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Seriez-vous devenu "tulipomane" ?

L’an dernier, l’article de Chantal et Jacques Périn du 20 avril 2023, "La Tulipe… une fleur en or et tout un symbole en Turquie ! " nous avait à peu près tout appris sur l’histoire de la tulipe en Turquie. Mais au moment où fleurit à Istanbul le Festival des Tulipes, voilà encore quelques anecdotes au sujet de cette fleur…

Illustration TulipeIllustration Tulipe
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 15 avril 2024, mis à jour le 27 avril 2024

La raison suprême pour laquelle les Ottomans étaient si attachés aux tulipes est sans doute que, dans la tradition ésotérique nommée "Ebced", qui, s’inspirant de la Cabbale juive, attribue aux lettres arabes une valeur numérique, les quatre lettres composant le nom de la tulipe en turc, "lale", ont la même valeur numérique que le nom de Dieu et que celui du croissant de lune symbolisant l’Islam. Mais ils ont aussi aimé la fleur comme ornement. On raconte qu’un jardinier de Mehmet II le Conquérant, sultan qui développa les jardins dans Istanbul, cultivait déjà plusieurs variétés de tulipes.

 

tulipe
Tulipe ottomane / Miniature ottomane 

 

Kaftan décoré de tulipes
Kaftan décoré de tulipes

 

Les collections de kaftans de sultans montrent que Soliman le Magnifique en possédait plusieurs ornés de la fleur et un document conservé dans les archives nous apprend que son fils Selim II écrivit en urgence à Alep pour qu’on lui envoie cinquante-mille bulbes. En 1577, le sultan Murad III commanda en Crimée trois-cent mille oignons et en 1582, le livre "Surname-i Hûmayun" ou "Livre de la Fête de la circoncision impériale" qui décrivait, en cinq-cents miniatures, les cinquante-deux jours de cérémonies que ce sultan avait organisées pour la circoncision de son fils, le futur Mehmed III, représente, sur l’une des images, la parade des jardiniers autour d’une reconstitution de tulipe géante.

 

Les jardiniers avec la tulipe
Les jardiniers avec la tulipe

 

La tulipe ottomane, une variété disparue et recréée

La tulipe ottomane ou Tulipe d’Istanbul, avait la particularité d’être très longue, en forme d’amande, avec des pétales pointus que l’on comparait à des dagues ou à des aiguilles. Les jardiniers impériaux nouaient d’ailleurs parfois les corolles avec un lacet pour qu’elles restent fermées.

 

Tulipe d'Istanbul
Tulipe d'Istanbul

 

C’est cette variété qui est peinte sur les faïences d’Iznik. Les milliers de carreaux de la mosquée de Rüstem Pacha, à Eminönü, comportent 45 représentations différentes d’œillets et 66 de tulipes réelles ou imaginaires.

 

Un carreau de Rüstem Pacha
Un carreau de Rüstem Pacha

 

Dans les maisons, la tulipe d’Istanbul était souvent placée dans un vase uniflore appelé "Laledan", pour mettre en valeur sa beauté. Elle disparut à la fin du XVIIIe siècle mais en 2020, la municipalité d’Istanbul annonça que les Pays-Bas venaient d’offrir mille bulbes de la "tulipe ottomane" qu’ils étaient parvenus, suite à de savantes greffes, à reconstituer à partir de l’oignon de la "Tulipa Acuminata".

 

Tulipes ottomanes
Tulipa Acuminata

 

Les poétiques noms des tulipes 

Les jardiniers impériaux n’ont pas manqué d’imagination et ont inventé une multitude de noms pour désigner les différentes sortes de tulipes qu’ils avaient élaborées : Visage de l’Aimée, Calice d’Argent, Tissu d’Amour, Lumière du Cœur, Celle que le diamant jalouse, Lumière de Rubis, Flamme du ruisseau, Miroir, Perle inimitable, Matin de printemps, Grenade blanche, Calice de rose, Donneuse de plaisir… Dans le langage des fleurs ottoman, offrir des tulipes rouges équivalait à une brûlante déclaration d’amour, le fond noir de la fleur évoquant un cœur consumé de passion comme un charbon.

Les excès de la Tulipomania hollandaise

La Tulipomania, qui agita si fort l’Europe et en particulier la Hollande au XVIIe siècle, entre 1634 et 1637, a connu des excès qui nous paraissent comiques aujourd’hui. La tulipe devint un symbole de luxe que tous les gens aisés voulaient absolument acquérir. Saisissant l’occasion de s’enrichir, les marchands firent venir d’Istanbul des cargaisons de bulbes.

 

La Tulipomania par Jean-Léon Gérôme
La Tulipomania par Jean-Léon Gérôme

 

La vedette revenait à la "Semper Augustus", ou tulipe-perroquet, panachée de blanc et de rouge, que les horticulteurs obtenaient en greffant un bout de bulbe cassé sur un nouveau bulbe ; on sait aujourd’hui que cette panachure était le résultat d’un virus venu du puceron du pêcher. Quoi qu’il en soit, un oignon de la fameuse "Semper Augustus" se vendit trois mille florins, soit le prix d’un carrosse, un autre fut échangé contre huit veaux et le prix atteignit quinze fois le salaire annuel d’un ouvrier.

 

Semper Augustus
Semper Augustus

 

Tout cela prit brutalement fin le 3 février 1637, lorsque, ce matin-là, personne n’acheta de bulbe ; les cours s’effondrèrent, entraînant de lourdes pertes voire la ruine pour de nombreux spéculateurs. Cependant, l’engouement pour la fleur ne cessa pas dans les arts, on créa même des catalogues ou "Florilegium" la représentant et on continua de la peindre sur les natures mortes.

 

Jan Davidsz de Heem, Vase de Fleurs, vers 1660
Jan Davidsz de Heem, Vase de Fleurs, vers 1660

 

Les folies de l’Ère des Tulipes en Turquie

Après la Tulipomania hollandaise, cette passion fit rage en Turquie sous le règne d’Ahmet III, dans les années 1718-1730, surnommées "L’Ère des tulipes". La tradition consistant à orner tous les jardins de tulipes au printemps s’enrichit de la création d’une "Assemblée des tulipes", destinée à rechercher de nouvelles variétés, à les homologuer et à leur donner un nom. Le prix de certains bulbes rares devint si exorbitant qu’on cite le cas d’un oignon venu de Perse acheté pour mille pièces d’or ! À cette époque, le sultan avait offert l’ancien bâtiment du palais de Çırağan à son grand vizir, Ibrahim Pacha de Nevşehir, époux de sa fille Fatma, et on y célébra, au clair de lune, en avril, de somptueuses Fêtes des tulipes avec des concerts de musique au milieu des fleurs.

 

Ancien palais de Çırağan
Ancien palais de Çırağan

 

On plaçait de petits bouts de miroir au cœur de chaque calice pour créer de féériques jeux de lumière et miroitements. Cependant, la frénésie des tulipes fut à l’origine de tant de vols, escroqueries voire de meurtres, que le sultan se vit contraint de publier un firman pour réglementer les prix.

 

Jardins au printemps
Jardins au printemps

 

La tulipe aujourd’hui

En règle générale, le motif de la tulipe est encore très utilisé en Turquie dans les arts mais aussi pour les objets et accessoires.

 

la tulipe aujourd'hui
Coupe  contemporaine de Pasabahçe / Tasse actuelle de Kütahya décorée de tulipes

 

Pour finir, n’oublions pas que le blason d’Istanbul, créé en 1969, symbolisant les sept collines de la ville surmontées de minarets, et les deux rives du Bosphore frangées par les créneaux des forteresses de Rumélie et d’Anatolie, épouse la forme générale d’une tulipe…

 

Blason d'Istanbul
Blason d'Istanbul

 

 

 

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