

Lepetitjournal.com de Londres a rencontré un bus impérial anglais en Bourgogne. C'est là que l'engin de transport se refait une santé grâce à l'intervention d'un jeune passionné. À près de 50 ans, l'autobus nous raconte ses multiples aventures et comment il a atterri dans les verts pâturages français
Mon nom ou du moins mon identité est Leyland Titan PD/3. C'est en Angleterre, à Leicester que je vois le jour à la fin des années 1960. 46 printemps et des péripéties plus tard, me voici à présent au c?ur de la campagne bourguignonne. C'est au fin fond de la Nièvre que je me refais une santé. Il faut dire que ces dernières années ont été éprouvantes. J'ai failli y laisser ma carrosserie...
De car de ville à car de fête
Mes jeunes années furent parmi les plus belles de mon existence. Pendant près de 20 ans, j'ai été employé comme bus de ville à Leicester, mon chez moi. J'avais fière allure, tout de beige et de marron coloré. Les jours de grande affluence, il m'arrivait de transporter jusqu'à 74 personnes sur mes deux niveaux.
A la fin des années 1980, nouveau look et nouvelle vie : je deviens noir et blanc et suis vendu à un particulier. Pour des questions financières, celui-ci me cède peu de temps après à un passionné : un Français nommé Danny. C'est ainsi que je me retrouve au pays des grenouilles et des bus non impériaux, sans style et sans classe. Après m'avoir repeint en rouge et beige et effectué quelques réparations, mon propriétaire m'utilise pour amuser la galerie. D'engin de transport dévoué et reconnu d'utilité publique, me voilà bus festif. Pendant deux ans, ma vie ressemble à celle d'un troubadour?
Un pub en bleu
Changement de trajectoire en 1998 lors de ma vente à un tenancier. Plus question de prendre la route, terminée la vie de nomade ! Je n'ai plus rien sous le capot. Les kilomètres et l'asphalte ont eu raison de moi. J'atterris dans le Cantal et, à la vue du relief, aucun regret d'être devenu immobile !
Mon intérieur fut refait à neuf avec lambris et papier peint. Côté extérieur, après le beige et le noir, la couleur bleu m'apporta un coup de jeune. Je deviens alors l'annexe du pub de mon patron. Les clients aimaient rester au rez-de-chaussée entre copains pour commenter les derniers potins et les résultats sportifs. Les couples, eux, préféraient batifoler sur les banquettes du premier étage. Je peux vous assurer que j'en ai vu et entendu des choses?et pas toujours très catholiques?
La vue sur les champs cantalais ne manquait pas non plus d'attrait ! L'un des mes meilleurs souvenirs reste le passage du Tour de France. Que de monde amassé pour y assister. Je me souviens de ces gens applaudissant les cyclistes puis venant se désaltérer et m'admirer. Ce fut une glorieuse époque. Elle ne dura pas.
Abandon et renaissance
On me reprochait mon manque de rentabilité et je fus peu à peu délaissé. C'est avec le c?ur encore gros que je vous le raconte, mais j'ai même fini sans emploi, abandonné au beau milieu d'un champ. Moi, l'impérial bus de sa majesté ! Délaissé, rouillant et moisissant, attendant la décharge. Pour couronner le tout, une boite de nuit se situait à proximité de ma vieille carcasse. Pendant huit tristes années, je subis les assauts de hordes de gens ivres qui ne me laissaient aucun répit. Quinze vitres brisées, tableau de bord arraché, feux, phares et clignotant cassés, rétroviseurs arrachés : autant de tortures causées par la bêtise humaine. J'avais tout perdu de ma superbe d'antan. Plus de fierté, amour propre disparu, les intempéries ne m'ont jamais épargné. J'ai bien crû que le vent, le soleil et la pluie finiraient de m'achever.
Finalement, aidé par un coup de pouce du destin et une âme charitable, mon calvaire prit fin il y a quatre ans. Un beau matin, je crois que je m'en souviendrai toute ma vie, Joan, un jeune homme de 26 ans m'aperçut par la vitre de sa voiture. Coup de foudre ou coup de folie ? Quoi qu'il en soit, mon sauveur originaire de l'Aveyron me racheta et entreprit de me donner une nouvelle jeunesse, à Marzy, à quelques kilomètres de Nevers. Depuis 2008, il passe le plus clair de son temps à me « retaper ». Il faut dire qu'il y avait du boulot?J'étais une véritable épave quand on s'est rencontré. Je me demande encore ce qui lui a plu chez moi... Il a sans doute su voir sous ma carrosserie et a été touché par mon histoire.
Une énième nouvelle vie
Depuis peu, ma mécanique est complètement restaurée. Quelle émotion ce fut de rouler quelques mètres en février dernier ! J'en avais les larmes aux phares. C'est à présent au tour de ma carrosserie d'être refaite à neuf mais je sais à quel point cela peut être difficile pour mon propriétaire. Tout son temps et son argent me sont consacrés. Que de sacrifices ! J'espère un jour pouvoir lui rendre la pareille. Il a pour moi de grands projets : une complète restauration et peut être un aménagement. Et ce ne sont pas quelques obstacles qui nous empêcheront d'aller jusqu'au bout !
Mauvaise nouvelle dernièrement : nous allons devoir déménager. Les agriculteurs qui louent le champ où je vis vont le vendre. Mon bienfaiteur espère trouver un musée acceptant d'exposer mon châssis pendant quelques années avant de reprendre ma restauration. Quand donc reverrais-je ma campagne anglaise ? Comme Marcel Pagnol le dit si bien : "La vie, c'est comme un autobus; quand tu te retournes, tu t'aperçois qu'il y en a déjà beaucoup qui sont descendus".
Julie Philippe (www.lepetitjournal.com/londres) lundi 2 juillet 2012























