Il y a huit mois, l’association portugaise AAMA a lancé un projet pilote en partenariat avec un entrepreneur français, dans un de ses restaurants lisboète, pour promouvoir l’insertion des personnes atteintes d’autisme dans le monde du travail. Conversation, avec les intéressés, autour du projet "Mariana".
Comment tout a commencé
14h30, un vendredi du mois de juin, Lepetitjournal attend Raphaël Schneider, restaurateur français et mécène d’un projet lancé par l’AAMA - Associação de Actividade Motora Adaptada – une association portugaise qui vient en aide aux enfants et jeunes adultes handicapés ou aux besoins spéciaux, à des fins sportives, thérapeutiques, récréatives et éducatives. Installé depuis 8 ans au Portugal, Raphaël a découvert par hasard l’existence de camps d’été encadré par l’AAMA et a décidé de les contacter.
15h. Le voila enfin, le sourire aux lèvres, accompagné de Rita Costa (présidente et coordinatrice générale de l’AAMA), Joana Silva (coordinatrice de l’association et éducatrice), Rita Branco (éducatrice) et Mariana Cunha e Sá, qui s’assoie avec nous entre deux clients. Mariana a 19 ans, elle est atteinte d’autisme. Depuis 8 mois elle travaille dans le restaurant de Raphaël – Raffi’s Bagels – ouvert il y a quatre ans dans le quartier d’Estefânia.
Un projet collectif
"Raphaël a été un ange gardien pour nous et son restaurant le lieu parfait pour lancer ce projet" explique Rita Costa. L’idée est simple : aider Mariana à s’insérer dans un milieu professionnel. Rita Costa suit Mariana depuis qu’elle a deux ans et demi, avant même que l’AAMA soit créée. Elle lui a appris à nager quand elle avait 5 ans, "c’est presque comme ma fille" dit-elle. Les parents de la jeune fille lui ont fait confiance ainsi qu’aux autres éducateurs de l’AAMA pour se lancer dans l’aventure. Au début, Mariana ne venait au restaurant qu’une fois par semaine pendant une heure, mais ses progrès ont été tels qu’elle a désormais doublé son rythme. Pour Rita Costa, le chemin parcouru est immense. "Elle avait un autisme très sévère plus jeune, mais elle a eu la chance d’avoir des parents qui l’ont fait prendre en charge très tôt. Elle a fait des années de thérapie pour apprendre à parler, à lire et à écrire. Travailler au restaurant est une nouvelle étape pour elle."
Une "ombre" pour éclairer le chemin
Il y existe quelques programmes au Portugal pour l’insertion des personnes handicapées dans le monde du travail, mais aucun pour les personnes atteintes d’autisme. "Avec l’AAMA, nous essayons de nous frayer un chemin dans une jungle où personne n’est jamais passé avant nous" explique Rita Costa. Ce qui distingue l’AAMA des autres associations et ce qui fait la particularité du projet mené avec Mariana, c’est un travail constant en partenariat avec ce que Rita appelle des "ombres" : des éducateurs spécialisés qui épaulent les personnes handicapées sur leur lieu d’apprentissage. "L’ombre" de Mariana, c’est Rita Branco, qui l’accompagne dans toutes les étapes du projet, depuis son domicile jusqu’au restaurant. "J’ai beaucoup de travail en amont" explique t-elle. "Je vais d’abord la chercher chez elle, je l’aide à s’habiller, puis à se rendre au restaurant à l’aide d’une série d’image qui lui indique chaque étape de son chemin". Au restaurant c’est pareil, chaque tâche que Mariana doit effectuer a été précédemment décrite en image par Rita.
Les personnes atteintes d’autisme ont en général une mémoire très visuelle. Certaines choses qui semblent être un jeu d’enfant pour la plupart des gens ne le sont pas forcément pour Mariana, notamment en terme de communication et de socialisation. La plupart des gens atteint d’autisme n’ont pas le sens des normes sociales. Par exemple quand elle est arrivée, Mariana demandait souvent le numéro de téléphone des clients qu’elle servait. "Il a fallu lui apprendre toutes ces petites règles, de ce qui ce fait ou non en société, et ces règles n’étaient absolument pas évidentes pour elle" continue Rita Branco. Quand Mariana se retrouve dans une situation à laquelle elle n’a pas été préparée pour réagir, elle fait la sourde. C’est là que Rita intervient pour expliquer le projet aux clients un peu désarçonnés. "Maintenant elle sait qu’on ne dit pas "bon appétit" quand on apporte un café ou après le repas" sourit Raphaël. Pour lui, Mariana est simplement différente : "Ce qu’elle doit apprendre pour travailler ici, chacun de mes serveurs doit l’apprendre aussi. Les clients réagissent différemment face à chacun d’eux de toute façon. Mariana est extrêmement consciencieuse au travail et finalement elle est parfois plus qualifiée que les autres dans certaines situations car nous lui avons appris à réagir", affirme-t-il.
Changer les mentalités
Évidemment un projet tel que celui que porte l’AAMA main dans la main avec un entrepreneur comme Raphaël peut avoir un impact énorme au niveau social. "Les gens ne sont pas tellement en contact avec des personnes handicapés et de nombreuses idées toutes faites circulent encore à leur propos." explique Joana. "Les serveurs ici travaillent avec elle et cela a changé leurs visions des choses. Ils se rendent compte qu’une personne atteinte d’autisme peut apprendre, comprendre, et qu’elle est capable de faire les mêmes choses qu’eux." L’AAMA est déjà en train de développer deux nouveaux partenariats pour placer de nouveaux apprentis. Quant à Mariana, elle se sent très bien dans le restaurant de Raphaël : "J’aime servir les clients, compter l’argent et travailler avec mes collègues (elle les nomme tous et connaît leurs dates de naissance)". Elle aime aussi beaucoup son bagel de 16h quand son travail est terminé, regarder des dessins animés, nager le dos crawlé et jouer du piano. Mais surtout, Mariana est très fière d’elle : "Je suis une grande travailleuse" affirme-elle. "Pour nous de la voir ici c’est merveilleux, c’est une façon de montrer au monde que c’est possible." conclut Rita Costa les larmes aux yeux.
En savoir plus sur l’AAMA : http://associacaoama.org/
Mariana et les différentes étapes du projet