Saviez-vous qu’Istanbul abrite de majestueux palais… pour oiseaux ? Ces maisons délicates, gravées dans la pierre, incarnent l’architecture ottomane et une vision poétique de la coexistence avec la nature.
Une des caractéristiques de l’architecture ottomane attire l’attention par son originalité : la présence de maisons d’oiseaux aux murs des mosquées ou des édifices officiels. On peut ne pas les remarquer si on ignore leur existence. Mais il suffit parfois de lever les yeux et d’observer, pour découvrir des palais en miniature…
C’est que des tailleurs de pierre amoureux des oiseaux ont accroché pour eux, aux parois des mosquées, médressés, caravansérails, fondations ou autres bâtiments, bien à l’abri du vent du Nord et de la forte chaleur, à une hauteur suffisante pour échapper aux prédateurs, des constructions en pierre dentelée, souvent à deux étages, qui comportent de petites pièces, des entrées, des fenêtres, des colonnes, des arches, et même de minuscules escaliers ! En Turquie, de nombreux noms, comme « Palais à moineaux », « Kiosques à oiseaux » ou « Nichoirs à pigeons », servent à les désigner. Depuis quand existent-elles ? La coutume est très ancienne puisqu’en Anatolie, on peut remarquer des nichoirs dans les murs de l’hôpital d’Izzeddin Keykavus, à Sivas, édifié au XIIIe siècle.
Mais généralement, les plus anciennes, confectionnées en bois, n’ont pas résisté aux outrages du temps. De même, celles qui ont été construites en briques se sont souvent abîmées au fil des siècles. À Eminönü, la maison d’oiseaux placée sur l’un des murs d’un ancien caravansérail proche du Grand Bazar, le « Büyük Valide Han » ou « Grand Han de la Sultane-Mère », fondé en 1651 par la sultane Kösem, mère des deux souverains Murad IV et Ibrahim 1er, a perdu une partie de sa façade.
Cependant, on peut en admirer un assez grand nombre construit en pierre à Istanbul à partir du XVIe siècle et qui sont chacune représentative des tendances architecturales et esthétiques de leur temps. Elles sont généralement de deux sortes, soit faites d’une cavité dans le mur ou au contraire, montées en relief sur la paroi.
Les plus faciles à observer se trouvent sur la citerne octogonale de Taksim, qui a donné son nom à la place, à l’entrée de la rue d’Istiklal Caddesi, à Beyoğlu et datent de 1732. Elles imitent des maisons à encorbellements et comportent des lucarnes.
On peut aussi en voir à Eyüp, par exemple au mur du médressé de Seyyid Hasan Pacha, où la construction comporte des étages et des ouvertures à moucharabiehs.
Cependant, les plus extraordinaires sont celles d’Üsküdar, dans les mosquées Yeni Valide Camii, Ayazma Camii et Selimiye Camii, datant toutes trois du XVIIIe siècle.
Sur les murs de Yeni Valide Camii, le palais devient une mosquée, flanquée de deux minarets dont on n’a omis aucun détail, même les ornements du faîte.
Et sur les trois parois de la mosquée Ayazma Camii, les architectes ont réalisé d’extraordinaires palais dignes d’oiseaux de légende, à plusieurs corps, avec des toits bombés.
Quant à la mosquée de Selimiye Camii, on peut y observer une sorte de manoir miniature, aéré par une multitude de fenêtres à meneaux.
Rappelons qu’à l’époque du Chamanisme, les anciens Turcs vénéraient déjà les oiseaux et le chaman essayait parfois, par son costume, d’imiter leur apparence. Plus tard, à l’époque ottomane, le motif de l’oiseau fut non seulement essentiel dans la littérature, mais aussi dans la croyance religieuse. Beaucoup de fontaines étaient agrémentées d’abreuvoirs pour les oiseaux ; et encore à notre époque, il est fréquent d’en faire sculpter un sur la plaque de marbre des tombeaux, au cimetière.
Lors de la moisson, il était habituel de laisser dans le champ une certaine quantité de blé appelée « le droit des oiseaux ». La ville de Bursa possédait un « hôpital à cigognes ». Et de nombreuses fondations récoltaient des fonds pour nourrir les animaux ; dès lors, commander une maison d’oiseaux faisait partie des actes de bienfaisance.
Observer l’activité qui règne dans les maisons d’oiseaux est un spectacle dont on ne se lasse pas. Un moineau s’amuse à rentrer par une fenêtre et à sortir par l’autre ; un couple de petits amoureux s’embrasse ; sur le toit de la maison, un pigeon semble se distraire en faisant des sauts pour rester accroché avec ses pattes sur le mur lisse et tenter de tenir le plus longtemps possible en battant des ailes ; un chardonneret gravit en sautillant le petit escalier ; une hirondelle se pose quelques secondes sur la plateforme puis s’échappe à tire d’aile.
Même aujourd’hui, comme le montrent de nombreux reportages, en dépit de la densité de l’urbanisation, beaucoup d’oiseaux vivent encore au cœur d’Istanbul, sédentaires ou migrateurs, moineaux, pigeons, mésanges, corbeaux, étourneaux, martinets, hirondelles, mouettes, goélands, cormorans, canards, cigognes, huppes, hérons, rapaces, auxquels s’ajoutent désormais les perruches vertes. Les lève-tôt qui sont debout à l’heure de la première prière musulmane savent que, dès que l’appel commence, au lever du soleil, les milliers d’oiseaux de la ville se réveillent soudain et se mettent à pépier tous ensemble. Edmondo de Amicis écrivait déjà dans son merveilleux récit de voyage, Constantinople, publié en 1878 : la ville « a une gaieté et une grâce qui lui sont propres et qui lui viennent d’une infinité d’oiseaux de toutes espèces… Partout à Istanbul, on les a au-dessus de la tête, autour de soi ; on est effleuré par leurs troupes sonores… » Certes, on ne peut comparer leur nombre entre son époque et la nôtre. Il n’en demeure pas moins que, si la ville d’Istanbul est célèbre pour ses chats, elle l’est aussi pour la place d’honneur accordée aux oiseaux…