Shamima Begum est partie rejoindre l’Etat Islamique à 15 ans. Aujourd'hui, elle n’a plus la citoyenneté britannique et lutte toujours pour revenir plaider sa cause en Grande-Bretagne. Depuis plusieurs années, le gouvernement demeure hermétique à ses demandes à l’occasion d’un complexe combat judiciaire. Retour sur cette affaire sensible dont le débat vient d’être ranimé par une nouvelle intervention médiatique de la jeune femme.
Mercredi 15 septembre, l’affaire Shamima Begum se ravive : cette dernière a accordé une interview de plus de quinze minutes à l’émission Good Morning Britain, depuis le camp de réfugiés syrien où elle a trouvé accueil. De son départ médiatisé en Syrie à sa lutte acharnée pour revenir dans son pays natal et se confronter à la justice, plusieurs années rythment cette épineuse affaire.
Des rouages judiciaires complexes et une implication politique évidente rendent difficile la compréhension de l’histoire de Shamima Begum, cas d’école de la question du retour des extrémistes sur le territoire britannique. Retour chronologique sur cette affaire qui occupe les gros titres de la presse anglaise.
Une adolescente de 15 ans partie en Syrie pour rejoindre l’État Islamique
Shamima Begum est née en 1999 à Londres. Ses parents sont des immigrants bangladais, et elle grandit dans la capitale anglaise. A l’âge de 15 ans, elle part avec deux amies en Syrie pour rejoindre l’organisation terroriste Daech. Dix jours plus tard, elle épouse Yago Riedijk, bien que son mariage ne soit pas reconnu du fait de son âge. Des médias comme The Daily Telegraph ou The Independent reportent son implication dans les affaires de l’État Islamique : elle participerait à sa police de moralité et à l’embrigadement d’autres jeunes femmes. Elle aurait même été vue en train de coudre des bombes dans les vestes à explosifs pour qu’elles ne puissent pas être retirées sans que la détonation ait lieu. Des faits niés par l’intéressée à l’occasion de son interview à Good Morning Britain.
Plusieurs années de silence médiatique plus tard, la jeune femme refait surface le 13 février 2019. Elle est aperçue par un reporter dans un camp de réfugiés en Syrie, une rencontre qu’il qualifie comme étant le ‘scoop de la décennie’. Enceinte, elle confie vouloir retourner en Grande-Bretagne pour élever son enfant ; toutefois, elle précise ne pas regretter son départ initial. Plus tard, dans une interview avec la BBC, elle demande à être pardonnée, et affirme toujours être en accord avec « certaines valeurs britanniques ». Elle s’exprime même sur les attentats de Manchester, ce qui enflamme les médias : elle considère qu’ils seraient justifiés, qu’il s’agirait d’un « acte de vengeance ». C’est le début d’un combat judiciaire complexe l’opposant, encore aujourd’hui, au gouvernement britannique.
La question brûlante de la citoyenneté et du retour de Shamima Begum au Royaume-Uni
En février 2019, à la suite des propos de Shamima Begum dans les médias britanniques, le ministère de l’Intérieur réagit immédiatement. Sajid Javid demande de retirer la nationalité britannique à la jeune femme. Seulement, cette décision la rendrait apatride, ce qui est illégal. Toutefois, la démarche a pu aboutir malgré tout, dans la mesure où Shamima Begum est bangladaise par descendance. Le Bangladesh s’exprime sur le sujet en précisant que l’arrivée sur le territoire de la jeune femme se solderait par son exécution.
Mi-avril, la jeune femme s’oppose à cette déchéance de nationalité, aidée par le Legal Aid, demandant à pouvoir revenir sur le sol britannique pour plaider sa cause. Au mois de juillet, la Cour d’Appel décide que Shamima Begum peut en effet bénéficier de cette autorisation de rester au Royaume-Uni dans le cadre de l’affaire. Mais comment ? Le gouvernement a précisé avec fermeté qu’elle ne rentrerait sur le territoire sous aucun prétexte. L’affaire devient donc Begum v. Home Secretary et remontera jusqu’à la Cour Suprême britannique.
Débat : la décision contestée de la Cour Suprême
L’affaire Begum v. Home Secretary est entendue devant la justice les 23 et 24 novembre 2020. Le jugement de la Cour Suprême est révélé le 26 février 2021. L’unanimité se prononce en faveur du ministère de l’Intérieur. La Cour considère que l’organisation d’un procès égal et juste nécessite la présence de Shamima Begum en Grande-Bretagne, mais déclare que ce dernier n’aura pas lieu tant que son retour sera synonyme de danger pour la sécurité nationale. Le procès ne peut donc pas avoir lieu, la jeune femme voit son autorisation de séjour déclinée, elle demeure donc apatride. Devyani Prabhat, professeur de droit à l’université de Bristol, qualifie ce jugement comme étant « un exemple classique de déférence à l'égard des pouvoirs du ministre de l'intérieur en matière de sécurité nationale. […] Du point de vue des droits de l'homme, il s'agit d'une décision très décevante car elle semble offrir un pouvoir discrétionnaire total et absolu au ministère de l'intérieur. ».
Plusieurs débats animent l’affaire Shamima Begum. Une partie de l’opinion publique considère que cette décision empêche une femme d’exercer son droit à un procès juste, et la maintient dans une situation précaire. D’autres avancent que justice doit être faite selon le système pénal britannique, et que cette volonté de laisser Shamima Begum en Syrie revient à fermer les yeux sur la situation.
Le débat a été vivement relancé suite à l’interview donnée par la jeune femme à l’émission Good Morning Britain. Elle y explique considérer son départ en Syrie comme une grave erreur de jeunesse, son plus grand crime étant d’avoir été « bête » selon ses termes. En partant rejoindre L’État Islamique, elle pensait « faire la bonne chose en tant que musulmane » et déplore l’endoctrinement qu’elle a subi à 15 ans. Elle s’adresse également au Premier ministre Boris Johnson, en offrant son aide : son procès peut également permettre de faire avancer la problématique du terrorisme. Elle explique : « Vous êtes clairement en lutte contre l'extrémisme et le terrorisme dans le pays. Je veux y contribuer, en racontant ma propre expérience avec ces extrémistes, ce qu'ils disent et comment ils persuadent les gens de faire ce qu'ils font. » Le gouvernement a maintenu sa position, Sajid Javid confirmant qu’il s’en tenait à son choix fait en 2019.
Sur les réseaux sociaux, le débat fait rage. Certains prennent le parti de la jeune femme en considérant qu’à 15 ans, elle a pu être facilement influencée. D’autres prônent un procès en Grande-Bretagne, essentiel puisque concernant une femme originellement britannique. Une partie de l’opinion publique rejette, elle, radicalement son retour, considérant qu’elle mérite ce qu’elle vit à l’heure actuelle. La problématique du racisme est également évoquée, questionnant un éventuel traitement différencié du fait de l’ethnie de Shamima Begum. Aussi, certains dénoncent un changement radical dans l’apparence de la jeune femme, y voyant une forme de manipulation. Celle-ci s’en défend, avançant qu’elle aurait abandonné le port du voile un an avant l’interview.