

Au printemps 2014, Isabelle Boulay sort un nouvel album en hommage au comédien et chanteur français décédé en 2004. En reprenant quelques unes de ses chansons, la chanteuse québécoise s'inscrit dans un registre nostalgique et mélancolique. Une ?uvre douce et émouvante dont elle nous parle.
Lepetitjournal.com : Pourquoi avez-vous eu ce désir de rendre hommage à Serge Reggiani ?
Isabelle Boulay : En fait c'est une chose que je n'avais pas préméditée, j'ai toujours interprété des chansons de Reggiani depuis la première fois que je les ai entendues. J'avais 16 ans. J'ai toujours beaucoup aimé l'humanité dans sa voix, je trouve qu'avec Edith Piaf, c'était l'un des plus grands interprètes. Ça a toujours été pour moi un modèle et c'est quelqu'un que j'écoute très souvent. Au printemps de l'année dernière, ses chansons me revenaient en tête tout le temps. Ce n'était jamais la même. Je me suis demandée comment cela se faisait. En fait, c'était comme si j'avais un esprit qui me hantait. Un bel esprit qui venait toujours me parler de Reggiani. Au mois d'avril, j'allais voir c?ur de Pirate en concert à Paris, puis à la fin du concert, des gens qui étaient dans le public sont venus me voir et m'ont dit "écoutez, on a tous vos albums, on est allé voir tous vos concerts et on attend qu'une chose : c'est que vous fassiez un album entier de chansons de Reggiani." Je me suis dit "c'est drôle parce que moi j'ai toujours ses chansons qui tournent dans ma tête". Une semaine plus tard une amie dont le fils va quitter la maison et faire sa vie me téléphone en larmes parce qu'elle a entendu une chanson à la radio et pense que c'est moi qui chantais, sans en être sûre. En effet, j'avais fait un enregistrement de Ma fille et elle se retrouvait dans cette chanson, elle retrouvait ce qu'elle vivait avec son fils. Puis après ça, quelques jours plus tard, je suis dans une librairie et un monsieur assez âgé m'interpelle et me dit "écoutez je vous ai entendue l'autre jour à la radio faire Le petit garçon de Serge Reggiani, ça vous va tellement bien, vous devriez en faire plus souvent des chansons de Reggiani". Là je me suis dit qu'il y avait quand même quelque chose de très fort qui me parlait. C'est comme ça que j'ai eu envie de le faire. J'étais en train de travailler sur un autre album mais j'ai dévié ma trajectoire pour faire ce disque là et pour rendre hommage à Serge Reggiani mais aussi au métier d'interprète. Parce qu'il est vrai que c'est un métier qui a tendance à se perdre et c'est le mien, j'aime en prendre soin (rires).
Vous avez eu la chance de chanter avec Serge Reggiani, que retenez-vous de cette rencontre ?
Je retiens beaucoup de choses de cette rencontre. Elle a été très vive, intense. Je l'ai rencontré un an et demi avant sa mort. Il m'avait reçu dans son appartement parisien avec sa femme, sa s?ur et son pianiste. On avait en fait tous les deux le même producteur de spectacle, Gilbert Coullier. C'est donc Gilbert qui m'avait proposé de rencontrer Serge. J'ai tout de suite accepté. On s'est rencontrés chez lui, puis on a discuté, lui m'a parlé de sa vie d'acteur. Il était souvent venu au Québec pour faire des films et il espérait revenir chanter chez nous. Après avoir discuté quelques temps, il m'a dit "et si on se mettait au travail". Alors là j'avais compris qu'il fallait que je m'exécute. Je me suis donc mise à chanter Ma fille puis il a chanté en même temps que moi et c'est comme ça qu'il m'a dit "bon et bien écoutez je vous attends demain soir, je vous donne rendez-vous au Palais des Congrès". C'est comme ça qu'on s'est retrouvés sur scène ensemble.
Pourquoi avoir choisi un registre nostalgique, mélancolique ? Les chansons sont très émouvantes et beaucoup parlent du temps qui passe, des générations qui cèdent la place aux suivantes. C'est un thème qui vous tient particulièrement à c?ur ?
J'ai toujours aimé la grande chanson réaliste, donc pour moi les thèmes sont des thèmes assez récurrents. Il y a effectivement la conscience du temps qui passe. Bon, moi je suis arrivée à peu près à la moitié de ma vie si tout se passe bien, je devrais avoir une autre moitié de vie intéressante (rires). Donc je pense que ce sont des chansons qui, oui, se tournent un peu vers le passé, mais je pense qu'il faut savoir d'où on vient, avoir assumé ce qu'on a vécu sur le plan émotif pour pouvoir aller de l'avant.
Serge Reggiani était un interprète plus qu'un chanteur. Vous en tant que chanteuse, apportez le chant à la chanson si je puis dire. Etait-ce votre volonté que d'apporter quelque chose de nouveau, de neuf à Serge Reggiani ?
En fait, je n'avais pas cette prétention là, mon seul souci c'était de respecter le classicisme des chansons. C'était vraiment ce qui m'importait le plus. C'est pour ça que j'ai travaillé avec Philippe B et Benjamin Biolay que je connais depuis une quinzaine d'années maintenant. Je savais qu'en travaillant avec ces deux réalisateurs, on allait respecter la forme classique des chansons mais qu'on allait aussi les emmener dans un univers plus contemporain. Mon souci était de me mettre au service de cette ?uvre et de faire ressentir à travers mon chant le respect et l'admiration que je porte à cet homme parce que je pense vraiment qu'avec Edith Piaf, ce sont les plus grands interprètes de la francophonie. C'est vrai que c'est un métier qui se fait un peu plus rare, il y a plus de chanteurs de variétés. Aujourd'hui pour moi, Julien Clerc est un grand interprète. Je pense que Serge Regiani était un grand acteur, il a commencé à chanter à l'âge de 42 ans et je pense que ça a vraiment contribué à nourrir son ?uvre, ça a magnifié son ?uvre. C'est sa vie d'acteur et sa dimension d'acteur qui ont donné une dimension exceptionnelle aux chansons.

Je chante depuis encore plus longtemps que ça (rires). Je chante depuis que j'ai 7 ans. Donc chanter pour moi ça a toujours été quelque chose de vital et c'est par le chant que je suis capable de prendre la fuite en fait. Ça m'amène dans une autre dimension que celle de la vie quotidienne mais en même temps j'aime beaucoup faire état de la vie quotidienne. C'est dans ma vie ce qui m'a apporté le plus de liberté et c'est surtout ce qui m'a aidé à tenir debout. C'est vital pour moi de chanter, je dirais que c'est ma passion, c'est mon métier, mais c'est aussi ma manière de remercier la vie. C'est exprimer ma gratitude. C'est être là pour les autres.
Avez-vous déjà des projets pour la suite ? Un passage à Londres ?
J'aimerais bien y aller mais bon là j'ai un planning assez chargé. L'album est sorti en mai, et je suis jury pour The Voice au Québec, je suis le coach féminin. Je reprends donc ça à la fin du mois d'octobre et je vais aller faire mes concerts en France, en Suisse et en Belgique au mois de décembre. Je vais revenir à Paris faire un spectacle supplémentaire au mois de mars et là je vais faire vraiment un piano-voix. Ça fait très longtemps que je n'ai pas fait ce type de concert. Je passerai peut-être par Londres !
Propos recueillis par Raphaël Suspène (www.lepetitjournal.com/londres) mercredi 17 septembre 2014
Isabelle Boulay Merci Serge Reggiani, à découvrir absolument !























