Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 16
  • 0

Lions, léopards, rhinocéros, ours et autruches : les ménageries des sultans

On sait que depuis l’Antiquité, puis chez les Byzantins, le pouvoir absolu, en symbole de sa suprématie, s’est plu à collectionner les animaux exotiques. Les sultans de Turquie n’ont pas échappé à cette règle et ont très tôt manifesté un goût certain pour les ménageries puisqu’au XIIIe siècle, le sultan seldjoukide Giyaseddin II fut tué par le lion qu’il avait apprivoisé...

Un léopard noir sur une miniatureUn léopard noir sur une miniature
Un léopard noir sur une miniature
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 4 mars 2024, mis à jour le 20 mars 2024

Les chroniqueurs racontent qu’après la prise de Constantinople, lors de la construction du palais de Topkapı, les bâtiments étaient entourés de beaux jardins ornés de nombreuses espèces d’oiseaux mais aussi de cerfs, renards, chèvres d’Inde et biches qui s’y promenaient en liberté parmi les arbres.

 

Biches dans les jardins du palais
Biches dans les jardins du palais

 

Mais bien vite, les sultans eurent à cœur d’exposer leur collection, en plaçant les animaux exotiques dans la première cour du palais. Au XVIe siècle, un ambassadeur autrichien raconte y avoir vu avec stupéfaction dix lions et deux tigres attachés avec des chaînes d’or. D’autres diplomates ne manquent pas de faire remarquer que lamas, autruches, léopards et singes vivent dans les jardins du sérail et s’extasient sur le fait qu’on soit parvenu à les apprivoiser. C’est le cas de  Ghislain de Busbecq qui déclare au XVIe siècle, dans ses Lettres turques : "J’ai vu à Constantinople diverses espèces de bêtes sauvages ; des lynx, des chats sauvages, des panthères, des léopards, et des lions, si bien domptés et apprivoisés que, sous mes yeux, l’un d’entre eux supporta que son maître lui ôte de la bouche une brebis qui y était déjà enfoncée et resta tranquille… J’ai vu aussi un tout jeune éléphant, étonnamment gracieux, qui pouvait danser et jouer à la balle…"

 

Miniature avec un lion
Miniature avec un lion

 

Il semble surtout que les padischahs aient eu la passion des oiseaux de toutes sortes. Les voyageurs évoquent d’immenses volières contenant des ibis et des oies sauvages. A l’art de la fauconnerie s’ajoutait l’élevage de volatiles utilisés pour la chasse ou pour leurs plumes, des pigeons voyageurs et aussi des oiseaux chanteurs, en particulier les rossignols aux pattes baguées de nacre, comme l’indique la charge du palais portant le poétique nom de "Maître des Rossignols". Au XIXe siècle existait aussi, à Bursa, un hôpital à cigognes. Et le dernier sultan, Vahdettin, est connu pour sa collection de pigeons d’espèces rares.

 

Oiseaux exotiques sur une miniature
Oiseaux exotiques sur une miniature

 

Ces animaux étaient souvent des cadeaux offerts par les différents pays composant alors l’Empire ottoman ou par des souverains étrangers. On les faisait défiler lors des somptueuses cérémonies organisées pour les fêtes de circoncision ou de mariage des princes impériaux, où l’on présentait aussi des spectacles d’animaux dressés. En 1582, lors des deux mois de festivités offertes par Murad III pour la circoncision de son fils Mehmet, si extraordinaires qu’elles sont relatées dans de nombreuses chroniques et représentées sur des miniatures, on organisa des spectacles de singes chevauchant des chèvres et des luttes entre des hommes et des ours bruns, pour distraire les 1500 enfants circoncis en même temps que le prince impérial. On cite aussi l’exemple, en 1619, du chah d’Iran Abbas, qui envoya, entre autres présents, quatre éléphants et un rhinocéros au sultan Genç Osman.

 

Miniature de l'époque d'Ahmed III
Miniature de l'époque d'Ahmed III

 

Une malheureuse girafe arrivée sous le règne de Mahmoud II, fit la joie des badauds accourant pour la voir exhiber mais ne résista pas aux rigueurs de l’hiver stambouliote ; elle succomba rapidement et aurait ensuite été offerte en pâture aux lions. Ghislain de Busbecq la décrit sans l’avoir jamais vue de ses yeux et raconte qu’il l’a fait déterrer pour examiner son squelette. Pierre Belon, quant à lui, aurait vu à Topkapi une sorte de monstre venu du Nil, sans doute un hippopotame, dont il note l’odeur nauséabonde.

 

Tête d'hippopotame sur une miniature
Tête d'hippopotame sur une miniature

 

Où se trouvaient donc les ménageries ? Selon le témoignage de plusieurs voyageurs, des bâtiments situés à côté de l’Hippodrome et de Sainte Sophie avaient été convertis en ménageries, avec, en particulier une cage à lions et un enclos à éléphants, ce qui est confirmé au XVIIe siècle par les récits du voyageur ottoman Evliya Çelebi, qui parle aussi de loups, ours, chacals, crocodiles et tigres. Cela dura jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, où, suite à un séisme et un incendie, les ménageries furent transférées à Yedikule, que l’on avait cessé d’utiliser comme prison en 1831. Lamartine raconte d’ailleurs dans son premier Voyage en Orient, sa frayeur lorsque, désobéissant au gardien lors de sa visite du Château des Sept Tours, il entrouvre une porte et se retrouve nez à nez avec un lion : "Je fais quelques pas, j’entends un rugissement qui fait vibrer la voûte et je me trouve face à face avec un superbe lion enchaîné." De plus, l’ancien quartier d’Ayvansaray ou "le palais des animaux", tirerait son nom des entrepôts où l’on gardait les éléphants.

 

Mukrime Hatun, épouse de Méhmet le Conquérant, XVe siècle
Mukrime Hatun, épouse de Méhmet le Conquérant, XVe siècle

 

En 1864, quand Abdülaziz fit reconstruire le palais de Beylerbeyi, ravagé par un incendie, il y fit édifier des pigeonniers, des volières et aussi une cage à lions car il aimait beaucoup les fauves. De même, lorsqu’en 1880, Abdülhamid II s’installa à Yıldız, il réunit avec passion toutes sortes d’animaux. En plus de son immense chenil et de ses cabanes à chats, il fit apporter de nombreuses variétés d’oiseaux, oies, autruches, faisans mais aussi des animaux exotiques, singes, girafes, zèbres, dont on peut voir les photos sur l’immense collection des albums du palais de Yıldız.

 

Oiseaux à Yıldız
Oiseaux à Yıldız

 

Zèbre à Yıldız
Zèbre à Yıldız

 

Et trois ans plus tard, il appela un Parisien, le docteur Jombard, pour veiller sur la santé de ses ménageries. C’est grâce aux relevés de ce dernier que l’on sait qu’il se trouvait alors à Yıldız six mille pigeons, des serins, des chardonnerets, des cygnes de plusieurs espèces, des oies d’Egypte, des canards mandarins et des sarcelles, dont vingt oiseliers avaient la garde. C’est à partir de cette époque que se déroulèrent de nombreuses tentatives successives pour installer à Istanbul un grand zoo, toutes cependant sanctionnées par un échec. Il se trouvait pourtant dans le quartier levantin de Péra, en face du Palais de France, un petit musée zoologique exposant des curiosités, dont un python de neuf mètres. Mais ce n’est qu’en 1955, à Gülhane, que le premier parc zoologique vit le jour à Istanbul et il se perpétua jusqu’en 2001, date à laquelle des plaintes des amis des animaux dénonçant les conditions de détention des fauves, entraînèrent sa suppression.

 

Parc de Gülhane dans les années 1960
Parc de Gülhane dans les années 1960

 

Aujourd’hui la ville d’Istanbul et ses environs possèdent plusieurs nouveaux parcs animaliers et aquariums géants, qui perpétuent, à leur façon, l’intérêt de jadis pour les espèces exotiques…

 

Pour recevoir gratuitement notre newsletter du lundi au vendredi, inscrivez-vous en cliquant ICI  

Suivez-nous sur FacebookTwitter et/ou Instagram

Flash infos