Édition internationale

TRAVAILLER LE DIMANCHE ET LE SOIR - Une législation différente à chaque bout de l'Eurostar

Écrit par Lepetitjournal Londres
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 13 octobre 2013

 

Voilà désormais deux dimanches que plusieurs grands magasins défient ouvertement le gouvernement français. L'ouverture de leurs magasins, en dépit de l'interdiction judiciaire leur étant imposée, a engendré de vives réactions de la part du gouvernement, notamment le ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire et à la Consommation Benoit Hamon qui estime "inadmissible qu'une marque n'applique pas une décision de justice".

Sur le principe de la légalité, difficile en effet de contester que l'attitude de Castorama ou Leroy Merlin est sujette à critiques, mais cette question est en réalité passée au second plan. Le n?ud de la polémique réside ailleurs, dans un énième débat sur le travail dominical, engendrant par extension des interrogations sur le travail de nuit.

 Débat français et incompréhension anglaise
Si le débat est donc éminemment actuel dans l'hexagone, il apparaît néanmoins clairement arriéré aux observateurs de l'autre coté de la Manche. Quiconque connaît à la fois Londres et Paris ne peut manquer d'être frappé par la différence de législation sur les horaires de travail : alors que les grandes enseignes françaises sont majoritairement fermées après 21 heures en semaine, il est commun de pouvoir faire ses courses jusqu'à 23 heures ou minuit chez nos voisins anglais, et ce même en dehors de la capitale. Avec 20% des salariés effectuant des heures de nuit en 2009[1], le Royaume-Uni a en effet davantage recours à ces contrats spéciaux que la France qui compte la même année 15,2% de salariés de nuit, d'autant plus si on prend en compte le fait que ce travail de nuit y est majoritairement habituel (et non occasionnel comme en France).

Encore que le terme de "contrats spéciaux" soit déjà biaisé. Le code du travail français stipule clairement que le travail nocturne, à savoir entre 21 heures et 6 heures, doit être "exceptionnel" : il s'agit donc de l'autoriser uniquement en cas de nécessité pour assurer la continuité de l'activité économique ou des services publics. Chez nos voisins anglais, la définition même du travail de nuit est révélatrice puisque celui-ci ne commence qu'après 23 heures, et qu'il est nécessaire d'effectuer au moins trois heures de nuit pour être considéré comme "night worker". Coté salaire, à l'exception des contrats de travail le prévoyant, rien n'oblige légalement l'employeur à offrir une augmentation en contrepartie d'un travail effectué durant des horaires atypiques. La principale limite au travail de nuit concerne sa durée, la législation anglaise comme française stipulant qu'un travailleur de nuit ne peut effectuer plus de huit heures par période de vingt-quatre heures. Néanmoins, au niveau hebdomadaire, le Royaume-Uni est encore une fois plus libéral, autorisant jusqu'à 48 heures de travail de nuit contre 40 heures en France.

 De la même façon, le travail dominical y est plus répandu, notamment dans le secteur commercial : les horaires d'ouverture sont parfois plus restreints qu'en semaine, mais restent tout de même plus étendus qu'en France. La législation en ce domaine ne considère pas le travail dominical comme une exception à proprement parler, soumis à des dérogations ponctuelles ou permanentes comme c'est le cas dans l'hexagone : dans les textes anglais, si l'option du travail dominical a été prévue dans le contrat d'embauche ou par accord, c'est à l'employé de notifier avec trois mois d'avance à l'employeur son refus de travailler un dimanche précis... Et encore faut-il que ce refus soit accepté.

Par ailleurs, si le travail dominical en France doit être accompagné d'une hausse de salaire, conséquence de l'héritage chrétien élevant le dimanche au statut de "jour du repos", rien n'oblige un employeur anglais à offrir de quelconques bénéfices supplémentaires à ses travailleurs du dimanche. Si dans les faits la plupart acceptent de verser un supplément salarial ou une hausse des temps de repos, rien n'est garanti à moins que le contrat de travail ne le précise. La relative banalisation du dimanche depuis 1994 et le Sunday Trading Act a donc eu pour effet d'enterrer depuis longtemps le débat qui agite les partenaires sociaux et le gouvernement français à l'heure actuelle. Seuls certains chrétiens militent encore pour un dimanche non-travaillé, en dépit d'un jugement de décembre 2012 statuant qu'ils ne peuvent pas décliner le travail dominical, en tant que cela n'est pas contradictoire avec un élément fondamental de leur religion : un débat minoritaire donc, et bien éloigné des préoccupations sociales françaises...

Entre droits des travailleurs et développement commercial : quels bénéfices ?
La législation libérale anglaise est-elle pour autant plus efficace ? Rien de certain à en croire les différentes (et nombreuses!) études menées sur le sujet. Si l'impact économique positif est évident, en termes de clientèle et chiffre d'affaire supplémentaires, cette accumulation des heures travaillées (annuellement 1654 au Royaume-Uni contre 1479 en France) pourrait bien se répercuter sur l'efficacité des employés. D'après les statistiques de l'OCDE[2], la productivité mesurée en termes de PIB par heure travaillée est en effet largement inférieure au Royaume-Uni. Les avantages d'une extension des horaires de travail risquerait donc d'être contrebalancée au niveau économique par une baisse d'efficacité : l'usage massif du travail nocturne en particulier est souvent pointé du doigt comme affectant directement la productivité, en raison de son décalage avec le rythme biologique.

Entre la préservation des droits des travailleurs et le frein économique que constitue l'interdiction du travail dominical et de nuit, sans doute existe-t-il un équilibre que le gouvernement français devra s'efforcer de trouver, pour répondre à la fois aux inquiétudes syndicales et à la demande d'un assouplissement de la législation de la part des entreprises et de la population française. Un enjeu qui, s'il déchaîne actuellement les passions françaises, est perçu avec étonnement par les Britanniques.

 vidéo AFP d'illustration des questionnements syndicaux français et des horaires étendus au R-U.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




 

Morgane Heuclin-Reffait (www.lepetitjournal.com) 14 octobre 2013



[1]    Source : http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2011-009v2.pdf

[2]    Source : http://stats.oecd.org/?lang=fr&SubSessionId=87c87b9f-ddca-4e53-9f3d-ae0b40f94922&themetreeid=-200

 

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Publié le 14 octobre 2013, mis à jour le 13 octobre 2013
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