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Paul Milcent : "la France et le Portugal peuvent être des locomotives"

Paul Milcent, BNP Paribas Personal Finance PortugalPaul Milcent, BNP Paribas Personal Finance Portugal
©BNP Paribas Personal Finance Portugal
Écrit par Marie Sobral
Publié le 20 juillet 2021, mis à jour le 9 septembre 2021

Les effets du changement climatique et la pandémie ont fait prendre conscience à une partie encore plus importante de la population de combien il est essentiel d´évoluer vers un monde plus durable. En mai dernier les Conseillers du Commerce Extérieur de la France au Portugal ont organisé une conférence sur le thème « Portugal et France : Ensemble dans la transition écologique – La responsabilité des entreprises en temps de Covid ».  A cette occasion Lepetitjournal s´est entretenu avec des intervenants de cette conférence pour en savoir plus sur l´engagement des entreprises dans le domaine de l´environnement durable. Paul Milcent, CCEF, nous a accordé une interview.
 


Un parcours à l´international

Paul Milcent, originaire de bourgogne est au Portugal depuis 3 ans. Père de trois enfants, à 48 ans et avec un parcours professionnel international, il est à la fois Conseiller du Commerce Extérieur de la France (CCEF) et Directeur Général de BNP Paribas Personal Finance Portugal (Cetelem).

Il a débuté sa carrière professionnelle comme VIE (Volontariat International en Entreprise), ce qui lui a donné le goût de l´expatriation nous confie-t-il : « J'avais très envie de découvrir le monde et travailler à l'international. J'ai terminé mes études aux Etats Unis et j'ai ensuite été envoyé à l'autre bout du monde en Australie où j´ai passé deux ans entre l'Australie et la Nouvelle Zélande. Puis je suis retourné en France où j´ai travaillé chez MC Kinsey et dans une start-up du tourisme avant d´intégrer Cetelem et et je suis ainsi arrivé dans ce métier assez obscur car peu et mal connu qui est celui du crédit à la consommation. Depuis maintenant 15 ans je suis dans cette société avec des expériences dans six pays différents. D'abord en Bulgarie, ensuite en Egypte au moment du « Printemps arabe » ce qui a fait que j'ai dû quitter le pays en catastrophe pour m'installer en Turquie, je suis ensuite allé à Munich en Allemagne et enfin on m'a proposé il y a  3 ans le Portugal. »

Il nous confie encore : « Je fais ce métier avec beaucoup de plaisir car on est très proche de la consommation, très proche des gens à qui on permet de réaliser beaucoup de projets. Pour donner un chiffre, au Portugal, chaque année, on prend 800 000 décisions de financement, des projets qui nous sont soumis, ce qui fait qu'on accompagne énormément de familles portugaises sur l'achat d´un véhicule, sur la rénovation  d´une habitation, sur les études d'un jeune. C'est un métier qui souffre parfois de critiques mais qui est fait avec passion par des équipes soucieuses du bien de leurs clients et qui a un énorme impact social positif. »

 

Lepetitjournal : Comme CCEF vous avez conduit l´étude sur le thème « Portugal et France : Ensemble dans la transition écologique – La responsabilité des entreprises en temps de Covid » qui a été présentée lors de la conférence économique franco-portugaise de cette année qui a eu lieu le 21 mai. Quelles sont les conclusions principales que vous retirez de cette étude ?

Paul Milcent : On a travaillé depuis 2 ans sur la problématique de la transition écologique pour montrer en quoi cette thématique était commune aux deux pays. Cette étude devait être publiée en avril 2020 mais en raison du confinement à l´époque, on a dû différer. Quand la situation pandémique s'est améliorée on a décidé de refaire l'étude ou du moins de la mettre à jour et la présentation a eu lieu au mois de mai à la Fondation Gulbenkian. Elle s´intitulait : « Portugal et France, ensemble dans la transition écologique ». Celle-ci a privilégié un axe sur le rôle des entreprises dans cette transition.

 

Les résultats de l'étude sur la transition écologique

Au niveau des conclusions de cette étude, certains résultats étaient attendus et d'autres moins. Parmi les messages principaux, le premier message qu'on attendait était le fait de se rendre compte que les choses étaient en train de vraiment changer dans les entreprises sur cette thématique. Pendant très longtemps ce sujet était présent mais un petit peu isolé dans des « départements » d´entreprises, principalement à vocation de communication, les entreprises faisaient des choses mais c'était en quelque sorte à la marge de leur cœur de métier. Aujourd'hui, les entreprises en général et les entreprises françaises au Portugal ont dans leur très grande majorité, mis la thématique de la transition écologique au cœur de leur stratégie. C'est-à-dire comment modifier leur modèle économique afin de le rendre vertueux dans le cadre de la transition écologique et climatique. Tous les secteurs sont concernés, le monde de l'agroalimentaire a un impact colossal, les sociétés automobiles également. On a aussi interrogé des banques, car via leurs financements, elles peuvent avoir un impact plus ou moins positif.

L'étude nous a permis de confirmer que les entreprises françaises étaient particulièrement impliquées et qu'elles commençaient à modifier leurs business model. Des sociétés qui, par exemple, historiquement, utilisaient du pétrole et se sont tournées vers de l'éolien. D'autres sociétés se tournent vers des circuits d'approvisionnement plus courts et donc avec un impact carbone moindre ou encore qui ont changé des contenants plastiques pour des contenants moins polluants. Il y aussi des banques qui décident de ne plus investir dans certains secteurs. Il y a donc beaucoup d'initiatives, même si on sait qu'il en faut beaucoup plus, c'est très rassurant.

Le deuxième message était lui aussi attendu, c'est le fait que ces entreprises ne font pas cela uniquement pour avoir bonne conscience, elles ont compris qu'il fallait le faire car autrement elles allaient disparaître. Les différents acteurs de l'écosystème ne seront, à l'avenir, plus d'accord pour travailler avec une entreprise qui ne serait pas durable et davantage soucieuse de son impact environnemental. On le fait car on pense que c'est une bonne chose mais également parce qu´on n´a pas tellement le choix, si ce chemin de l'économie durable n'est pas pris, ce sera probablement un désavantage concurrentiel pour ces entreprises. C'est un deuxième message assez fort.

Le troisième message, confirmé avec la crise sanitaire, est le fait que cette crise a été un facteur d'accélération. Les entreprises avaient déjà des plans avant la crise sanitaire pour contribuer à la transition écologique, du côté de BNP Paribas par exemple, on avait déjà beaucoup de projets. Le fait de traverser cette crise, être obligé de se restreindre géographiquement et ne plus pouvoir avoir accès à des produits provenant de l'autre bout du monde, que ce soit dans les consciences individuelles ou dans les cerveaux collectifs des entreprises a permis de se rendre compte qu'il fallait agir plus vite que ce qui était prévu. La chance a voulu qu'au niveau politique, la situation a aussi coïncidé avec un meilleur alignement des hauts dirigeants, je pense notamment à l'arrivée de Biden qui peut donner un nouvel élan.

On a également remarqué, dans cette étude, que tout ce processus ne se fait pas sans contradictions, sans ambivalences, pour les individus aussi bien que pour les entreprises. On peut avoir de bonnes convictions et agir globalement selon celles-ci mais le jour où nous devons nécessairement monter dans un avion, malheureusement l'impact carbone de ce trajet peut contrebalancer toutes les bonnes actions précédentes. Au niveau des entreprises c'est la même chose, énormément de contradictions sont à gérer. Par exemple, dans mon secteur, quand on finance l'achat d'une voiture, cela peut signifier un impact social très positif pour une personne qui ne pouvait travailler sans voiture, mais on sait également que l'impact de l'achat de cette voiture est négatif pour l'empreinte carbone qu'elle laisse sur notre planète.

On s'est rendu compte avec cette étude qu'il y a seulement une petite minorité de clients qui se dit prête à payer un peu plus cher pour un produit plus durable et dont la production est plus responsable. La conclusion simple est le fait que si les deux produits sont au même prix, les agents économiques choisiront le produit le plus durable. Néanmoins, si ce dernier est significativement plus cher, il sera laissé de côté au profit du produit moins cher.

Une des dernières conclusions de notre étude concernait le rôle actif de la jeunesse, qui est un des principaux facteurs de changement. On a interrogé environ 600 lycéens du lycée français de Lisbonne et on a bien vu que les plus jeunes étaient les plus volontaristes pour faire évoluer les choses. C'est un facteur d'espoir, nos enfants, nos adolescents vont peut-être avoir une approche plus raisonnable et raisonnée que nos générations précédentes. C'est une hypothèse mais on espère qu'elle s'avèrera vraie. Ils sont sensibilisés à ces questions depuis tout jeune et ils sont également des victimes plus directes du réchauffement climatique.


Vous avez parlé de l'engagement des entreprises françaises, mais comment qualifiez-vous l'engagement dans la transition écologique des entreprises portugaises ?

Nous nous sommes intéressés aux entreprises françaises les plus avancées car nous sommes les conseillers du commerce extérieur de la France au Portugal, mais, évidemment, on a eu l'occasion de toucher du doigt des entreprises portugaises qui ont pris des engagements. Lors de la conférence, il y a eu l´intervention, par exemple, de EDP, qui est à la pointe de beaucoup de projets avec un impact positif pour la transition écologique, des projets de génération d'énergie éolienne, solaire, électrique. De manière générale, je pense que les grosses entreprises portugaises, celles avec une certaine stabilité, ont entamé des actions. Mon impression, qui n'a pas été suffisamment testée dans l'étude, c'est que c'est une préoccupation plus indirecte chez les plus petites entreprises. Cela s'explique notamment par le fait que les préoccupations sont d'ordre économique et de survie à cette crise pluridimensionnelle, tout de même très rude, qu'a provoquée la Covid.

Cette tendance se retrouve aussi chez les particuliers. Quand on a demandé aux particuliers de hiérarchiser les problématiques économiques et écologiques parmi toutes les thématiques, celles qui relevaient de l'écologie arrivaient relativement bas. En pleine période de crise cela apparaît normal que les problématiques sanitaires et de pouvoir d'achat soient prépondérantes. C´est en quelque sorte le débat qui s´est fait en France sur « la fin du mois contre la fin du monde ».


Pensez-vous que le plan de relance et résilience où le thème du changement climatique est une des priorités sera un levier vers un changement profond au niveau européen et en particulier au Portugal ?

J'en suis sûr, si les aides, les subventions, les plans d'accompagnement sont conditionnés à un certain nombre de critères qualitatifs et quantitatifs liés à la transition écologique, les entreprises vont suivre. Si vous êtes surtaxés quand vous vendez des véhicules diesel et obtenez des bonus lors de la vente de véhicules électriques, vos choix de production vont être modifiés vers des choix plus vertueux.  

On parle en plus de montants très impressionnants, entre 30 et 40% des fonds de ce plan seraient consacrés à cette thématique. Cela va générer beaucoup d'idées de startup qui vont se constituer en accord avec cette thématique. On a besoin de pouvoirs publics incitatifs.   


Quels sont les grands défis qui se présentent aux entreprises dans le domaine de l'environnement durable ?

Un des défis assez immédiats est le fait que lorsqu'on parle de transition écologique, on parle de long terme. Dans les entreprises on sait constituer et mettre en place des projets à moyen terme, de l'ordre de 1 an, 3 ans ou 5 ans mais ce n'est pas si facile de monter un projet dont les bénéfices seront perceptibles seulement dans 20, 25 ans. Quand les gouvernements disent qu'il faut une empreinte carbone neutre en 2050, pour les entreprises 29 ans c'est très long.

L'autre défi est beaucoup plus trivial. C'est celui de s'y mettre, de transformer les idées en actions concrètes. Il a deux catégories d'actions. Il y a celles qui consistent, pour les entreprises, à instaurer un fonctionnement interne vertueux, c'est-à-dire inciter les employés à utiliser des gourdes, à venir à vélo... Ces actions sont superbes mais le vrai levier consiste dans le deuxième type d'actions, celles qui ont pour vocation de changer le modèle économique. Prenons l'exemple de ma société. Nous faisons du financement de particulier. Historiquement, Cetelem c'était le « crédit responsable », c'est-à-dire donner toutes les informations nécessaires, vérifier que le client a la capacité à nous rembourser. Mais on pense aujourd'hui que ces initiatives ne suffisent plus, il faut s'intéresser au projet en terme d'empreinte carbone. On ne s'intéresse plus seulement à votre solvabilité, on essaye de savoir quel type de véhicule vous allez financer et comment peut-on aider pour que vous ayez un véhicule qui pollue moins. Ce raisonnement est étendu à tous types d'investissements et c'est ainsi que l'on peut avoir un impact beaucoup plus important.


Comment allez vous inciter les clients à aller vers la transition écologique ?

On va, par exemple, inciter des clients à aller vers certains types de produits en instaurant des taux plus bas pour les produits plus vertueux. On peut aussi encourager des modèles innovants de location plutôt que de propriété. On peut financer la mobilité sans que cela passe par l'acquisition d'un véhicule, cela peut être un financement pour des moyens de mobilité hybrides comme le train, le vélo, un véhicule partagé. On finance également une économie circulaire, la réutilisation des anciens véhicules. On fait également de la pédagogie en quelque sorte, bientôt quand vous recevrez votre relevé de carte de crédit, en face de chaque dépense vous trouverez l'impact carbone de celles-ci. Cela permet de comparer l'impact de nos actes de consommation, de nos actions. On aimerait que demain, sur les actes de consommation, nos clients soient incités à raisonner en termes d'impact sur l'environnement, s´ils sont bon ou pas pour la planète.

Ce que montre l´étude qu´on a faite c´est qu´au début, on est impressionné par l'ampleur de la tâche, de voir tout le travail que nous avons à faire pour accomplir cette transition et mettre en place une économie durable. Face à cela je pense qu'il faut lutter contre l'idée que les petites actions individuelles ne pourront rien faire. Les petits pas individuels sont très importants, chaque action compte, ces petits pas individuels vont devenir de grands pas collectifs. Il faut bien sûr de grosses actions massives des gouvernements et des gros groupes aussi. Au niveau individuel, la possibilité de contribuer à ces thématiques doit être un élément de choix.


Quel est votre sentiment par rapport à la transition écologique dans le monde et plus particulièrement au Portugal ?

Ce que je vois c'est que tout le monde sait qu'il y a un problème, plus personnes ne le nie, (rires) certains le réfute encore, mais ils sont décalés. Il y a des actions à faire à tous les niveaux, individuels et collectifs et ça donne confiance. Je vois un changement radical dans l'attitude des organisations.
Le Portugal est un pays qui a eu d'autres difficultés structurelles à gérer. Je pense notamment à l'inclusion sociale, au niveau de vie, au pouvoir d'achat et dernièrement à la question santé qui étaient des dimensions prioritaires. Il y a tout de même une très grande affinité des portugais avec la thématique de la protection environnementale. Il y a notamment la « blue economy » qui est la protection des océans, le Portugal est en première ligne. On a la chance d'avoir un des plus beaux littoraux et je pense donc que le Portugal peut être un des pays à la pointe en Europe en matière de « blue economy ».

L´étude nous a aussi confirmé que c´est une thématique à laquelle les portugais sont sensibles et c´est pour cela que l´on a conclu l´étude en disant que la France et le Portugal peuvent être des locomotives sur ce sujet.


Avez-vous un mot à redire sur la stratégie environnementale que vous avez mis en place à votre niveau ?

Oui. Notre raison d'être c'est vraiment de promouvoir une consommation plus responsable et plus durable au service de nos clients et partenaires. C'est une très belle ambition que de se dire qu'on va continuer à financer l'économie en encourageant ces financements à être plus responsables et plus durables. Nous avons beaucoup de projets qui vont s'additionner les uns aux autres et qui vont avoir un impact positif.


Pouvez-vous nous dévoiler quelques aspects  de ces projets ?

Oui. Toute la première partie d'actions dont je vous ai parlé, c'est-à-dire sur le fonctionnement interne de l'entreprise, est déjà mise en place, depuis longtemps. La modification de notre business model notamment sur la différenciation des taux d´intérêt sur différents types de produits à financer est déjà également une mesure concrète. On communique également aux clients l'impact carbone de leurs consommations. Une autre innovation qui devrait arriver assez vite concerne les « Cash back », c'est-à-dire l'argent que l'on vous rend sur une carte. On aimerait que ces cash back soient utilisés pour des actions environnementales, ce qu´on appelle le « green Cash Back ». Cela va être de plus en plus présent car tous les acteurs attendent ce genre d'initiatives. Et mon message final c´est que je reste à disposition de tous, des lecteurs du Lepetitjournal, pour des propositions innovantes et intéressantes.

 

(Avec la collaboration de Jonas Weil)

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