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JACQUES REYMOND - Quand cuisine rime avec création

 

Connu pour sa cuisine gastronomique et son restaurant de South Yarra, qui est l'un des 2 restaurants  australiens des Relais et Châteaux, Jacques Reymond passera la main à son second chef à la fin de l'année après 21 ans de vie derrière les fourneaux.  Non pour se reposer, mais pour développer d'autres activités  toujours en connexion avec la cuisine. Arrivé à Melbourne il y a trente ans, Jacques Reymond admet avoir eu besoin de 5 ans pour s'habituer à ce nouveau pays, qui lui  a permis de faire la cuisine qu'il aime loin des carcans de la haute cuisine française. Un défi qu'il a relevé avec brio, puisque son restaurant, appelé Jacques Reymond restaurant, a 3 étoiles. Rencontre avec ce chef hors pair

Lepetitjournal.com/Melbuorne - Vous décrivez sur votre site faire une cuisine innovatrice et contemporaine. Vous pouvez donner des exemples ou expliquer un peu ?

Jacques Reymond - Oui, c'est-à-dire que nous ne faisons pas de la cuisine française, nous faisons une cuisine qui est très moderne. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les journalistes et le public. La définition de ma cuisine, c'est  une cuisine ultra-moderne qui n'utilise que des produits australiens. Pour nous c'est de la cuisine moderne australienne, avec une très très grande influence asiatique. Nous n'utilisons pas de fond : pas de crème, pas de beurre, nous respectons le produit naturel par lui-même et avec beaucoup de parfums autour des plats.

Jacques Reymond c'est une marque familiale, votre famille et votre restaurant sont très liés. Vos 4 enfants et votre femme travaillent avec vous ?

Oui, on travaille tous ensemble. Joanna s'occupe des relations publiques, Nathalie est ma sommelière depuis 15 ans… Et mes 2 garçons, avec Nathalie et moi-même, nous travaillons dans notre établissement, Gitan, qui est un bistro.

Pourquoi Gitan ?

Pourquoi Gitan ? Parce que nous sommes de grands voyageurs, parce que nous avons les cheveux longs, parce que nous nous habillons et avons un état d'esprit de vagabonds et de gitans.

Vous avez 3 étoiles, ça fait 21 ans que vous avez votre établissement.

Oui, mais avant de venir ici j'avais déjà « Jacques Reymond », mon restaurant pendant 7 ans. Donc ça fait 27 ans que nous avons notre restaurant principal, gastronomique, qui s'appelle « Jacques Reymond ». Et entre temps nous avons 5 établissements.

Et à votre avis, d'où vient votre succès ? Quel est votre secret ?

Nous sommes très innovateurs, très contemporains - ça c'est peut-être le plus important. Ce n'est pas  moi qui le dis, je ne me permettrais pas, ce sont les journalistes et notre public. Deuxièmement, nous sommes très courageux. Et nous aimons beaucoup vivre ici, donc je pense que nous faisons une cuisine qui plait énormément aux Australiens et aux Asiatiques qui habitent ici.

Qu'est-ce que vous avez gardé de la cuisine française ?

Rien.

Vous rejetez complètement votre origine française ?

Non. Au bistro nous faisons de la cuisine française. Moderne, je dirais. Très très moderne, réadaptée un petit peu. Mais à Jacques Reymond, absolument rien.

Pourquoi ? A cause de votre public…

Parce que c'est mon style de cuisine, c'est pour ça que je suis venue en Australie. Je voulais mon style propre de cuisine, me démarquer des autres chefs, des autres personnes. Et sincèrement, la cuisine française, ce n'est pas vraiment ce que j'aime faire. Je m'ennuie à faire de la cuisine française. Beaucoup. Moi dans la cuisine que je fais tous les jours, il y a des étincelles, avec mon personnel on s'éclate, on trouve ça génial.

Et pourquoi cette influence d'Asie du Sud-Est ?

Parce que ça me permet de respecter le produit principal sans qu'il soit recouvert de beurre, de crème ou de sauce, des produits tellement puissants qu'ils dénaturent totalement le produit de base. Ce n'est pas nécessaire, surtout qu'en Australie on a des produits uniques, même des légumes, et c'est superbe.  Donc c'est une cuisine du tank, une cuisine du jour, une cuisine avec beaucoup de parfums, d'élégance… Mais pas du tout française de base.

Comment votre cuisine a-t-elle évoluée ?

Avec le produit et le public. Quand je suis arrivé en Australie, il n'y avait pas les produits qu'on a aujourd'hui. Je n'avais pas le public qui me suivait comme il me suit aujourd'hui. Quand on est arrivé en Australie il y a 30 ans, les gens n'avaient aucune connaissance de la cuisine gastronomique, de la cuisine fine, je veux dire. Donc tout ça a évolué avec le temps. C'est surtout le public qui nous a donné l'opportunité de nous exprimer dans ce qu'on voulait faire. Et avec ça nous avons développé un ensemble de fournisseurs qui sont devenus exceptionnels en qualité, qui prennent  soin de ce qu'ils font, en amitié aussi… En communication. On a aussi développé des produits uniques avec certaines relations.

Mais justement… Votre évolution… Vous avez trouvé en Australie la capacité de vraiment vous exprimer.

Ah oui, absolument. Constamment.  Toujours, toujours, toujours.

Vous trouvez que le public australien est toujours en avance ?

Mais bien sûr. Ce ne sont pas des gens prétentieux. Au contraire, ce sont des gens qui n'ont pas peur de dire « oh, je ne connaissais pas. Comment vous avez fait ça ?». Alors qu'en France « Ah mais je fais ça moi, y'a longtemps que je connais. Mais oui, on faisait déjà ça du temps de ma grand-mère ». C'est ça, c'est une approche totalement différente, beaucoup plus sympathique, plus évolutif, Il y a beaucoup plus d'énergie, beaucoup plus de passion et de communication. Et ça nous encourage, nous les chefs en Australie, à être très créatifs. Quand je vais en France, je m'ennuie. Considérablement. Un de mes amis m'a invité l'autre soir dans un restaurant. C'était sensationnel. Sensationnel. Une créativité, une énergie, les jeunes, la passion qu'ils avaient, ce qui nous manque en France, c'était superbe ! En France, tout le monde a tout vu,  tout connu, sait tout faire ! Mais quand on y va, c'est exactement la même cuisine que quand j'ai quitté la France il y a 30 ans. C'est la même chose ! Les restaurants 3 étoiles ont tous les mêmes menus. Ils travaillent tous les même produits : s'il n'y a pas de foie gras, c'est fini, s'il n'y a pas de ris de veau, ils n'ont aucune idée, s'il n'y a pas de truffe, il n'y a pas d'idée…. Tous les mêmes produits. Que des produits très nobles, très riches, très chers, et qu'on archi-cuisine à mort. Qu'on détruit. Alors voilà, c'est pour ça que moi je suis heureux ici. J'ai une équipe sensationnelle, j'ai 15 mecs en cuisine, et le plus âgé a 26 ans. Mes 2 sous-chefs ont 25 et 24 ans. Ça fait 9 ans qu'ils sont avec moi. Et c'est à eux que  je remets l'affaire. C'est pour ça qu'il y a une grosse énergie. Encore aujourd'hui, on a créé 2 plats ce matin. Je les laisse faire. Essayez de faire ça dans une cuisine en France, et vous allez voir ce qu'ils vont vous dire. (Rires). Ils vont vous faire un sourire et ils vont dire. « Ouais, c'est pas mal, mais peut-être qu'avec une sauce à la crème ce serait mieux ».

Alors justement, tout à l'heure vous disiez que vous passiez la main à vos sous-chefs. Qu'est-ce que vous allez faire ?

Comme  je travaille avec mes enfants aussi, on a beaucoup à développer. Je suis toujours demandé, surtout dans la région Asie Pacifique. Je n'ai jamais le temps d'honorer ces invitations car je suis un cuisinier et donc je suis dans ma cuisine. J'aime voyager si je n'ai pas les soucis de mes restaurants. Avec mes enfants, on compte développer d'autres restaurants sous le nom des Gitans. J'ai aussi une grosse participation dans une station balnéaire Turtle Island à Fidji. Ça fait 22 ans que je suis là-bas.  Donc je pourrais leur consacrer plus de temps,  c'est un endroit que j'adore et qui est merveilleux. J'ai beaucoup de personnel là-bas aussi, qui est le même depuis très longtemps, donc je suis content.

Parce que la cuisine vous manquerait, non ?

Mais je n'arrêterais pas la cuisine, je n'ai pas l'intention d'arrêter de faire la cuisine. Je suis beaucoup trop jeune et j'ai beaucoup trop d'énergie pour m'arrêter comme un retraité en France. Je ne veux pas faire ça. (Rires).

Est-ce que vous aviez des mentors quand vous avez commencé ?

Non, je suis venu à la cuisine tout seul. Je n'ai pas travaillé dans les grandes maisons, je n'ai pas de chefs qui m'ont influencé. Non. C'est pour ça que j'ai été content de créer et développer mon propre style ici.

Quels sont les restaurants, les chefs, les tendances qui vous intéressent en ce moment sur Melbourne ?

Pas seulement sur Melbourne. Je trouve qu'en Australie il y a des jeunes qui sont vraiment intéressants. Je pense à Ryan Squires à Brisbane, avec son restaurant Esquire, c'est un jeune qui va éclater dans le futur et ça va être superbe. Et je pense à Ben Shewry, à Attica, ici. C'est super. Ces jeunes sont tellement gentils, ont tellement de respect pour moi. Je les encourage s'ils ont besoin de quelque chose, je leur donne des conseils. Il y a pas mal de chefs aux Etats-Unis aussi qui bougent, qui ont de bonnes idées, qui sont contemporains, qui offrent quelque chose de différent. Aujourd'hui, en France on n'a toujours pas compris que c'est lassant. On s'ennuie dans leur restaurant. Il n'y a rien de nouveau, rien d'excitant. On s'assoie sur une chaise et on ne bouge plus jusqu'à la fin du repas. Je veux plus de ça, c'est fini. Il y a longtemps que c'est terminé, il faut créer une attraction pour les gens, les faire sourire, donner un peu de théâtre, un peu d'excitation. Qu'ils ne se rappellent pas que de la nourriture mais se disent « Tiens, on a passé une soirée super, l'expérience était vraiment amusante ». On s'étonne que dans les 15 meilleurs restaurants du monde, il n'y en ait aucun français. Il y a peut-être une raison.

Revenons à comment vous vivez Melbourne. Pourquoi avez-vous choisi Melbourne ?

Parce que j'avais un contact à travers l'ambassade d'Australie en France. Je suis venu une semaine avant pour voir comment c'était et ça ne m'avait pas plu, mais on devait partir alors on a débarqué avec ma femme, qui  est anglaise, et nos deux jeunes filles.

Quelles ont été vos premières impressions ? Vous dites que vous n'avez pas aimé.

C'était difficile. J'ai mis 5 ans à m'habituer. C'est un pays qui était très anglo-saxon à l'époque, qui a beaucoup changé aujourd'hui. Et donc c'était un style de vie différent. Moi qui suis très latin, j'aime sortir le soir, j'aime voir les gens, un peu de monde partout, il y a  30 ans, ce n'était pas le cas ! (Rires). A 5h de l'après-midi il n'y avait plus personne. 

Les changements les plus importants que vous avez trouvés depuis que vous vivez ici.

L'évolution des produits et l'évolution de la mentalité des gens. Ils ont appris à s'habiller aussi. Les Australiens ont appris à changer leur habitudes, à s'initier à une vie plus cosmopolitaine parce qu'ils voyagent beaucoup et ils ont vu comment c'était à l'étranger, donc ils veulent faire pareil. Et ça c'est super bien.

Vous auriez des vacances idéales en Australie, vous iriez où ? Ca serait quoi ?

J'aime toutes les régions d'Australie… J'aime bien la Tasmanie mais aussi le Nord, et l'intérieur du pays. Moi j'aime beaucoup les Aborigènes, l'art Aborigène. Je travaille beaucoup avec les produits du bush. Donc non, je suis très heureux partout ici. Pas de préférence.

Avez vous avez un artiste préféré ?

Albert Namatjira. De loin.

Votre plat ou votre boisson préféré(e) en Australie ?

J'aime beaucoup le vin australien. Il y a des choses qui sont superbes, peut-être le Basse Philippe Pinot, parce que je viens de Bourgogne, donc j'aime bien les Pinots noirs. Pour moi c'est de loin le meilleur pinot en Australie. Mais il y a des choses exceptionnelles, comme tous les Shiraz et les Jasper Hill, les cabernets de la Margaret River, c'est extraordinaire.

Comment est-ce que vous pourriez définir en 3 mots l'Australie ou les Australiens ?

C'est un pays très jeune avec un grand futur, parce que l'Australien a un esprit très ouvert. L'Australien veut toujours découvrir quelque chose, et il n'a pas de prétention, s'il ne connait pas quelque chose, il le dit. Et ça, c'est tout à son honneur. C'est pour ça qu'il réussit, parce qu'il veut s'instruire, connaitre.

Propos recueillis par Sophie Short (www.lepetitjournal.com/melbourne) Mardi 15 Octobre 2013

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