Sans nul doute, c'est l'un des plus importants jardins de Lisbonne par son histoire, par sa diversité botanique, comme par son emplacement privilégié et pourtant si mal connu, comme boudé par beaucoup de Lisboètes, qui l'ignorent complètement. Pour les touristes de passage, il reste aussi quasiment introuvable, vu le peu de signalisation qui incite à le découvrir.
(Photos : M.J. Sobral)
Un peu d´histoire
Situé sur une hauteur de la colline d'Alcantara, sur son versant plein sud, ce jardin clos fut par le passé un jardin privatif de la famille royale, qui résidait dans le palais du même nom, devenu depuis l'instauration de la République, en 1910, le siège du Ministère des Affaires Etrangères.
En 1607, une chapelle de pèlerinage avait été construite en ce lieu pour rendre hommage à Notre-Dame de la Santé ou Nécessitée (Nossa Senhora da Saúde ou das Necessidades). Ce lieu saint sera amplifié, en 1742, avec l'ajout d'un couvent, puis d'un palais, qui deviendra la résidence du monarque Dom João V (1689-1750) et de ceux qui le suivront sur le trône du Portugal (dynastie des Bragança), jusqu'à Dom Carlos I (1863-1908). L'existence du couvent fut de courte durée, puisqu'en 1755 le tremblement de terre, qui toucha mortellement Lisbonne, le détruisit dans sa quasi-totalité, obligeant les religieuses à s'installer dans des baraquements en bois édifiés sur les lieux du sinistre, tout comme le roi de l'époque Dom José qui, de 1761 à 1788, vivra dans la "Real Barraca", un édifice en bois sur le Alto d'Ajuda et laissera le palais des Necessidades.
En 1828, Dom Fernando de Saxe Cobourg et Goethe (1816-1885), épou
En 1841, Bonnard écrira un livre intitulé: "Horticulture et Arboriculture. Végétaux introduits dans les cultures du Jardin Royal des Necessidades depuis sa restauration"
La Tapada das Necessidades sera ainsi le premier jardin où ces deux passionnés de botanique pourront planter de nombreuses espèces exotiques déjà acclimatées au jardin d'Ajuda et en essayer d'autres pour l'agrément de ce bel espace vert qui leur était confié. C'est donc là que Mr Bonnard gagna de l'expérience pour aller, par la suite, planter toutes ces nouveautés au jardin d'Estrela (1852) ou dans le fameux Passeio público (Promenade publique), qui sera détruit plus tard pour être remplacé par l'Avenue da Liberdade. La mode des plantes en tout genre se répandit à partir de ces nouveaux lieux publics et les jardins privés, les nouvelles rues et avenues de la capitale, les nombreuses petites places récentes se parèrent d'arbres et arbustes exotiques, dont la beauté des formes et des couleurs marqueront Lisbonne de manière incomparable jusqu'à nos jours.
Un jardin aux espèces exubérantes et diversifiées
De conception purement romantique de jardin "à l'anglaise", voulant imiter le plus fidèlement possible l'exubérance de la nature, son ombre est généreuse en plein été et sa végétation reste bien dense, même au coeur de l'hiver. Ses chemins tortueux nous conduisent autant à de petits lacs et bassins, passant sous des arbres monumentales, comme jusqu'à une exceptionnelle collection de plantes grasses ou succulentes, provenant essentiellement du Mexique ou d'Afrique du Sud. En son milieu, on y trouve aussi une grande pelouse, comme une belle clairière où, dit-on, lors de son passage, Edouard Manet aurait été inspiré pour son célèbre tableau du "Déjeuner sur l'herbe", en 1859. C'est aussi un bel espace de convivialité où on organise des anniversaires en grand pique-nique ou à d'autres loisirs en tout genre.
Dans ce jardin, enfin, l'exotisme qui se dégage de certaines plantes donne à ce lieu un caractère très particulier. D'autant plus que ceci contraste fortement avec la partie située tout en haut, qui montre une végétation de type essentiellement méditerranéenne, végétation endémique de cette région de la péninsule Ibérique, véritable Silva lusitana et qui porte le titre de "Tapada"; oliviers sauvages, arbousiers, caroubiers, pins divers, lauriers, chênes de différentes espèces ou cyprès. Ce terme de tapada désigne aussi un espace fermé, domaine de chasse-gardée qui était réservé à la Cour du roi.
Des constructions parsèment le jardin
La Tapada das Necessidades s'étend au total sur une dizaine d'hectares et en dehors de sa partie végétale, on y trouve quelques constructions notoires comme cette énorme serre circulaire, construite vers 1858, qui reste pour l'instant désactivée, bien qu'ayant subi des restaurations dernièrement, quelques bâtiments ayant servi jadis de parc animalier (pour y montrer des oiseaux exotiques et des singes, essentiellement) et dont l'état d'abandon mérite une intervention, un moulin à vent converti en maison d'habitation, mais depuis abandonnée aussi, ainsi qu'un superbe édifice, la "Casa do Regalo" où la dernière reine du Portugal, Dona Amélie (1865-1951), en avait fait son atelier de peinture, restauré en 2010 et devenu depuis le siège d'une organisation internationale dirigée par l'ex-président de la République, Mr Jorge Sampaio. On y voit aussi le passage de la ligne d'eau douce canalisée provenant de la montagne de Sintra, traversant l'Aqueduc das Àguas Livres et finissant au jardin de São Pedro de Alcantara, dans le quartier de Bairro Alto.
Visite du jardin sous un angle botanique
Une fois passée l'entrée principale du jardin, qui se trouve devant une belle fontaine garnie d'un obélisque, on trouvera une lignée de micocouliers de Provence imposants (Celtis australis), arbre certainement le plus planté à Lisbonne et emblématique du sud de l'Europe. On le reconnait facilement à son tronc lisse, de tonalité grise rappelant la peau d'éléphant. Beaucoup de palmiers des Canaries (Phoenix canariensis) ont été plantés proche de là, avant que ne surgisse le fléau dévastateur du charançon rouge, qui sévit encore actuellement dans le pays.
Proche d'un charmant petit lac, on découvre ensuite un des ex-libris du jardin en la personne d'un dragonnier (Dracaena draco) d'au moins 200 ans d'âge, plante ornementale par excellence de tous les jardins de palais et maisons de nobles du XVIIIº siècle dans la capitale. Remontant toujours le chemin, nous croiserons des châtaignés des Indes (Aesculus hippocastanum), parés de belles fleurs roses ou blanches selon leur variété, à l'époque du printemps, tout comme le jacaranda du Brésil (Jacaranda mimosifolia) aux fleurs violettes si caractéristiques de l'exotisme qu'elles dégagent.
Autour de petits bassins, des massifs denses de philodendrons (Monstera deliciosa) se sont développés à loisir. Leurs fruits, pourtant nombreux, n'arrivent cependant pas à maturité au Portugal, car ils ne retrouvent pas le même milieu ambiant que celui du Mexique/Panama dont ils sont originaires. C'est dommage de ne pouvoir gouter ainsi à leur saveur entre la banane et l'ananas.
A côté du grillage, qui sépare une crèche du jardin, un bel-ombre (Phytolacca dioica) énorme aux multiples troncs et aux racines difformes a réussit à créer comme une baignoire en son plein milieu où les enfants aiment à se réfugier et à jouer. Cette plante herbacée, car il ne s'agit pas d'un arbre à l'instar d'un palmier, est originaire de la Pampa d'Argentine/Chili et très appréciée dans ces contrées pour son ombre généreuse, malgré sa forte toxicité qui la caractérise. Non loin de là s'élance un figuier asiatique (Ficus benjamina) aux petites feuilles pointues, que l'on a davantage l'habitude de rencontrer comme plante d'intérieur et qui ici a pris une belle ampleur.
Avant d'arriver à la grande pelouse marquant le centre de cet espace vert, un ensemble de poivriers du Brésil (Schinus terebentifolia) forme un îlot de verdure dans lequel quelques tables et chaises incitent au repos à l'abri des ardeurs du soleil. Ce sont de faux poivriers, bien que leurs grappes de fruits rouges puissent être utilisées comme condiment à défaut du vrai poivre, au même titre que le gingembre.
Au bord du lac principal, un dense massif de Strelitzias géantes ou arborée (Strelitzia nicolai), qu'il ne faut pas confondre avec des bananiers, bien qu'ils soient de la même famille (Musaceae), forment aussi les mêmes fleurs que les oiseaux du paradis (Strelitzia regina) de taille beaucoup plus modeste.
Une fois quittée cette partie basse du jardin, passé derrière la serre circulaire, on trouvera la belle allée de micocouliers qui nous conduira vers la partie supérieure en suivant un chemin sinueux et pentu que bien peu de visiteurs osent emprunter. Trois imposants caroubiers (Ceratonia siliqua) gardent les lieux et sont facilement reconnaissables surtout quand ils ont leurs longs fruits noirs en forme d'haricot qui pendent un peu partout. De là, nous pouvons traverser une ample collection de plantes grasses, cactus ou succulentes, certainement la plus riche de tout Lisbonne; hormis les cactus à cierge et les opuntias ou figues de Barbarie, on y reconnait différentes espèces d'agaves du Mexique (qui fournissent des fibres comme le sisal ou la tequila), des massifs d'aloès d'Afrique du Sud et également quelques palmiers et dragonniers encore relativement jeunes. Toutes ces plantes exposées là sont les plus aptes à subir le réchauffement climatique qui nous menace, sans grande perturbation pour elles, car elles ont su développer différentes stratégies au cours de millions d'années, pour survivre dans des conditions extrêmes, au contraire de bien d'autres.
Une fois arrivé tout en haut du jardin, c'est la partie proprement dite de Tapada qui nous attend et qui nous laisse facilement imaginer ce qu'était la végétation naturelle et endémique de cette région du Portugal bien avant que l'homme ne s'y installe. Depuis peu, il y a moyen de sortir par ce côté-ci de ce grand espace vert et de rejoindre le quartier de Campo d'Ourique ou Estrela, sans devoir retourner d'où l'on vient.
André Laurins (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) jeudi 17 septembre 2015
Technicien agronome (laurins.andre@gmail.com)
Visite guidée le Dimanche 11 octobre 2015 de 14h00 à 16h00
Contactez André Laurins par email ou par téléphone : 914 699 247