des meubles qualitatifs, designés, et à un prix qui leur permet de l’acheter sans se ruiner. Comment ? En maitrisant toute la chaine de développement et de production et en travaillant avec des marges réduites.

Un de vos arguments de vente est de proposer des produits de qualité à prix cassés de 50 voire 70% par rapport aux grands magasins. Comment faites-vous ? Quel est votre business model ?

Il est vrai. Deux choses sont primordiales. Primo : proposer des produits design et originaux. C’est pourquoi nous mettons énormément l’accent sur la sélection de nos produits et nos collaborations avec des designers en interne ou en externe. Secundo : c’est un business de volume. Nous passons beaucoup de temps en interne à sélectionner des collections pour arriver à en lancer deux par semaine, qui selon nous marcherons bien. Il est important de sans cesse se remettre en question et uniquement proposer les collections qui nous tiennent à cœur ou que nos clients apprécient. Nous n’allons pas lancer une collection de 200 canapés. Nous allons choisir les meilleurs et en mettre seulement 30, 40 voire 50 sur le marché, ce qui fait déjà beaucoup. Nos clients sont d’ailleurs participatifs et nous guident beaucoup sur nos choix de produits. Connaître très tôt les intérêts de nos clients permet de mieux sélectionner nos produits, de maximiser les volumes d’achat à nos fournisseurs, de minimiser les pertes et donc de réduire nos prix de vente.

Ce business de volume vous permet donc d’acheter moins cher au fabricant ?

Grace à nos volumes, nous achetons en effet moins cher que tout acteur de taille moyenne. Cependant, comme nous prenons en charge toute la chaine de valeur depuis l’usine jusqu’au client final, sans intermédiaire, importateur, revendeur ou frais de stockage, nous avons surtout besoin de moins de marge qu’un acteur traditionnel pour fonctionner, ce qui se répercute directement sur nos prix de vente. Ceci serait impossible à mettre en place avec de faibles volumes d’achat ou de vente car les coûts fixes sont importants. Développer en propre des meubles de qualité et gérer un réseau de fabrication fiable demandent un investissement constant.

Comment cela se passe concrètement au niveau de la production ?

Les meubles sont aujourd’hui fabriqués à 80% en Asie et à 20% en Angleterre. Au bout de quelques jours, une voire deux semaines, selon le volume, je passe commande à mon usine qui va fabriquer mon meuble en moyenne en six semaines. Il faut en compter quatre supplémentaires pour qu’il arrive au Royaume Uni. Tout au long du processus, nous informons nos clients de l’avancement de leur commande. Nos apportons beaucoup d’attention à garder un contact direct avec eux et à toujours faire mieux que ce à quoi ils s’attendent.

Comment se porte le business deux ans et demi après le lancement de Made.com ?

Il marche bien. Certes nous avons eu besoin de fonds, de grossir vite, car notre spécificité est d’effectuer le travail de trois différents acteurs : la société qui conçoit les produits et travaille avec un réseau de fournisseurs spécifiques pour développer sa marque, l’importateur qui passe des commandes groupées à des fournisseurs spécifiques et gère la problématique logistique, et le site de e-commerce qui vend, livre et s’occupe de ses clients. Nous avons fait le choix d’être 100% en ligne, développons, achetons, vendons et livrons nos produits tout en gardant la main à 100% sur notre service client. Cela demande beaucoup de ressources. Le jour où nous avons lancé nous étions 8, aujourd’hui nous sommes 70.

Vous gagnez donc de l’argent aujourd’hui ?

Oui (sourire)… le pari de base a bien réussi au Royaume Uni, où les clients ont parfaitement compris notre concept. Un beau canapé signé par un jeune designer à £400 au lieu d’un modèle cheap et peu original à £1 000 ? Le volume est là et nous arrivons même à livrer 95% de nos clients plusieurs semaines en avance. L’originalité de nos produits fait beaucoup, et les quelques fois où un meuble similaire est vendu par un concurrent le différentiel de prix est tel que nous en sommes plutôt heureux : cela confirme notre excellent rapport qualité prix ! Certains acteurs avaient déjà tenté de se lancer ce type de business model, mais rarement avec la bonne qualité de service ou de produits.

Vous êtes présents sur internet, pensez-vous donc à répandre vos activités au delà du marché britannique ?

C’est la question que nous posent depuis deux ans tous les investisseurs que nous croisons. Nous avons levé des fonds à deux reprises, et la question revient toujours de savoir où l’on sera demain. Bâtir une chaîne logistique et un réseau de fournisseurs fiables et réactifs a été notre priorité sur les deux premières années. Sans oublier le développement de notre marque via un gros investissement dans notre catalogue et nos collaborations designers. Aujourd’hui, notre focus est sur l’amélioration constante de notre expérience client, et le développement de nouvelles gammes de produits meubles, luminaires, etc. Tant qu’une personne qui a envie de meubler son appartement au Royaume Uni ne peut pas trouver tout ce qu’elle souhaite chez nous, ça ne fait pas sens d’aller s’amuser à aller lancer le pays voisin trop vite.

Après ça, oui, c’est un business qui peut se répliquer facilement à l’étranger, si localement, tu as les bonnes personnes pour et que tu mets en place parfaitement ta chaine logistique. Nous avons pris notre temps car il est important de bien faire les choses et de ne pas mettre en risque un business entier en voulant aller trop vite. Mais, qui sait, cela arrivera peut-être plus rapidement que prévu, je serais vous je garderais les yeux ouverts sur les prochains mois.

Quelles sont vos motivations au quotidien ?

Paradoxalement, dans notre cas je dirais que c’est plutôt notre quotidien qui décide souvent de nos motivations. Quand tu as ta boîte, c’est ton projet, tes responsabilités avec les risques et les avantages que cela comporte. Tu apprends vite que l’essentiel, ce n’est pas de toujours prendre la parfaite décision, mais de la prendre vite. Et si tu te plantes, de savoir changer de direction rapidement. Les gens attendent que tu les guides, que tu réfléchisses bien et pour de bonnes raisons. La démarche intellectuelle est extrêmement stimulante.

Existent-ils de bons ou mauvais entrepreneurs ?

Question compliquée. Un tyran insupportable mais patron multimillionnaire est-il un meilleur ou moins bon entrepreneur qu’un super manager qui gère sa petite société et fait vivre 5 salariés ?

En d’autres termes, l’élément humain est-il déterminant pour faire grandir l’entreprise ?

L’élément humain n’est pas important. Il est clé. On m’a toujours dit « si tu montes ta boîte pour de mauvaises raisons, tu as 50% de risques de plus de te planter ». Certes, on monte rarement une société avec dans l’idée uniquement la perspective de faire vivre 70 salariés. On pense au challenge, à l’indépendance, à l’argent, on choisit de suivre une passion… Mais rapidement le quotidien et le management prennent de plus en plus de place, c’est justement le moment où il est important d’avoir des motivations saines, et sans les bonnes valeurs et de bonnes qualités humaines un entrepreneur ne saura pas guider l’entreprise dans la bonne direction. L’humain est important chez l’entrepreneur, car peu de sociétés se montent seul.

Encore faut-il trouver la ou les bonnes personnes, le bon projet et le bon timing…

A tel point que tu finis par croire que tu vas lancer ton projet seul. Néanmoins, quand tu as les bons associés, le plus dur est de recruter les bonnes personnes pour t’accompagner et manager tes équipes. Au début de Made.com, le plus gros challenge était de prouver que le projet tenait la route. Très rapidement, il a fallu mettre en place une organisation et un management pour que l’entreprise tourne avec ou sans nous, car personne n’est omniscient. D’après mon expérience, le plus compliqué est le recrutement de tes managers clés, et de trouver la personne qui colle avec l’entreprise, avec les employés, avec le timing de la société et avec toi même. Un manager qui sera parfait pour faire passer le business de 1 000 à 10 000 clients par mois ne sera pas forcément la bonne personne pour passer de 10 000 à 100 000. Je fais du management 80% de ma journée. Je me charge également encore de beaucoup d’opérationnel que je ne devrais pas toujours gérer, mais j’avoue avoir du mal à décrocher.

Un entrepreneur vit donc à un rythme effréné ?

Je n’ai pas pris de vacances pendant mes deux premières années, et ai enchainé les aller retours entre l’Asie et l’Europe tout en gérant l’opérationnel des deux côtés. J’ai cru que j’allais exploser (sourire). Néanmoins, j’ai pris conscience que prendre du recul, du temps pour soi est essentiel. Je m’accorde désormais des pauses, car si tu bosses sans cesse, tu ne bosses pas bien. C’est pourquoi savoir gérer tes priorités et apprendre à déléguer sont de vraies qualités à développer. Quiconque monte sa première société ne sait pas d’avance comment manager son équipe. Tu apprends sur le tas, tu gères tes propres difficultés et les surmontes. Tu apprends à te remettre en question.

En conclusion, cassons l’image parfois déshumanisée des chefs d’entreprise mus par l’argent ou le pouvoir. Qu’on se le dise : l’entrepreneur est un être comme un autre. Comme un autre avec ses passions, ses ambitions, ses décisions – bonnes ou mauvaises – face à des choix qui l’impactent non seulement lui, mais aussi ses proches et ses salariés.

Donia Hachem (www.lepetitjournal.com/londres) lundi 17 septembre 2012

Réalisé avec notre partenaire Frog Valley (www.frogvalley.net)

 

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Publié le 17 septembre 2012, mis à jour le 8 février 2018