Édition internationale

Handicap en Turquie en 2025 : que révèle l’accès au quotidien ?

À l’occasion du 3 décembre, Journée internationale des personnes handicapées, regard sur l’accès à l’éducation, à l’emploi et à l’espace public en Turquie. Des progrès, mais un quotidien encore contraint.

Personne en fauteuil roulant avançant sur une voie urbaine, symbole des enjeux d’accessibilité en Turquie.Personne en fauteuil roulant avançant sur une voie urbaine, symbole des enjeux d’accessibilité en Turquie.
Écrit par Sarah Goldenberg
Publié le 30 novembre 2025, mis à jour le 3 décembre 2025

La vie quotidienne, premier indicateur d’inclusion

Sur un trottoir d’Istanbul, la différence se joue parfois à quelques centimètres. Une marche trop haute, une rampe interrompue, un bus qui s’arrête sans abaisser sa plate-forme : pour une personne en fauteuil, ces détails décident du trajet, parfois de la journée entière.

Les chiffres officiels restent rares, souvent issus du recensement de 2011, encore utilisé comme référence dans plusieurs rapports nationaux et internationaux. Les politiques publiques s’appuient sur un cadre légal désormais bien établi, mais l’expérience du handicap se vit d’abord dans les transports, les écoles, les administrations, les immeubles sans ascenseur.

À l’occasion du 3 décembre, Journée internationale des personnes handicapées, zoom sur les droits reconnus et de la manière dont ils se traduisent dans la vie de tous les jours, en Turquie.

 

Des chiffres rares pour mesurer la réalité du handicap

En Turquie, la photographie statistique du handicap reste difficile à établir. Le dernier recensement national incluant des données détaillées sur les limitations fonctionnelles date de 2011. Selon cette enquête, 6,9 % de la population déclarait alors vivre avec une forme de handicap, moteur, sensoriel ou cognitif. C’est encore cette base, désormais ancienne, qui sert de référence aux administrations et à plusieurs rapports internationaux.

Depuis, aucune étude nationale de même ampleur n’a été menée. Les institutions publient bien des chiffres ponctuels, nombre de fonctionnaires handicapés, bénéficiaires d’aides sociales, inscriptions scolaires, mais ces données sont parcellaires et ne permettent pas de mesurer l’évolution globale de la situation. Les Nations unies et l’OMS soulignent régulièrement cette absence de mises à jour, qui limite la capacité à suivre les besoins, les progrès et les inégalités territoriales.

Les associations avancent parfois des estimations plus élevées, notamment pour les handicaps invisibles ou non diagnostiqués, mais ces chiffres ne reposent pas sur des enquêtes nationales systématiques. Le constat est donc clair : une partie de la réalité échappe encore aux statistiques et les évaluations doivent être lues avec prudence.

 

École, emploi, soins : des droits sur le papier, des incertitudes dans la réalité

La Turquie s’est dotée en 2005 d’un cadre législatif global, la Loi 5378, qui garantit aux personnes handicapées l’accès à l’éducation, au travail, aux soins, à la rééducation et aux services sociaux. 

Sur le papier, un quota impose aux employeurs privés de plus de 50 salariés d’employer au moins 3 % de personnes handicapées. Ce même principe s’applique au secteur public, selon les modifications apportées par la loi.

En 2011, lors du dernier recensement national ayant intégré la question, 6,9 % des Turcs déclaraient vivre avec au moins une limitation, moteur, sensorielle ou cognitive. Mais depuis, aucune mise à jour globale et comparable n’a été publiée. L’absence de statistiques récentes rend floue la réalité actuelle, en particulier pour les handicaps invisibles ou non déclarés.

Dans l’éducation, des dispositifs d’école inclusive existent et des établissements accueillent des élèves en situation de handicap. Mais l’accès reste inégal : adaptation des locaux, disponibilité d’accompagnants, ressources pédagogiques, tout dépend du contexte local. Un droit sur le papier, une réalité très variable sur le terrain.

Concernant l’emploi, si le quota légal existe, les témoignages d'entreprises montrent que la mise en œuvre reste irrégulière : les adaptations des postes sont souvent insuffisantes, l’environnement de travail peu adapté et le recours aux quotas peut rester symbolique.

Quant aux soins et à l’accès à la santé ou à la rééducation, le cadre légal prévoit des garanties, mais là encore, la couverture est disparate selon les territoires. Pour les handicaps invisibles ou moins “visibles”, le suivi est souvent absent ou limité.

En définitive, le droit existe, mais les données restent anciennes ou incomplètes. L’inclusion se mesure surtout dans ce qui se vit au quotidien : entrer à l’école, accéder à un emploi, se déplacer dans la ville sans obstacle inutile.

 

Vivre la ville : accessibilité et limites de l’espace public

Dans les grandes villes, l’accessibilité progresse, surtout dans les réseaux les plus récents : bus équipés de rampes, ascenseurs dans plusieurs stations de métro, trottoirs abaissés autour des grands axes. Ces améliorations existent, visibles, mais restent inégales selon les quartiers.

La continuité est souvent le premier frein. Un ascenseur en panne, un trottoir trop étroit ou une rampe interrompue suffisent à compliquer un trajet. Les écarts territoriaux existent, qu’aucune statistique nationale récente ne permet encore de mesurer finement.

L’espace public ne se résume pas à la mobilité : signalétique, éclairage, bruit, densité. Les obstacles varient selon les situations et touchent aussi les handicaps invisibles. Une partie du progrès se joue donc à l’échelle locale, dans la capacité des aménagements à s’enchaîner sans rupture.

 

Initiatives locales et projets qui changent la donne

Sur le terrain, plusieurs initiatives cherchent à faciliter l’accès des personnes handicapées à la vie quotidienne. Elles ne forment pas un ensemble homogène, mais montrent que des solutions existent localement.

Certaines municipalités ont investi dans des aménagements visibles : rampes d’accès sur les plages publiques, ascenseurs dans des bâtiments administratifs, actions de sensibilisation ou formations destinées aux équipes techniques. Sur les côtes, par exemple, des dispositifs installés à Mersin permettent d’entrer dans l’eau en fauteuil. Ces initiatives restent ponctuelles, mais elles témoignent d’une attention plus régulière portée à l’accessibilité.

Des organisations civiles complètent ce travail : activités éducatives ou artistiques, ateliers pour les familles, accompagnement dans les démarches. Leur présence est souvent méconnue, mais elle répond à des besoins réels, notamment dans les régions où les ressources publiques sont plus limitées.

La gestion de l’après-séismes de 2023 a également rappelé la vulnérabilité particulière des personnes handicapées en situation d’urgence. Certains groupes spécialisés ont travaillé sur l’accès à l’information, l’évacuation et les conditions d’accueil, montrant l’importance d’intégrer l’inclusion dans les stratégies de crise.

Ces actions dessinent un paysage fait d’avancées locales, parfois modestes, mais qui ouvrent des pistes concrètes.

 

Ce que 2025 laisse entrevoir pour les années à venir

L’année 2025 confirme un point central : le cadre légal existe, les initiatives locales progressent, mais l’absence de données récentes limite toujours la compréhension de la situation. Sans enquête nationale actualisée, difficile de mesurer les besoins, d’évaluer les avancées ou de concevoir des politiques réellement adaptées.

Les institutions internationales insistent sur cette nécessité. Mieux documenter le handicap permettrait d’ajuster les dispositifs, de renforcer la formation des équipes publiques et d’assurer une continuité des aménagements urbains, encore trop inégale.

Une partie du chemin relève de décisions nationales ; l’autre se joue localement, dans une école qui s’adapte, un équipement entretenu, un trajet rendu possible. L’inclusion dépend autant des textes que de ces gestes concrets.


 

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Flash infos