Tahar Ben Jelloun a publié en mars dernier chez Gallimard un nouveau roman, "Les amants de Casablanca", où ce célèbre écrivain franco-marocain -un des écrivains contemporains de langue française les plus traduits au monde- ausculte, dans un récit à deux voix, la vie d´un couple entre Paris et Casablanca.
Tahar Ben Jelloun est récemment venu à Lisbonne pour la première édition du Choix Goncourt du Portugal et aussi pour la présentation de son nouveau roman à L´Institut Français.
Tahar Ben Jelloun
Couronné du Prix Goncourt en 1987, à l´âge de 40 ans, pour son très beau roman La nuit sacrée (éditions du Seuil), Tahar Ben Jelloun -né donc en 1947, à Fès- a depuis acquis une notoriété internationale qui a fait de lui un des écrivains de langue française les plus traduits au monde, un écrivain dont on peut lire régulièrement l´opinion sur les sujets les plus variés dans des titres fort prestigieux de la presse française et étrangère.
Membre de l´Académie Goncourt, il est récemment venu à Lisbonne pour l´annonce du choix Goncourt du Portugal qui a couronné le roman Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli. Ce déplacement de Tahar Ben Jelloun au Portugal fut aussi l´occasion d´une rencontre avec ses lecteurs à l´Institut Français du Portugal à propos de son nouveau roman Les amants de Casablanca, dont l´intrigue met en scène un couple apparemment solide, formé par Nabile et Lamia.
Les amants de Casablanca
Comme on nous l´annonce au début du roman, en 2016, ils étaient jeunes et très amoureux. Les origines de Nabile étaient plutôt modestes alors que Lamia était issue d´une famille plus huppée. Ils venaient juste de se marier et, leurs études terminées -à Paris, où ils se sont rencontrés-, chacun, de retour au Maroc, entrait dans la vie active. Lui comme médecin pédiatre, elle comme pharmacienne. Ce fut son père qui lui a acheté la pharmacie Derb Ghellef dans un des quartiers les plus vivants du centre-ville, dans la médina de Casablanca, une ville où il y a à la fois beaucoup d´argent et beaucoup de pauvreté. La ville finit par être en quelque sorte un des personnages du roman. L´auteur a d´ailleurs affirmé dans une interview que Casablanca n´est pas uniquement une ville, c´est aussi une vision du monde et une façon d´être au monde.
Pour en revenir au couple amoureux, Nabile a repris le cabinet de son oncle qui avait une clientèle fidèle. Il était, on l´a vu, médecin pédiatre, mais aussi un homme à la personnalité riche et fort intéressante : humaniste, engagé, intellectuel et épris de sa femme à qui il essaie de transmettre ses deux grandes passions, la littérature et le cinéma. Lamia, par contre, était un peu l´opposé : femme libérée, élevée dans un milieu plutôt aisé, pharmacienne et entrepreneuse, elle dirigeait aussi une usine de médicaments. Ensemble, ils avaient deux enfants. La vie était donc facile, le ciel d’un bleu limpide et la paix régnait sur leur monde. Ils s´aimaient. Au nom de cet amour, ils s´acceptaient et faisaient des projets d´avenir.
Tahar Ben Jelloun s´est inspiré d´un film -pas de Casablanca de Michael Curtiz, comme certains auraient pu le penser en regardant le titre du roman, mais de Scènes de la vie conjugale d´Ingmar Bergman- et donc, comme dans un film, le récit alterne de l´un à l´autre des deux membres du couple. L´auteur a expliqué la raison de son choix dans un entretien à France Info : « C'est une histoire d'amour, et dans toute histoire d'amour, il y a de la trahison, ça va ensemble, et la trahison ne va pas venir de là où on l'attend. Et surtout, j'ai voulu rendre hommage à la femme marocaine, moderne, nouvelle, qui se bat, qui prend le pouvoir, qui ne se laisse plus faire. Évidemment, le pouvoir économique aide beaucoup, et il y a une volonté de vivre sa vie comme elle l'entend, y compris dans la trahison ».
Donc, vous l´avez appris, il y a un personnage qui vient perturber l´apparente stabilité du couple, et ce n´est pas une femme, comme on aurait pu le croire, mais bel et bien un homme. En effet, Lamia un jour s´éprend de Daniel, un homme à la réputation sulfureuse et, six mois plus tard, elle demande le divorce…
Nabile n´en revient pas : « Il se rappela que dans le film de Bergman, c´était le mari qui avait une liaison et qui quittait sa femme, laquelle s´accrochait à lui pour le retenir. C´était pathétique. Il ne pensait pas qu´un jour il se retrouverait dans la même situation que Marianne. Il se dit que les temps avaient changé. Que la vie conjugale était problématique aussi bien dans un pays très démocratique où la femme avait les mêmes droits que l´homme, comme la Suède, que dans le Maroc de Mohammed VI qui avait réformé la Moudawana, le code de la famille, lequel donnait le droit à la femme de demander le divorce à égalité avec l´homme. Dans tous les cas, la souffrance est la même ».
Les mariages quasiment parfaits comme celui de Nabile et Lamia sont également en proie à l´usure du temps et au poids de la famille et des traditions. Entre fresque sociale et roman psychologique, Les amants de Casablanca nous plonge dans une histoire qui explore le fossé entre les classes sociales, les contradictions d´une société patriarcale et la complexité des rapports amoureux. Une belle histoire d´amour et de trahison où, de l´aveu même de Tahar Ben Jelloun, « le romancier fouille la société, montre ce qu´on ne veut pas voir ».
Tahar Ben Jelloun, Les amants de Casablanca, éditions Gallimard, Paris, mars 2023.