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Christine Janin : "À chacun son Everest"

Christine JaninChristine Janin
©Christine Janin
Écrit par Adèle Guilluy
Publié le 12 février 2020, mis à jour le 13 février 2020

Le 5 octobre 1990, Christine Janin accompli l'exploit d'être la première française à atteindre l'Everest. C'est aussi la première femme au monde à avoir franchi le pôle Nord sans moyens mécaniques, ni chiens de traîneau. En 1994, l'alpiniste et médecin crée À chacun son Everest, une association qui accompagne des enfants atteints de cancer ou leucémie, et des femmes en rémission d'un cancer du sein. À chacun son Everest fait le parallèle entre l'ascension d'un sommet et la guérison en proposant aux patients des séjours à la montagne. Christine Janin était présente à Lisbonne pour intervenir lors de la Nuit des Idées ce 30 janvier. C'est à cette occasion qu'elle a accordé un entretien au Lepetitjournal.


Lepetitjournal : Cette année, le thème de La Nuit des Idées est « Être Vivant ». Qu'est ce que cela représente pour vous ?
Christine Janin : Pour moi être vivant, c'est vivre sa passion, c'est vivre vraiment. Je le vois au quotidien en accompagnant des femmes et enfants qui ont le cancer. On n'a qu'une vie et beaucoup ne vivent pas leur vie. Ils sont dans des peurs, oublient d'écouter leur coeur et d'aller là où ils doivent aller. Être vivant, c'est prendre la pleine conscience de cette chance incroyable de vivre et d'être dans l'envie de vivre des choses avec passion. Beaucoup de gens terminent leur vie alors qu'ils n'ont rien vécu, ils ont subi. Pour moi être vivant c'est oser, c'est faire des choses incroyables.
 

Comment vous est venue l'idée de créer l'association À Chacun son Everest ? En quoi votre expérience de vie a-t-elle été importante dans cette écriture ?
C'est un chemin de vie. Rien n'est réfléchi, toutes les choses sont arrivées. À la base je suis médecin et j'ai inventé ma médecine de l'âme. J'ai eu la chance de vivre mes passions, d'aller au sommet de l'Everest. J'ai toujours osé et j'ai toujours suivi mon intuition. Après l'Everest je me suis dit qu'il fallait que je transforme tout cela. Je suis allée faire les sept sommets -les sommets de chacun des continents- et on m'a demandé d'aller voir des enfants à l'hôpital et très vite j'ai fais ce parallèle montagne/maladie. Je disais aux gamins « tu es où, au camp de base, au camp 1...? Il faut que tu ailles au sommet, pour toi c'est ton Everest, c'est le plus beau, c'est la vie, c'est la guérison » Et puis au bout de deux ans, une petite m'a dit « tu m'as aidé à retrouver le chemin de la guérison ». J'étais à un stade où je savais qu'il fallait que j'arrête les expéditions. C'est ce qui m'a donné envie de créer ce projet. Après il a fallu apprendre, comprendre, monter une association, c'est une entreprise. Mais j'y suis allée avec le coeur, j'y suis allée libre parce que personne ne m'a obligé.   
 
Entre temps j'ai ouvert l'association aux femmes atteinte de cancer du sein parce que j'avais encore de la place. Je ne pensais pas que  les femmes avaient besoin qu'on les aide autant. Personne ne peut comprendre ce qu'on a vécu quand on a vécu un cancer, même la personne la plus bienveillante. Je ne les guéri pas mais je leur permet de retrouver l'envie de vivre, même si malheureusement il y en a qui vont rechuter.

 
Pourquoi les femmes et les enfants ?
Parce que les femmes et les enfants d'abord. -rires- Pour plein de raisons.  Il y a beaucoup de femmes qui ont des cancers du sein qui sont jeunes. Le cancer de l'homme c'est surtout la prostate, ils sont plus vieux. Et une femme restera toujours à côté de son mari s'il était malade, ce n'est pas le cas dans l'autre sens. J'ai vu plein de femmes me dire que leur compagnon les avait quitté pendant la chimio. La femme porte le mari, les enfants, la famille, elle porte un peu tout le monde.  Et puis on ne peut pas aider la terre entière. Donc ce choix était une évidence, il s'est fait sans réfléchir. Il y a 53 000 femmes atteintes de cancer du sein en France.

 
Quelles sont les problématiques des personnes en rémission ?
Il y a différentes problématiques. Tout d'abord il faut regarder le film de la maladie à l'envers, se rendre compte de ce qu'on a vécu. Les femmes dont on s'occupe ont fini tous les gros traitements (chirurgie, chimio, rayons) donc elles sont en rémission. On les prend à la fin des rayons à un moment où elles vont commencer à avoir le « cancer blues ». Parce qu'après les traitements on leur dit « maintenant c'est fini, vous rentrez chez vous et vous revenez dans six mois », alors qu'elles ont eu un planning de ministre. Et là c'est le grand retour de manivelle. Il y en a beaucoup qui font des dépressions parce qu'elles se retrouvent seules, elles ne travaillent pas. Moi je leur permets de comprendre qu'elles ont vécu un Everest, qu'elles sont au sommet et que maintenant il va falloir descendre tranquillement de cette épreuve. Et puis personne ne les comprend. Tout le monde connaît quelqu'un qui a vécu un cancer du sein, c'est un cancer qui est banalisé. Mais c'est compliqué, il touche des femmes jeunes, on leur enlève un sein, deux seins, leur corps change, elles perdent leurs cheveux à un moment où elles sont encore des belles jeunes femmes. On leur apprend à reprendre confiance en leur image.

 
Quels sont les moyens utilisés ?

On leur fait faire beaucoup de sport: de l'escalade, de la marche, du yoga, du gi-gong... Après cela, on fait des massages et des soins. Il y a des espaces de parole en groupe, des entretiens individuels, avec des médecins et des psy. On les secoue et à la fin elles sont obligées de lâcher prise et retrouver le sourire, elles retrouvent une âme d'enfant. On les aide à vivre en pleine conscience et joie de ce qu'elles vivent.

 
Travaillez-vous en association avec le milieu hospitalier ?

Oui bien sûr. J'estime que ce que l'on fait, fait partie d'une prescription médicale. On fait partie du parcours de soins. Ce n'est pas uniquement une semaine à la montagne en vacances. On essaye de faire en sorte que ce soit les médecins qui prescrivent aux femmes le séjour. Parce qu'après avoir prescrit la chimio, les rayons et tous les traitements durs, tout d'un coup il leur offre quelque chose qui va les réconcilier avec leur corps. On essaie d'être en lien avec les médecins. Il y a des patients qui viennent en direct mais on repasse par le médecin pour que cela soit un travail collectif. On n'est pas la colo de vacances, ni l'UCPA, ni le Club Med des femmes malades. On est la dernière étape (malheureusement certaines rechutent) à la fin des gros traitements.

 
Et vous, quels sont les prochains sommets que vous allez gravir ?
Je ne vais plus faire de grandes expéditions. Il y a un moment où il faut savoir être humble et j'ai eu la chance de vivre des choses exceptionnelles. Pour moi mon prochain sommet, c'est que l'association dure, un peu plus sans moi. Je me dois de rester mais en prenant du recul. J'ai accompagné 4541 enfants, 1243 femmes en 25 ans. Le plus beau sommet c'est qu'il n'y ait plus de femmes et d'enfants malades. Mon sommet aussi c'est que je prenne soin de moi. Parce que plus on accompagne les autres, plus il faut prendre soin de soi. Et puis j'essaye d'être dans l'amour et de faire les choses avec du coeur.

En savoir plus : www.achacunsoneverest.com

 

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