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La communauté française à l’heure du Coronavirus en Turquie (II)

Coronavirus Turquie vie quotidienne communauté françaiseCoronavirus Turquie vie quotidienne communauté française
Écrit par Albane Akyüz
Publié le 14 avril 2020, mis à jour le 11 janvier 2024

Ils/Elles, d’horizons professionnels variés dans différentes villes de Turquie, ont accepté de raconter leur expérience de la période : télétravail, chômage « technique », activité ralentie, ces témoignages mettent en lumière les incertitudes et les challenges rencontrés par la communauté française de Turquie, à l’heure de la pandémie de Covid-19.

Jacques & Françoise, humanitaires en organisation internationale (Gaziantep)

Nous nous sentons privilégiés ici

Nous vivons à Gaziantep depuis 2 ans et demi. Employés par une des agences de l’ONU en tant que chargés de Programme, nous travaillons avec les déplacés dans le Nord-Ouest syrien. En ajustant les modalités et la qualité de l’assistance, nous cherchons à assurer aux familles bénéficiaires la couverture de leurs besoins immédiats tout en soutenant la marche de l’économie locale. Nous travaillons depuis Gaziantep, avec des collaborateurs sur place en Syrie, étant donné qu’il est pour nous formellement interdit de nous y rendre. 

Depuis le 16 mars, en raison de la pandémie liée au covid-19, l’accès à nos bureaux est impossible, la sécurité nous en refoule ! Par conséquent, la qualité de notre connexion internet a été améliorée afin que l’on puisse travailler de la maison dans de bonnes conditions.

En Syrie, il y a des cas positifs de Covid-19 côté gouvernement de Damas. Selon le bilan officiel, il y aurait 25 cas, et 2 décès.

Dans les camps du Nord-Ouest, il n’y a pour l’instant pas de cas, et on croise les doigts : vu les conditions de vie dans ces camps, avec plusieurs familles par tente, entre les enfants et les personnes âgées, tous en situation de détresse, une épidémie s’avérerait dramatique. Comme il existe des points de passage, le Nord-Ouest de la Syrie, même isolé, n’est pas imperméable aux transmissions virales. Du côté des services de santé, des mesures préventives ont été prises assez rapidement ; il y a par ailleurs de très bons médecins dans le Nord-Ouest de la Syrie, toutes spécialités confondues, même s’ils sont vraiment peu nombreux. Les ONG actives dans le secteur médical ont envoyé en prévision du matériel de protection (masques, gants, tenues) et dispensé les formations adaptées. Le Health Directorate (qui régit les services de santé dans la zone d’opposition syrienne) très bien organisé, administrant un laboratoire d’analyses et gérant beaucoup de personnels de santé, coordonne une grande partie de l’aide médicale.

Il y a dans le Nord-Ouest syrien deux types de camps de déplacés : des "camps formels" dans lesquels les besoins de la vie quotidienne sont à peu près assurés - logement (tentes), nourriture, services sanitaires -, et des "camps informels", qui peuvent se trouver dans des lieux tels que des écoles désaffectées et dans lesquels les services sont limités. Malheureusement, qu’ils soient informels ou formels, les camps ne peuvent pas accueillir tout le monde et restent des structures précaires. 

Aussi, il existe environ 300 centres de santé encore opérationnels (personnels, médicaments et équipements soutenus par l’aide internationale, dont l’Europe et la France), dispersés un peu partout sur le territoire du Nord-Ouest, et délivrant des soins gratuits. Le même nombre a été rendu inopérant, directement ou indirectement, par le conflit. Le Health Directorate prend aussi part à l’organisation et à la gestion de ces centres de santé.

Au début de la pandémie, on nous a proposé de rentrer en France, mais entre le télétravail en Europe et ici, on a préféré rester dans le contexte et le même fuseau horaire. Nous avons vécu en Afrique de l’Ouest dans le passé (avec des restrictions de sécurité importantes), et également en Asie du Sud-Est où une catastrophe naturelle avait semé la désolation. Nous sommes vigilants, limitons nos déplacements et nos contacts. On trouve à Gaziantep de bons hôpitaux avec un système de santé en mesure de répondre à la pandémie. 

Ce sont les humanitaires qui devraient être davantage auprès des politiques pour les conseiller dans ce genre de crises. Pour notre part, on sait s’adapter aux situations de crise (y compris pour la discipline, ce qui n’est apparemment pas toujours le cas en France). 

Par rapport à la pandémie, nous nous sentons privilégiés ici ; il n’y a pas pour nous de grand changement au quotidien, à part le fait qu’on ne puisse pas aller au bureau, sortir faire du sport ou boire un café ! La ville jouit d’une belle réputation en matière de gastronomie et le tourisme local y est bien présent ; les étrangers ne venant presque plus, en raison de la trop grande proximité avec la frontière syrienne. Il n’y a plus de vols domestiques de toute façon, donc la plupart des hôtels ont fermé. Mais on peut sortir autant que l’on veut (à l'exception du couvre-feu de 48h les 11 et 12 avril) tant que l’on fait partie de la tranche d’âge 20-65 ans et que l’on porte un masque dans les lieux publics. 

Au début de la crise, on a pu observer quelques familles faire des stocks, mais on n’a pas connu de queues ou de supermarchés dévalisés. Dans Gaziantep, il n’y a pas eu d’hystérie. Nous vivons dans un quartier de classe moyenne. 80% des gens qui passent dans la rue portent un masque. On peut voir dans les rues des panneaux d’affichage : « le coronavirus n’est pas plus fort que les mesures que vous prendrez », et dans les magasins, des affichettes « ne touchez que ce que vous achetez » sont placardées un peu partout. Par contre, dans les petits commerces de quartier, rien n’a vraiment changé, les gens font attention mais les règles sont inégalement respectées. 

Au supermarché Migros, on nous prend désormais la température à l’entrée. Dans d’autres supermarchés, on a aussi pu voir un caissier donner de l’eau de Cologne à un client avant qu’il ne fasse son code ; un autre portait à la fois un casque à visière et un masque. 

Ce décalage avec les pics épidémiques chinois et européen donnera à la Turquie la possibilité d’adopter la réponse apparaissant comme la plus adéquate (on espère, du moins). 

L’ambiance est pour le moment à la patience ; les gens font attention et la vie continue, au ralenti.

Philippe, directeur financier dans une entreprise française basée en Turquie (Istanbul, actuellement confiné en France)

En tant que financier, je suis inquiet pour la période à venir

Je suis parti d’Istanbul pour me rendre en France le vendredi 13 mars. A l’origine je partais pour une semaine de vacances, et ce jour-là, j’étais loin d’imaginer que quelques heures après mon départ, la Turquie allait annoncer la suspension des vols. Dans les jours qui ont suivi, j’ai essayé de rentrer à Istanbul, mais ne souhaitant ni avoir de vols en correspondance ni être confiné quatorze jours sans accès internet dans une résidence d’état, j’ai préféré, avec l’accord de ma direction, rester en France. 

Notre entreprise dispose de trois sites à Istanbul et dans sa région : un qui regroupe les bureaux et la direction, et deux usines. La première usine, qui travaille principalement pour le groupe (international), est à l’arrêt actuellement dans la mesure où elle est dépendante des sites européens, eux-mêmes à l’arrêt. Donc pour cette usine, les employés ont été mis en congés payés pour le moment.  Son activité devrait reprendre doucement courant avril. La deuxième usine, qui produit principalement pour le marché local, fonctionne tant bien que mal. Certains salariés qui ont des maladies chroniques ont été mis à l’arrêt, on manque donc de main d’œuvre.

Sur l’ensemble de l’activité, la production tourne à environ 30 à 40% de ses capacités.

L’entreprise a créé un « comité covid » qui se réunit au moins une fois par semaine, avec des plans d’action et des suivis. 

Concernant les conditions de sécurité mises en place pour les employés : à leur arrivée, les températures sont prises, chaque salarié est doté de masques et gants tous les jours, les postes de montage ont été aménagés pour qu’il y ait au moins 1,5/2m de distance entre chaque employé, à la cantine la moitié des chaises a été enlevée, afin de respecter les règles de distanciation sociale. Des visites quotidiennes de l’usine sont faites avec le directeur d’usine, les ressources humaines, le médecin de l’entreprise et d’autres services.  Ensuite leurs observations sont suivies de plan d’action et remontent au « comité covid ». 

A l’usine qui fonctionne actuellement, les gens sont très demandeurs de protection. 

Nos salariés rencontrent des difficultés au niveau des trajets, depuis la mise en place de checkpoints entre les villes (prise de température et contrôle des documents). Ceux qui habitent à Istanbul, et qui doivent se rendre à l’usine en dehors d’Istanbul ont mis jusqu’à 5 h (au lieu de 45 minutes) pour leurs trajets à cause des contrôles, et certains n’ont pas toujours pu passer. 

Travailler depuis la France ne change pas grand-chose pour moi à court terme, si j’étais à Istanbul je serais en télétravail également. Déjà en temps normal je travaille beaucoup par téléphone et Skype avec les différents sites.  

En tant que financier, je suis inquiet pour la période à venir. On livre actuellement encore pour de gros projets en Turquie, mais pour l’activité de flux avec la distribution, l’année sera fortement impactée.  

A mon sens, cette crise risque de durer longtemps, beaucoup d’entreprises ne pourront pas se relever financièrement. La Turquie vit déjà à crédit, si la crise sanitaire dure plusieurs mois, avec l’effet domino, beaucoup d’entreprises vont disparaître. 

Pour le moment, j’attends avec hâte de pouvoir rentrer à Istanbul. 

Hélène Bottin, auto-entrepreneure & freelance (Fethiye, Muğla)

Mes préoccupations sont surtout vis-à-vis du tourisme

À Fethiye depuis 2016, je travaille déjà en télétravail en tant qu’auto-entrepreneure. D’abord blogueuse pour Startingbooks (chroniques littéraires), j’ai décidé de créer ma société de conseil littéraire et éditorial. Avec Edit., ma « petite entreprise », j’accompagne et conseille des particuliers autour de l’écriture de leur manuscrit (roman, témoignages, etc.) et je collabore aussi avec des professionnels autour de leurs écrits de communication (conseil, relecture, réécriture et correction). 

À titre personnel, je ne peux pas tellement évaluer l’impact de l’épidémie sur mon travail, dans la mesure où mon activité est, par essence, fluctuante puisque mes missions varient au cours des mois. 

Ici, il y a très peu de Français (mais beaucoup d’Anglais !), malgré cela je me sens plutôt encadrée, grâce aux mails réguliers du Consulat général de France à Istanbul, mais aussi bien informée grâce aux articles du Petitjournal.com Istanbul ! 

De plus, je dois dire que la mairie de Fethiye prend énormément de mesures d’action et de prévention en lien avec le coronavirus, elle accompagne assez bien ses habitants. Il y a des points, par exemple, où l’on peut trouver du désinfectant dans les rues ; les poubelles sont désinfectées régulièrement, donc je me sens plutôt en sécurité. Aussi, les marchés fonctionnent, mais c’est très réglementé (masque, distanciation sociale, etc.).

Mes préoccupations sont surtout vis-à-vis du tourisme. La ville de Fethiye vit au rythme de la saison touristique 7 mois de l’année au moins (avril-novembre). Le climat est donc à l’inquiétude, car la saison devait en principe commencer mi-avril. 

Mon mari, qui est turc, est professeur de voile, de surf et capitaine de bateau pour un hôtel. En tant que saisonnier, il vit grâce au tourisme, s’il ne peut pas travailler avant le mois de juin, c’est un gros manque à gagner pour lui cette année, comme pour beaucoup de personnes ici – certains commencent déjà à réorganiser leurs équipes pour ne pas se noyer financièrement. Et c’est aussi une énorme pression supplémentaire pour moi… 

 

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