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De Lima aux villages oubliés des Andes : un pays miné par les inégalités

Des gratte-ciel de Lima aux villages oubliés des Andes, le Pérou est marqué par de profondes inégalités, opposant modernité et précarité, richesse et marginalisation.

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@Abd Alrhman Al Darra
Écrit par Emma Darsonval
Publié le 14 février 2025

Au Pérou, la croissance économique profite à une minorité tandis que des millions de citoyens restent laissés-pour-compte.

 Derrière les chiffres prometteurs, les inégalités sociales et territoriales continuent de façonner le quotidien de nombreux Péruviens.

A Lima, il suffit de traverser une rue pour se rendre compte des clivages sociaux : d’un côté, des gratte-ciels flambants neufs et centres commerciaux modernes ; de l’autre, des bidonvilles où l’accès à l’eau potable est un luxe.

Malheureusement, ce phénomène touche l’ensemble du pays. Selon les données de la Banque mondiale, le Pérou reste l’un des pays les plus inégalitaires du monde, avec 1% de la population détenant presque 30% des richesses du pays.

Derrière une nation à la croissance économique, une grande partie de la population vit encore dans des conditions difficiles.

 

 

Un pays à deux vitesses : la vie urbaine face aux campagnes péruviennes

Les régions rurales sont celles où les écarts de richesse se manifestent le plus. Accès aux soins, malnutrition infantile ou encore analphabétisme touchent particulièrement ces populations.

Qui plus est, les inégalités ne sont pas qu’économiques, elles sont aussi géographiques et ethniques. Si les grandes villes comme Lima et Arequipa attirent les investissements, les régions andines et amazoniennes restent en marge du développement.

Dans la même idée, les 55 communautés autochtones qui composent les Andes et Amazonie péruviennes font souvent face à des différences de traitement. L’historienne Cecilia Mendez va même jusqu’à comparer la situation à un apartheid, où les peuples autochtones se voient relégués au second plan, et non comme des citoyens à part entière.

 

La crise du Covid-19 à l’origine de fractures sociales grandissantes

 

Le Pérou, pays le plus touché par la crise sanitaire de Covid-19 dans le monde, en termes de taux de mortalité par rapport à sa population, le doit à son système de santé en mauvais état, entre équipements médicaux en manque et flambée des prix en cliniques. Par conséquent, la pandémie n’a fait qu'exacerber les inégalités déjà existantes, en touchant les populations les plus vulnérables, allant des bidonvilles de Lima aux provinces les plus reculées. Difficile d’espérer obtenir des traitements efficaces lorsque l’accès à l’eau n’est pas garanti.

"En voulant stopper le virus, le pays a sacrifié son économie : jusqu'à 60 % du PIB s'est effondré, laissant des millions de Péruviens sans emploi."

Histoire et politique : des causes profondes

Ces injustices économiques et sociales ne sont pas un hasard. D’un côté, le système mis en place par le gouvernement Fujimori dans les années 1990 est à l’origine d’une redistribution inéquitable des richesses notamment naturelles, véritable joyau du pays, au profit des entreprises multinationales.

 Résultat : 80% des péruviens jugent les inégalités économiques alarmantes, selon une enquête d’Oxfam. Ce qui est d’autant plus intéressant à noter, c’est le fait que ces inégalités semblent être une caractéristique de l’Amérique Latine tout entière. Pour donner quelques chiffres, 77% des terres sont contrôlées par des multinationales au Pérou, 74% pour le Chili ou encore 71% pour le Paraguay. Ainsi, il existe de véritables problèmes structurels dans ces économies qui empêchent de faire profiter la croissance économique à tous ses habitants.

 

Ces fractures sociales et géographiques se révèlent d’autant plus dans cette période d’instabilité politique, où les révoltes de 2022 éclatèrent en premier lieu dans les régions du sud du Pérou, telles que Puno, Ayacucho ou encore Cuzco, considérées rurales et défavorisées. Elles furent alors menées pour s’opposer à la destitution du président M.Castillo le 7 décembre 2022, souvent désigné comme le “président des pauvres”, provenant d’un village rural du nord du pays. En ce sens, les disparités régionales expliquent (en partie) l’instabilité politique connue par le pays depuis quelques années maintenant.

 

Vers un Pérou plus équitable ?

 

Le Pérou a tous les atouts pour devenir un pays plus inclusif. Certaines pistes ont été envisagées pour offrir un meilleur futur aux populations rurales, en les formant aux nouvelles techniques d’agriculture, mais aussi la gestion du changement climatique, des opportunités d’éducation et de formation professionnelle.

Un agriculteur péruvien Luis Arone interviewé dans le cadre d’un programme réalisé par les Nations Unies déclare même : « Nous avons appris des choses liées à l’agriculture, mais nous avons aussi appris des choses qui nous aident à organiser la communauté. ».

Mais tant que ces inégalités structurelles persisteront, le pays continuera à avancer à deux vitesses, laissant une partie de sa population sur le bord de la route.

Cependant, une fois encore le chemin qui reste à être parcouru est considérable, en témoigne les propos de l’économiste Germán Alarco pour qui l'inégalité au Pérou serait deux fois plus élevée que ne l'indiquent les chiffres officiels.

Ainsi, les défis restent immenses et les inégalités plus profondes qu'elles n’y paraissent. Tant que des réformes structurelles ne seront pas mises en place, le Pérou continuera de creuser ces disparités, au détriment de millions de citoyens.

EMMA DA
Publié le 14 février 2025, mis à jour le 14 février 2025

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