Etablissements fermés, continuité pédagogique, évènements annulés, difficultés financières... le directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), Olivier Brochet, revient dans une interview exclusive sur les défis relevés par les Lycées français du monde suite à la pandémie de Covid-19.
Cette crise s’inscrit clairement dans la durée
Quelle est la situation actuelle pour les établissements AEFE pendant cette crise sanitaire mondiale ?
Olivier Brochet - Actuellement, la quasi-totalité des 522 établissements d’enseignement français à l’étranger sont fermés. Cela concerne 365 000 élèves sur 375 000.
Le mouvement de fermeture en lien avec la crise sanitaire du COVID 19 a commencé fin janvier en Chine, puis s’est étendu au Vietnam et à la Mongolie. L’AEFE s’est immédiatement mobilisée pour accompagner les établissements qui fermaient, et d’autre part veiller, en lien avec les postes diplomatiques, à la sécurité des communautés scolaires dans les établissements qui fonctionnaient encore. Les décisions de fermeture se sont accélérées à partir de début mars. Elles ont été prises par les postes diplomatiques très rapidement, en lien avec l’AEFE, afin garantir la sécurité sanitaire des communautés scolaires, le plus souvent en application de décision de fermeture des établissements scolaires de toute nature prises par les autorités locales.
Ce que l’on peut dire actuellement c’est que cette crise s’inscrit clairement dans la durée. Nous n’avons nulle part d’indications sur des dates de réouverture mais nous travaillons à préparer la réouverture dès qu’elle sera possible.
Ces dernières semaines ont bouleversé nos vies, nos écoles, le réseau. J’ai une pensée pour tous les parents et les enseignants qui vivent confinés, dans des conditions parfois très difficiles, et qui doivent gérer leur travail en s’occupant des enfants. Et je pense bien entendu à nos élèves, éloignés de leur école et de leurs enseignants, qui doivent s’adapter à cette nouvelle situation. Je veux les assurer que l’AEFE est entièrement mobilisée pour apporter des solutions aux multiples problèmes qu’ils rencontrent.
La continuité pédagogique constitue un défi énorme
Comment sont coordonnés les différents efforts des 522 établissements du réseau AEFE ?
L’AEFE, avec ses inspecteurs pédagogiques en poste à l’agence, ses inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) en poste dans le réseau et ses enseignants-formateurs qui travaillent dans les établissements, vient en appui des équipes pédagogiques de tous les établissements d’enseignement français à l’étranger (qu’ils soient en gestion directe, conventionnés ou partenaires) pour soutenir le dispositif de continuité pédagogique. Il s’agit pour nous d’un devoir absolu envers les élèves mais aussi pour pouvoir garantir la pérennité des établissements et du réseau.
La continuité pédagogique constitue un défi énorme, en matière de travail, de gestion des équipes, de maîtrise des outils et de liens à réinventer avec les élèves et les familles. Un défi pour les enseignants comme pour les familles. Personne n’avait d’expérience majeure antérieure et l’enjeu est de s’assurer que les contenus et les attendus pédagogiques des programmes français soient bien préservés dans tous les établissements, par toutes les équipes.
Les équipes de direction et tous les enseignants, titulaires de l’Education nationale ou recrutés locaux, font un travail extraordinaire. Ils le font souvent dans des conditions difficiles pour eux-mêmes. Les ministres, MM. Le Drian, Blanquer et Lemoyne leur ont d’ailleurs adressé un message le 2 avril pour les féliciter et les remercier.
La réussite de ce dispositif, on la doit aussi à la mobilisation des comités de gestion, des associations de parents d’élèves, des parents et élèves élus, ainsi qu’aux fédérations de parents que je souhaite remercier très chaleureusement pour leur coopération.
Nous travaillons en permanence à améliorer l’offre, à résoudre les problèmes qui se posent
Comment est assurée la continuité pédagogique alors que de nombreux établissements sont fermés ?
Les établissements sont fermés physiquement mais ils sont bien vivants. Deux mois et demi après la mise en place de cette continuité pédagogique, ils fonctionnent à tous les niveaux d’enseignement.
L’école à la maison constitue un véritable défi pour les équipes pédagogiques et elles le relèvent dans un esprit de coopération éducative avec les familles. A cet égard, l’objectif des classes virtuelles est triple : enseigner selon les attendus des programmes, évaluer la progression des élèves mais aussi de garder un lien avec les élèves.
Les enseignants travaillent donc avec les outils de leur établissement mais aussi avec le soutien du CNED qui a rendu accessible dès le début février trois plateformes pédagogiques afin de faire bénéficier les élèves de primaire, du collège et du lycée d’une possibilité de travail en autonomie. La mobilisation de tous a permis en un temps record de faire travailler tous les élèves à distance en tenant compte des particularités de chaque foyer (accès aux outils numériques, plusieurs enfants dans le foyer, etc.) et des capacités des élèves à s’adapter à ce nouveau mode d’apprentissage.
Nous travaillons en permanence à améliorer l’offre, à résoudre les problèmes qui se posent. Il faut ainsi tenir compte des enfants issus de familles non francophones avec lesquelles nous devons communiquer dans la langue du pays pour les aider à accompagner leurs enfants. Nous avons aussi élaboré des éléments méthodologiques pour aider les enseignants à mieux accompagner les enfants à besoin éducatifs particuliers.
L’expérience, les réflexions, les conseils ont été recensés par les équipes du service pédagogique de l’AEFE dans un vadémécum qui a été mis à disposition de tous les chefs d’établissement début mars. Nous avons mis aussi en ligne des ressources pédagogiques pour les enseignants. Tout ceci est enrichi en permanence. Par exemple, récemment, sur la protection des données et des personnes compte tenu de l’usage important de nouveaux outils de communication très variés selon les pays.
Les classes virtuelles sont un très bon moyen de conserver le contact tout en apprenant
En cette période de distanciation sociale, comment est maintenu le lien entre les enseignants et les élèves ?
Il n’est pas simple effectivement de garder le lien entre tous les membres de la communauté éducative, équipe de direction, équipe pédagogique, parents, élève. Les classes virtuelles sont un très bon moyen de conserver le contact tout en apprenant. Nous encourageons les enseignants à les utiliser, y compris pour renforcer le lien social. Ainsi, en élémentaire, certains enseignants ont mis en place des temps de récréation en coupant leur micro et en laissant les élèves échanger entre eux afin qu’ils gardent ce lien social indispensable. D’une façon générale, les enseignants ont été très créatifs pour trouver toutes sortes de ressources permettant les apprentissages à la maison. Je vous invite à aller sur le site de l’AEFE sur lequel vous retrouverez beaucoup d’exemples de continuité pédagogique originale et créative.
Les chefs d’établissement ont également mis en place une communication renforcée afin d’expliquer en français et dans la langue du pays hôte les attendus de cette continuité pédagogique. Nous leur avons aussi demandé de renforcer les échanges avec les représentants des familles et des élèves pour bien prendre en compte leurs attentes et les difficultés qu’elles rencontrent afin de rechercher toutes les améliorations possibles. Ceci permet ensuite aux équipes pédagogiques de voir comment mieux y répondre.
Nous avons très rapidement pris la décision d’annuler tous nouveaux événements qui prévoyaient des déplacements d’élèves
Comment s'est passée la prise en charge des élèves actuellement en échange dans un autre établissement ?
Tous les échanges du dispositif ADN-AEFE ont dû être annulés début mars. Certains avaient été lancés cependant avant la propagation de l’épidémie. Pour les élèves concernés, lorsque les deux familles en étaient d’accord, l’échange a pu se poursuivre. L’annulation des échanges est d’autant plus regrettable que le dispositif avait rencontré un immense succès, avec plus de 1000 échanges initialement prévus contre 500 l’an passé.
D’une façon générale, nous avons très rapidement pris la décision d’annuler tous nouveaux événements qui prévoyaient des déplacements d’élèves. C’était là aussi une décision difficile mais incontournable, que ce soit pour l’Orchestre des lycées français du monde qui devait jouer à Radio France le 25 avril, pour les « Ambassadeurs en herbe » qui devaient se retrouver au Sénat en mai ou pour les jeux internationaux de la jeunesse qui auraient dû être organisés à Chicago en juin.
Nous avons deux objectifs prioritaires : garantir la pérennité de tous les établissements et accompagner les familles
Cette situation a fragilisé économiquement certains établissements mais également des familles, quelles mesures ont été prises pour les soutenir ?
Le Ministre, M. Le Drian, est pleinement conscient de l’enjeu et il a demandé à ses services de travailler avec l’Agence et toutes les partenaires de l’EFE à la construction d’une réponse forte et coordonnée. Le secrétaire d’Etat, JB Lemoyne, s’est d’ailleurs adressé en ce sens à la communauté scolaire par un message vidéo publié le 9 avril.
Dans cette crise, nous avons deux objectifs prioritaires : garantir la pérennité de tous les établissements et accompagner les familles qui rencontrent des difficultés pour garantir la scolarité de leurs enfants.