Saviez-vous qu'à partir du siècle de Louis XIV, s’habiller à la mode ottomane était un véritable art de vivre à la cour ? Exploration d’une fascination française, entre stratégie diplomatique et goût du raffinement.


À l’époque où l’on se costumait en Turc…
À partir du XVIe siècle, après la signature de l’entente entre François Ier et Soliman le Magnifique, apparut une fascination mêlée de crainte envers les mœurs et les coutumes de l’Empire ottoman. Le genre littéraire du récit de voyage chez les Turcs se développa alors, comme Le Voyage du Levant de Pierre Belon en 1551, ou le livre de l’ambassadeur des Habsbourg, Ogier Ghiselin de Busbecq, publié sous forme de quatre Lettres turques après son séjour à Constantinople, entre 1554 et 1562, pour ne citer que deux exemples fameux.

Dès lors, se déguiser en Turc allait devenir un « must » des soirées costumées, même si la représentation des Turcs était essentiellement fondée sur un imaginaire fantasmé.
Le 17 février 1665, pour le bal costumé de la Grande Antichambre du roi au Louvre, soir de mardi gras, où Louis XIV apparut en dieu Mars, les invités furent éblouis par les costumes étrangers, décrits comme « de superbes habits semés de perles, de rubis, de diamants et de topazes, sur de beaux fonds d’or et de gazes », dont plusieurs vêtements turcs.

Cependant, il fallut attendre 1669 pour qu’un premier émissaire ottoman, Soliman Aga, soit envoyé en France, les relations diplomatiques ayant été rompues par le jeu des alliances de la guerre austro-turque. Si le faste des réceptions données à Paris par Soliman Aga, qui fit découvrir le café à ses invités, agaça Louis XIV, il organisa quand même une fête en son honneur mais le voyageur ne lui manifesta pas les marques de déférence attendues.

De plus, lorsque Louis XIV découvrit que Soliman Aga n’était pas un ambassadeur officiel de la Sublime Porte mais un simple envoyé en mission d’observation, désireux de se venger, il demanda à Molière et Lully de créer une pièce de théâtre où l’on pût faire « entrer quelque chose des habillements et des manières des Turcs ». Ce fut donc, l’année suivante, la comédie-ballet "Le Bourgeois gentilhomme", avec la fameuse cérémonie en déguisements turcs où Monsieur Jourdain, croyant avoir marié sa fille au « fils du Grand Turc » est promu à la dignité de « mamamouchi » sur la musique de Lully.

Même si la visite de Soliman Aga en France ne fut pas vraiment un succès diplomatique, elle permit toutefois aux Parisiens de découvrir « de visu » un élément qu’ils n’étaient pas près d’oublier : la somptuosité des parures ottomanes.
Cette tendance culmina au XVIIIe siècle, qui fut la grande époque des Turqueries. En effet, après le retour en France de l’ambassadeur Charles de Ferriol, qui venait de passer douze ans à Istanbul, parut en 1714 un livre qui connut un succès considérable : le Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant, dessins réalisés à partir de tableaux du peintre valenciennois Jean-Baptiste Van Mour et qui représentaient les vêtements des différentes classes sociales et populations de l’Empire ottoman.

De plus, ce fut le 21 mars 1721 que le premier véritable ambassadeur ottoman, Mehmet Efendi, arriva aux Tuileries, scène immortalisée par le peintre Charles Parrocel.

Il resta un an en France et écrivit ensuite un récit, parfois humoristique, de son séjour, retraduit en 2004 par Gilles Veinstein, sous le titre "Le Paradis des Infidèles". Sa venue suscita une curiosité extrême : tous les Parisiens étaient aux fenêtres pour l’apercevoir et ensuite, le Régent et le futur Louis XV, alors âgé de onze ans, l’invitèrent à toutes les festivités de la cour, bals et parties de chasse. Dès lors, la « mode turque » ne faiblit plus. Le fameux bal des Ifs, fête costumée donnée à Versailles en 1745 pour le mariage du dauphin Louis de France avec Marie-Thérèse d’Espagne, et qui réunit quinze mille invités, créa encore l’événement en montrant un groupe, dont le roi Louis XV, déguisé en conifères mais aussi des invités habillés en Turcs, dont on peut voir encore les costumes grâce aux esquisses du peintre Nicolas Cochin.

Ce fut aussi l’époque où de nombreux grands peintres, même s’ils n’étaient jamais allés en Turquie, se firent spécialistes de scènes imaginaires de la vie ottomane ou des portraits de nobles en habits turcs.
On peut signaler le cas de Carle Van Loo, qui réalisa une multitude de scènes orientalistes, en particulier, en 1752, deux tableaux de dessus-de-porte représentant Madame de Pompadour en sultane, pour lesquels la marquise posa en costume et qui étaient destinés à sa « chambre à la Turque » du château de Bellevue.


Et pendant ce temps, que se passait-il à Constantinople ? Plusieurs peintres européens séjournant en Turquie, y représentaient des scènes de la vie turque mais surtout, des portraits de voyageurs étrangers et diplomates en habits turcs. Jean-Baptiste Van Mour, qui passa toute la deuxième partie de sa vie à Istanbul, où il fut inhumé, y réalisa une multitude de toiles historiques, montrant les cérémonies du sultan. Comme il était devenu très célèbre, son atelier, selon Auguste Boppe dans Les peintres du Bosphore au XVIIIe siècle, devint « le rendez-vous de la société élégante de Constantinople » qui s’y rendait pour se faire représenter en vêtements orientaux et il fut débordé par les commandes. Par exemple, il réalisa le portrait en robe de sultane de Lady Mary Wortley Montagu, épouse de l’ambassadeur britannique, qui écrivit de magnifiques lettres sur la Turquie, republiées en 1983 par Anne-Marie Moulin et Pierre Chuvin sous le titre, L’islam au péril des femmes.

On peut aussi évoquer Jean-Etienne Liotard, qui passa quatre ans à Constantinople entre 1758 et 1752 et y peignit un grand nombre d’Européens en costume turc, comme celui intitulé « Monsieur Levett et Mademoiselle Glavani », où il représente un négociant anglais et la fille de l’ancien Consul de France en Crimée.

De retour en Suisse, Liotard fonda sa publicité sur son surnom de « peintre turc », qu’il confirma en diffusant son autoportrait de 1744, où il s’était représenté en kaftan avec une longue barbe.

Quant à Antoine de Favray, séjournant à Constantinople entre 1762 et 1770, il se plut à représenter les panoramas du Bosphore mais aussi un grand nombre de femmes en habits ottomans. Et comme il logeait au Palais de France, il réalisa ainsi les deux célèbres portraits de l’ambassadeur Vergennes et de son épouse.


L’engouement pour les costumes ottomans est-il actuellement terminé ? Pas tout à fait, si l’on en juge, à Istanbul, par le nombre de tenues de sultans et sultanes proposées pour la cérémonie turque de la « Nuit du Henné », équivalant à l’EVJF, « enterrement de vie de jeune fille » ou aux touristes, dans les quartiers d’Eminönü et du Grand Bazar…
