Après avoir enseigné le français et l’allemand Geneviève Duggan est devenue ethnologue spécialiste de l’ile de Sawu située à l’ouest du Timor dans les îles de la Sonde. Le petit journal a rencontré Geneviève lors de son passage à Jakarta à l’occasion du salon Meet the Makers, un événement qui rassemble deux fois par an des artisans de l’archipel venus présenter leurs produits. Elle revient pour nous sur son parcours atypique.
Arrivée en Indonésie en 1988 pour suivre son mari, Geneviève quitte son poste d’enseignante de français en Allemagne et se retrouve à Jakarta femme au foyer. Après avoir profité du plaisir d’avoir du temps pour elle, un manque d’activité intellectuelle s’est rapidement fait sentir. Elle découvre alors la bibliothèque de l’association Ganesha ancien nom de l’Indonesian Heritage Society. Elle dévore les livres, s’intéresse à la culture et apprend à connaitre son pays d’accueil. Fière de ses connaissances Geneviève présente des conférences sur des bateaux croisières qui relient Bali à Kupang, auTimor. Un sourire en coin, elle nous précise qu’en fonction de la nationalité des touristes elle doit adapter son discours: plus culturel pour les Européens et plus tourner vers la nature pour les Australiens.
C’est lors de ces voyages, pendant que les touristes s’adonnent à la plongée, qu’elle découvre l’île de Sawu. Elle décide de pousser plus loin l’exploration de cette île et part à la rencontre de ses habitants. Elle s’aperçoit très vite que ces gens qui n’ont qu’une culture orale connaissent leur histoire sur plusieurs générations, voire plusieurs centaines d’années.
De retour en Allemagne elle s’inscrit à la faculté d’Heidelberg et passe un master en ethnologie. Elle retourne régulièrement à Sawu deux fois par an pour des périodes de deux mois. C’est en partageant la vie des Sawunais qu’elle apprend à connaitre leurs tissages élaborés et appréhende la complexité du travail ainsi que l’importance de chaque motif et du rôle de la transmission. L'Ikat est un textile typique des îles de la Sonde fait de liens entre fibres. Les habitants l'utilisent principalement comme vêtement. L'Ikat sera aussi leur linceul ce qui lui confère une grande importance. Dans ses recherches, Geneviève s’intéresse plus particulièrement aux femmes et à leur généalogie
dans un tissu en fonction des motifs on sait à quelle lignée appartient la famille, qui a le droit de posséder un gong ou qui a perdu ce droit par exemple
Et c’est souvent le soir à la lumière des lampes à huile, lorsque que les femmes tissent en chiquant le bétel et que les hommes boivent l’arak et fument, que Geneviève approfondit ses connaissances qui sont toutes transmises oralement.
10 % de ce que l’on transmet est oral, les 90 % restants sont du non verbal et souvent beaucoup plus fiable
Elle publie en 2001 Ikat of Sawu women weaving history in Eastern Indonesia. De retour en Asie, cette fois à Singapour, Geneviève poursuit ses études et passe un doctorat à la National University de Singapour. Sa thèse porte sur le processus de mémoire et transmission du savoir dans une société sans tradition écrite. Elle reçoit le prix de la faculté de Sciences humaines et celui du département de Sociologie de Singapour.
Depuis Geneviève n’a cessé d’approfondir ses connaissances. Elle s’est liée d’amitié pour ces femmes tisserandes et les soutient dans leurs volontés de faire perdurer leur savoir-faire. Elle les aide à se faire connaitre en dehors de Sawu en leur permettant de mettre en avant leur artisanat lors d’événements dédiés. Lors de notre rencontre, Geneviève nous a présenté Nébu, jeune Sawunaise qui vient de finir une formation en lycée technique de couture. Nébu vient faire un stage de 3 mois chez une couturière à Kemang afin de se perfectionner et de retourner dans son village avec de nouvelles idées. L’objectif est de moderniser la production des tisserandes. Geneviève rêve d’une maison où les tisserandes pourraient travailler ensemble et élaborer leurs produits.
Des projets, Geneviève en a plein la tête. Elle part cette semaine pour deux mois et demi à Sawu travailler avec un autre français André Graff. André habite à Sumba depuis de nombreuses années et installe des puits afin d’améliorer la qualité de vie des femmes qui doivent souvent parcourir de grandes distances pour aller chercher de l’eau. Fort de l’expérience et du savoir faire d’André, un puits situé à 1 kilomètre du village de Mesara à Sawu a été raccordé. La deuxième phase du plan est l’installation de toilettes, d’un lavoir communal, d’un espace pour les teintures des Ikat et un système de filtration des eaux usées à travers des plantes comme des joncs. Ce projet a reçu le soutien financier de l’ambassade de France.
Rendez-vous est pris avec Geneviève lors de son prochain passage à Jakarta afin qu’elle nous raconte ses nouvelles aventures à Sawu.