Le 23 novembre dernier, le premier Café Joyeux à l'étranger ouvrait ses portes à Lisbonne. Filipa Pinto Coelho, la porteuse du projet à Lisbonne, a accordé un entretien au Lepetitjournal Lisbonne et nous parle de ce café original dont l'objectif est de permettre l'inclusion de personnes en situation de handicap dans le monde du travail.
Mère d'un jeune enfant atteint de trisomie 21, Filipa Pinta Coelho s'est engagée pour offrir à son fils ainsi qu'à toutes les personnes en situation d'handicap similaire, un futur où elles ne seraient pas en marge de la société. Selon Filipa et la stratégie du café Joyeux, cela doit notamment passer par l'insertion dans le monde du travail, au contact de tous.
Lepetitjournal : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Filipa Pinto Coelho : Je suis Filipa et je suis la cofondatrice de l'association VilacomVida au Portugal ainsi que la responsable du premier café Joyeux à Lisbonne. Je suis mère de trois enfants et mon dernier enfant s'appelle Manuel, il est né atteint de trisomie 21.
Pouvez-vous nous parler de votre association VilacomVida ?
La naissance de Manuel a changé ma vie. Une invitation m'a été faite pour intégrer un groupe de parents de jeunes avec des handicaps pour engager des actions afin de favoriser leur autonomie. Beaucoup d'institutions travaillent sur cette mission de l'inclusion des personnes handicapées mais il n'y avait pas encore de projet permettant un réel rapprochement entre ces personnes handicapées et le reste de la société. Ces personnes ont besoin de visibilité, il faut qu'elles puissent être vues pour que les employeurs pensent à les intégrer dans leurs équipes. L'objectif est donc de réduire au maximum l'espace entre ces deux mondes. Cela passe par l'inclusion.
Quels sont les liens entre le CafécomVida et le Café Joyeux ?
Le CafécomVida était mon projet pilote au sein de l'association VilacomVida. L'objectif était de créer des moments de partage qui facilitent la mise en relation des personnes handicapées avec d'autres personnes. J'ai pris connaissance de l'existence des cafés joyeux au moment même où le CafécomVida a été créé. J'ai bien vu que l'on avait les mêmes objectifs avec des initiatives assez similaires. On les a donc invités à venir ici, pour parler. La coïncidence est que la première fois que nous nous sommes rencontrés (en mars 2018), c'était exactement ici, dans ce lieu, qui était un autre café à l'époque.
Comment avez-vous fait pour le financement de ce café joyeux ? D’où viennent les fonds ?
Il y a eu, comme pour tous les autres cafés joyeux, une levée de fonds en invitant des particuliers et des entreprises à participer au financement du café joyeux. Il y a également un business plan où les salaires, les loyers, les coûts en nourriture... doivent être payés avec le résultat des recettes. Pour l'instant ce café joyeux n'est pas encore entièrement payé, il a pu voir le jour notamment grâce à la bonne volonté des fournisseurs.
Je peux vous dire, qu'afin de continuer à financer le premier Café Joyeux du Portugal à Lisbonne nous menons des actions de levées de fonds, et par exemple nous organisons le 19 décembre prochain un concert en ligne. Beaucoup d'artistes portugais seront présents. Chacun peut participer en faisant un don à partir d'1 euro. Ce don peut être fait dans les magasins Fnac ou sur le site de levée de fonds via l'adresse donativos.vilacomvida.pt. Le don permet d'obtenir le lien pour accéder au concert.
Que représente pour vous le fait que le premier Café Joyeux ouvert à l'étranger se soit fait au Portugal ?
C'est incroyable comme sensation. Je ne peux pas le croire encore, j'ai l'impression que je rêve (rires). J'ai l'impression que c'est une problématique qui devient global. J'ai visité des endroits en Europe pour voir ce qu'il en était de l'inclusion des personnes handicapées. On pense de la même façon un peu partout, cela devient global. En France, en Espagne, en Angleterre, ici au Portugal, tout le monde à envie que cette problématique évolue. Toutes les familles avec un enfant handicapé ont cette angoisse de penser au futur, de savoir ce que l'enfant va faire après l'école, dans la vie. Après l'école c'est une période très compliquée. Ils se séparent de leurs amis, de leurs liens, car ces personnes avec un handicap s'en vont dans des formations spécifiques. Ces formations sont souvent loin car il y en a peu. Cela implique qu'ils perdent tout liens créés auparavant à dans la société. Ils ont des formations spécifiques sans voir d'autres personnes. Importer cette mission au Portugal a donc du sens et il faut la faire grandir globalement.
Comment s´est déroulée la sélection et la formation des jeunes qui travaillent au café joyeux? Combien y'a-t-il d'employés ?
Pour beaucoup cela s'est fait via l'association VilacomVida. L'association développe beaucoup d'ateliers de formations, de mise en pratique des compétences. On a préparé de nombreux jeunes, on les a formés à la cuisine, à la restauration. On les a intégrés dans des équipes pour qu'ils aient des expériences. Aujourd'hui c'est une double expérience, ils travaillent et sont en formation en même temps. Parfois il y a aussi des contacts directs avec des familles. On se tourne aussi vers des institutions, qui proposent des formations aux jeunes, pour les informer qu'on recherche quelqu'un. A Lisbonne, nous avons aujourd'hui 9 jeunes en CDI. Il y a en même temps un cours de formation de deux ans. Ils ont ensuite le choix de rester ou non avec nous, ils peuvent également partir pour connaître de nouvelles expériences. L'objectif est de former des professionnels. Ils ont besoin de concret, de réelle mise en pratique, d'immersion dans le monde professionnel.
Comment se passent les débuts du premier café Joyeux au Portugal ?
On a ouvert le 23 novembre dernier. Les débuts ont été bons, on a eu la chance d'avoir beaucoup de communication. Les personnes veulent découvrir ce lieu, elles sont curieuses. Je pense que les personnes qui viennent sont satisfaites, elles retrouvent une ambiance agréable, très familiale.
Pensez-vous que cela va encourager le gouvernement à engager plus d'actions pour la cause des personnes handicapées ?
J'ai cet espoir oui. Nous avons l'espoir qu'avec le développement des cafés joyeux un peu partout, cela puisse contribuer au fait que le gouvernement nous accompagne. Je pense qu'il faut se rendre compte que jusqu'à présent, la stratégie mise en place n'était pas la bonne. On finance des institutions loin de la réalité. Certes les formations sont importantes, mais il ne faut pas s'arrêter là. Avec les cafés Joyeux, les pouvoirs publics peuvent se rendre compte que ces personnes-là sont capables de travailler, en société. C'est un message très important. On espère un effet domino, avec l'ouverture de nouveaux lieux, le vote de nouvelles lois plus inclusives.
La Secrétaire d'État française chargée des Personnes handicapées avait fait le déplacement pour l'inauguration, le Président de la République portugaise également, en quoi cela a été marquant pour vous ?
C'était très important. Cela nous confère une certaine légitimité, d'être accompagné comme cela. La secrétaire d'Etat Sophie Cluzel a passé le témoin à la secrétaire d'Etat portugaise. C'est très important, en France le modèle fonctionne alors il doit fonctionner au Portugal.
Quelles sont les perspectives ? Un café joyeux ouvrira à Cascais en mars 2022 ? Avez-vous d'autres projets à Lisbonne ou à Porto ?
Oui exactement, une ouverture est prévue à Cascais. Porto reste un objectif pour le moment, on doit commencer la levée de fonds. Dans l'idéal, on en voudrait le plus possible dans les prochaines années évidemment. C'est très encourageant de savoir que l'on contribue à un futur plus positif, pour mon fils Manuel et pour toutes les personnes dans une situation similaire à la sienne. Ce n'est que le début.