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Coronavirus : l’école tient-elle la distance ?

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Écrit par Lucie Etchebers-Sola
Publié le 16 avril 2020, mis à jour le 17 avril 2020


Face à la pandémie mondiale du Covid-19 et pour assurer la continuité pédagogique, le gouvernement portugais a mis en place l’école à distance. Un défi de taille pour les parents, les professeurs et bien sûr les élèves, qui sont confrontés à une situation sans précédent.
 
Le 16 mars dernier, António Costa a annoncé la fermeture des établissements scolaires du pays pour une durée indéterminée afin de lutter contre la propagation du Covid-19. Pour pallier à cette mesure, les élèves et professeurs se sont mis au diapason de l’enseignement à distance. Une tâche qui s’avère difficile, tant par le manque de moyens pratiques que par la nature même de ce type d’enseignement, un nouveau challenge pour les parents, les professeurs et les élèves.
 

L’enseignement primaire à la traîne

Le 7 avril, António Costa, a fait part de sa décision de maintenir l'enseignement à distance pour les élèves de l'enseignement primaire et une partie du secondaire jusqu’au 20 avril au moins.
Selon les résultats d'une enquête réalisée par le Centre d'études et de sondages d'opinion (Cesop) de l’Université Catholique Portugaise, 45% des élèves du primaire (6 à 10 ans) n’ont pas suivi ces cours à distance depuis le 16 mars dernier, date à laquelle les écoles et les universités ont fermé leurs portes au Portugal. Pour leur défense, rares sont les élèves de cet âge qui se sont retrouvés à devoir étudier tous seuls et chez eux auparavant. De même pour leurs parents qui sont parfois un peu dépassés par les évènements. « À la maison nous sommes quatre, ma femme et nos deux enfants de 6 et 8 ans qui suivent leurs cours à distance. C’est compliqué pour nous d’organiser nos quotidiens, de travailler, et d’encadrer les cours de nos enfants. Nous devons sans cesse vérifier leur emploi du temps, que tout fonctionne bien techniquement, et aussi de les garder concentrer… il y a leurs chambres à deux mètres, le chien qui veut jouer, la Playstation qui leur fait de l’œil… c’est tout une organisation et surtout c’est tout nouveau pour nous. D’habitude nous les laissons à l’école et nous ne les voyons plus de la journée ! » dit Miguel en souriant, salarié en télétravail et désormais « père à temps plein » selon ses mots.

L’étude de l’Université Catholique Portugaise montre aussi que se sont plutôt les parents d’élèves plus âgés qui s’étaient déjà confronté à la formation à distance : 78% des parents dont les enfants étaient en 2º cycle (CM2 et 6e) étaient familiers avec l’enseignement à distance, ainsi que 68% de ceux dont les enfants étaient en 3e cycle (les classes de 5e, 4e et 3e au collège) et 90% de ceux dont les enfants étaient à l’Université. Le président de l’Association Nationale des Directeurs des Groupes et des Ecoles publiques, Filinto Lima, rappelle un point important : les ressources numériques ne sont pas à la disposition de tous. De nombreuses familles ne disposent pas d’ordinateur à leur domicile par exemple. Des faits confirmés par l’Institut National des Statistiques qui a recensé plus de 50 000 élèves du Primaire sans accès à internet.
 

La technologie, pivot de l’enseignement à distance

Comment étudier à distance sans ordinateur ou sans internet ? Le recours à la formation à distance liée à la crise sanitaire pourrait amplifier les inégalités sociales, notamment au niveau de l’accès aux technologies. Si 100% des étudiants portugais à l’Université possèdent un ordinateur personnel, seulement 34% des élèves du Primaire en possèdent un, et seulement 19% possèdent un Smartphone doté d’internet selon l’étude menée par l’Université Catholique Portugaise. Les disparités face à l'accès aux équipements diffèrent selon l'âge, et ces écarts d’âge peuvent également expliquer la fluidité plus ou moins grande de la formation à distance dans les différents niveaux d'enseignement. De nombreuses familles possèdent un ordinateur à la maison, mais comment faire si plusieurs enfants en ont besoin en même temps ou si les parents doivent s’en servir pour le télétravail ? Pour répondre à ce problème, certaines municipalités ont décidé d’agir, c’est le cas de celle d'Oeiras – située à une vingtaine de kms de Lisbonne -  qui a distribué quelques 3500 équipements technologiques (ordinateurs et Smartphone) aux étudiants et aux enseignants dépourvus des moyens technologiques nécessaires pour assurer un enseignement à distance efficace et équitable. Outre internet, le Premier ministre a annoncé la diffusion télévisée de programmes au contenu pédagogique à partir du 20 avril via la chaîne gratuite RTP Memória disponible sur le câble et la TNT, disponible dans la grande majorité des foyers. Les contenus seront adaptés à chaque tranche d’âge et tout au long de la journée. La grille avec l´ensemble du programme pédagogique a dores et déjà été publiée.
 

Examens annulés et réouvertures incertaines

Beaucoup d’élèves se sont, sans doute, réjouis de l’annulation de nombreux examens en raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie. Les élèves de la 11e et 12e année passeront les examens (l’équivalent des bacheliers Français), mais le gouvernement a annulé les examens nationaux de la 9e année (classe de 3e), ainsi que les tests d'évaluation de la 2º et 5e année (CE1 et CM2). De nombreux professeurs devront s’en tenir au contrôle continu. « L'année universitaire n'est pas terminée », a toutefois averti le Premier ministre. D’une façon ou d’une autre « la dernière phase de l'année universitaire se déroulera intégralement et se terminera avec une évaluation » a-t-il précisé. Les lycéens de la 11e et 12e année sont aussi les seuls étudiants qui pourront éventuellement reprendre les cours en « face à face » en fonction de l’évolution de la pandémie au Portugal, même si de nombreux parents ne cachent pas leur inquiétude. « Mon fils et moi vivons avec ma mère de 85 ans. Evidemment, je souhaiterais qu’il reprenne les cours normalement, mais l’idée qu’il soit exposé toute la journée aux microbes et qu’il rentre ensuite à la maison auprès de ma mère ne me plaît pas beaucoup. Du moins pas pour l’instant. Je pense qu’en septembre les choses auront évolué et que nous y verrons un peu plus clair quant à la marche à suivre pour nos enfants. » explique Mafalda, parent d’élève.

Les universités et les écoles polytechniques portugaises étant quant à elles autonomes, elles sont libres de définir leur  stratégie pour le restant de l’année scolaire. Les universités de Minho, Évora ou Coimbra ainsi que plusieurs collèges de Lisbonne et Porto ont déjà averti qu'il n'y aurait plus de cours présentiel jusqu'à la fin du semestre et donc de l’année scolaire. Les autres établissements du pays maintiennent pour l’instant leurs cours à distance avec l'espoir de reprendre les cours en face-à-face avant la fin de l'année.
 

Les professeurs face au défi de l’enseignement à distance

Sophie Royer est professeure de français, elle enseigne au Centre de Langues de la Faculté des Lettres de Lisbonne. « De mon point de vu,  le bilan est assez positif étant donné les circonstances : les outils numériques fonctionnent et existent depuis longtemps (Skype, Zoom, Discord, Microsoft Teams etc.) et nous pouvons continuer à travailler correctement avec nos élèves. Mais l’enseignement en ligne est plus fatiguant et demande presque le double de travail en amont pour compenser le manque de langage corporel. C’est plus difficile de garder une dynamique à distance parce qu’il n’y a pas d’interaction comme dans une salle de cours. J’ai le sentiment qu’il faut être beaucoup plus carré et beaucoup plus clair. De même, tandis que l’apprenant est au centre de mes cours habituellement, c’est moi qui me retrouve derrière mon écran dans une position où je dois guider le cours du début à la fin. En temps normal, les élèves interagissent, je les envoie au tableau, ce genre de choses… en ce sens l’enseignement à distance nous impose, à nous les professeurs, de revenir à un schéma plus traditionnel d’apprentissage. Ce ne sont pas les conditions d’enseignements que je préfère mais nous vivons un moment surréaliste au niveau planétaire, nous devons absolument nous adapter. »
 

L’avenir incertain

De la même façon qu’il est impossible d’anticiper le dénouement de cette crise sanitaire mondiale, l’avenir de l’enseignement en général est difficile à prévoir. Face à l’incertitude de la situation et malgré toutes les complications qu’elle implique, le ministère de l'Éducation Nationale portugais doit relever un défi de taille – pas vraiment nouveau mais rendu difficile par les circonstances – qui est celui de la promotion de l’égalité des chances dans un contexte propice à l’accroissement des fractures sociales. Dans l’immédiat, des réponses urgentes doivent être apportées, comme la garantie de conditions justes et équitables pour tous les étudiants dans le cadre de l’enseignement à distance qui promet de durer, probablement jusqu'à la fin de l'année scolaire.

 

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