Édition internationale

Séries turques : comment la Turquie séduit plus de 150 pays en 2025 ?

Elles font pleurer, rêver, voyager. En 2025, les séries turques s’imposent dans plus de 150 pays. Que révèlent-elles du soft power et des aspirations culturelles de la Turquie ?

Tasse rouge avec l’inscription "Just one more episode", en arrière-plan un écran de streaming, illustration de l’attrait mondial des séries turquesTasse rouge avec l’inscription "Just one more episode", en arrière-plan un écran de streaming, illustration de l’attrait mondial des séries turques
"Un épisode de plus", les séries turques créent l’addiction dans plus de 150 pays.
Écrit par Sarah Goldenberg
Publié le 20 mai 2025, mis à jour le 15 juin 2025

Quand la Turquie s’invite sur les écrans du monde entier

 

Elles font pleurer, rêver, voyager. Les diziler, ces séries télévisées turques aux épisodes fleuves, ont conquis des écrans bien au-delà des frontières nationales. En 2025, elles sont diffusées dans plus de 150 pays, traduites ou doublées dans des dizaines de langues et visionnées par des millions de spectateurs, du Chili à l’Ouzbékistan. À la télévision comme sur les plateformes, leur popularité ne cesse de croître.

Ce phénomène culturel dépasse le simple divertissement. Il raconte l’évolution d’un pays, la force de ses récits et une stratégie d’influence bien rodée. Alors, comment la Turquie est-elle devenue, après les États-Unis, le deuxième exportateur mondial de séries télévisées ? Et que disent ces fictions populaires, sentimentales, parfois politiques, sur l’image qu’elle souhaite projeter au monde ?

 

Un succès mondial aux dimensions vertigineuses

 

Derrière l’engouement international pour les diziler se cache une montée en puissance spectaculaire de l’industrie télévisuelle turque.

 

« Les séries turques offrent une combinaison rare : elles sont émotionnellement puissantes, culturellement riches et visuellement séduisantes », résume une analyste média interrogée par TRT World.

En moins de deux décennies, la Turquie s’est hissée au deuxième rang mondial des exportateurs de séries, juste derrière les États-Unis. Une trajectoire fulgurante, portée par un savant mélange de créativité narrative, de production intensive et de stratégie bien pensée.

Avec plus de 300 productions exportées dans près de 200 pays, la Turquie s’impose désormais comme une place forte de la fiction mondiale. Et l’audience suit : on estime à 800 millions le nombre de téléspectateurs touchés à travers le monde.

Entre 2020 et 2023, la demande pour les séries turques aurait progressé de 184 %. Une dynamique confirmée par les plateformes de streaming : depuis 2021, 47 productions turques ont intégré le Top 10 mondial de Netflix, apparaissant dans 92 pays, avec plus de 180 semaines de présence cumulée.

Un succès qui ne doit rien au hasard. L’État accompagne activement ce rayonnement à l’international : aides à l’export, allègements fiscaux, appui stratégique. Mais si les chiffres impressionnent, c’est bien la qualité des récits, la richesse des formats et l’intensité émotionnelle qui expliquent cette fidélité croissante des publics.

 

Récits universels, ancrage local : l’équilibre subtil des diziler

 

Si les séries turques rencontrent un tel écho à l’international, c’est qu’elles savent conjuguer avec finesse deux dimensions rarement réunies : des émotions universelles et une identité culturelle assumée. Derrière les intrigues sentimentales, les trahisons familiales ou les destins contrariés, se joue une narration profondément structurée, où chaque personnage cristallise une tension entre héritage et transformation.

Loin de l’esthétique épurée des formats nord-européens ou du rythme effréné des productions sud-américaines, les diziler s'imposent par une temporalité singulière, presque théâtrale. Les épisodes s’étirent, les regards durent, les silences prennent le temps de dire ce que les mots taisent. Un parti pris narratif assumé, parfois critiqué, mais qui renforce leur intensité émotionnelle.

À cela s’ajoute un soin particulier porté aux valeurs traditionnelles : respect des aînés, importance de la famille, tension entre modernité et conservatisme. Ces récits intègrent aussi des questionnements contemporains : place des femmes, fractures sociales, luttes de pouvoir, quête d’émancipation. Le tout dans des décors soigneusement choisis, où l’on devine Istanbul, la côte égéenne ou les paysages anatoliens comme autant de personnages secondaires.

Ce mélange d’intime et de collectif, de codes partagés et de spécificités culturelles, explique en partie l’attachement durable des spectateurs. 

 

“İstanbul Ansiklopedisi” : quand la ville raconte une société en transformation

Parmi les dernières productions marquantes, la série İstanbul Ansiklopedisi, diffusée sur Netflix Türkiye depuis avril 2025, incarne cette nouvelle génération de diziler à la fois ancrées localement et traversées par des questionnements universels.

Inspirée par l’œuvre inachevée de l’historien Reşad Ekrem Koçu, la série érige Istanbul en personnage principal. Chaque épisode explore un lieu emblématique de la ville, devenant le théâtre d’histoires sensibles, esthétiquement ciselées, où se mêlent mémoire, transmission, solitude et espoir.

Au fil du récit, deux figures féminines se rencontrent : Zehra, étudiante issue d’un milieu conservateur, et Nesrin, chirurgienne à Istanbul, incarnant un mode de vie urbain et affranchi des codes religieux. À travers leurs échanges, entre colocation, vie universitaire et chocs de valeurs, se révèlent les tensions identitaires et les aspirations d’une génération en transition.

Une fiction sensible et audacieuse, qui illustre la manière dont les diziler peuvent renouveler leur langage, tout en gardant Istanbul et ce qu’elle symbolise au cœur du récit.

 

 

Des écrans à la réalité : les diziler au service du rayonnement turc

 

Le succès international des séries turques ne se limite pas au petit écran : il participe plus largement à la construction d’un imaginaire collectif où la Turquie occupe une place centrale. À travers les diziler, c’est une vision du pays qui s’exporte, entre modernité urbaine et héritage ottoman, paysages spectaculaires et liens familiaux puissants. Un soft power narratif, où la fiction devient levier d’influence.

À mesure que ces séries circulent, c’est tout un univers visuel et émotionnel qui s’imprime dans l’esprit des spectateurs. Istanbul y apparaît tour à tour sensuelle, mystérieuse, cosmopolite. Ses ruelles, ses palais, ses villas en bord de Bosphore deviennent autant de décors récurrents que de repères familiers. D’autres régions entrent aussi dans le cadre : la Cappadoce, les villages anatoliens, les côtes de la mer Égée… Autant de paysages qui, par la fiction, deviennent désirables.

 

Ce phénomène a un nom : le dizi tourism.

 

De plus en plus de visiteurs internationaux citent une série turque comme déclencheur de leur envie de voyager en Turquie. Certains quartiers, comme Balat ou Kuzguncuk à Istanbul, voient affluer les curieux. Des agences proposent désormais des circuits « sur les traces des séries », mêlant lieux de tournage et découverte culturelle. La frontière entre fiction et réalité s’efface doucement, au profit d’une expérience vécue.

En valorisant ses territoires et ses récits, la Turquie transforme ses séries en outils d’image et d’attractivité. Elles permettent de projeter, au-delà des frontières, une identité plurielle, sensible, complexe, bien loin des clichés ou des lectures purement géopolitiques. Les diziler ne vendent pas un modèle : elles racontent un pays qui émeut et qui intrigue.

 

Un récit turc en pleine expansion

 

Loin d’un simple phénomène télévisuel, les diziler turques s’imposent aujourd’hui comme un langage à part entière : un art de raconter, de transmettre, de faire sentir. Elles explorent les émotions humaines dans ce qu’elles ont de plus universel, tout en inscrivant chaque récit dans les tensions, les aspirations et les paysages propres à la Turquie contemporaine.

Face à la saturation des formats occidentaux et à l’uniformisation des contenus, leur singularité offre une alternative narrative précieuse. Elles proposent une autre manière de regarder un pays. 

Portées par un écosystème en plein essor, des plateformes internationales et une audience toujours plus large, rien ne semble freiner l’essor des diziler.  Tant qu’elles continueront à naviguer entre les fractures et les élans d’un pays en mouvement, les diziler garderont ce pouvoir rare : celui de toucher juste, partout à travers le monde.

 

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