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SANDRINE RAMBOUX -"On encourage les réfugiées syriennes à s’entraider"

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Sandrine Ramboux, belge, est installée en Turquie depuis onze ans. ©SP
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 18 mars 2018, mis à jour le 22 février 2021

Rencontre avec Sandrine Ramboux, belge, installée en Turquie depuis 11 ans, créatrice du programme Jana. Le but ? Soutenir l’inclusion financière des réfugiées syriennes avec des groupes d’épargne d’un nouveau genre. 

Lepetitjournal.com d’Istanbul : Racontez nous la genèse du projet Jana…

Sandrine Ramboux : Tout a commencé avec la plateforme Carma, que nous avons créée il y a quatre ans. Le but ? Identifier les besoins des ONG et organiser du volontariat basé sur les compétences, pour aider ces ONG en marketing, en communication… Cela signifie que l’on crée un dialogue entre le secteur public et le secteur privé, mais on n’aide jamais directement les ONG. Or les volontaires qui m’entourent et moi-même avions envie d’être plus impliqués et d’aider ces ONG sur le long terme, notamment celles qui viennent en aide aux réfugiés. En juin 2016, on a pris conscience que beaucoup de centres communautaires et ONG humanitaires s’établissaient. L'humanitaire est nécessaire dans l'immédiat, certes, mais il fallait aussi penser à l’après... C’est-à-dire, comment intégrer ces réfugiés ? Nous avons vu passer deux demandes de financement auxquelles nous avons postulé sans vraiment y croire, pour être honnête… Finalement, on les a eus toutes les deux. Nous avons reçu les fonds en janvier 2017 et nous avons créé Jana pour réaliser ces deux projets. Jana est donc un programme de Carma. 

Quelles étaient ces demandes de financement ? 

La première provenait de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd). En Espagne, une ONG avait lancé des groupes d’épargne qui favorisaient l’inclusion financière des personnes désavantagées, en particulier des migrants. Notre objectif était de reproduire un tel schéma avec les réfugiés, en Turquie. La Berd cherchait à implanter le projet dans ce pays et nous avions tous les contacts nécessaires. Jana a commencé avec ce programme. Pour celui-ci, nous recevons des fonds jusqu'en septembre.

Au même moment, l’ambassade des Etats-Unis voulait oeuvrer pour favoriser l’entreprenariat chez les réfugiés. C'est le deuxième projet que nous nous sommes vu confier. Un projet intéressant, certes, mais court puisqu'il n'a duré que huit mois. 

En quoi consistent les groupes d’épargne que vous établissez ? 

L’objectif est l’inclusion financière. Dans un premier temps, nous nous sommes concentrés sur les femmes réfugiées syriennes. L’idée était de créer des groupes d’épargne et d’apprendre à ces femmes à gérer leur budget. Chaque femme économise chaque mois ce qu’elle veut, 15 livres turques, 100 livres turques… Et reprend l’argent quand elle le veut. Il n’y a pas d’intérêt. Quand une certaine somme a déjà été collectée, les femmes peuvent alors décider de se prêter de l’argent, qui devra être remboursé. Par exemple, une femme avait besoin d’argent pour acheter un four afin de cuisiner des petits gâteaux et les revendre. Une autre, pour sa robe de mariée… Les fins sont diverses. Le groupe décide ensemble s’il accepte de prêter l’argent. Ce sont des groupes d’épargne, basés sur l’entraide et la confiance.

Au Moyen-Orient, la culture d’épargne existe peu. C’est une population qui vit au jour le jour. Nos groupes sont constitués, pour la plupart, de Syriennes qui n’avaient pas l’habitude de travailler, qui n’étaient pas non plus forcément dans le besoin. Elles n’avaient pas beaucoup d’argent, mais vivaient de l’agriculture et le père de famille gagnait ce qu’il fallait pour subvenir aux besoins. Elles avaient aussi moins l’occasion de dépenser leur argent. Il y avait moins de tentations, y compris pour les enfants. C’est une culture qui a le coeur sur la main, donc ce n’est pas toujours facile pour ces femmes de refuser un achat qui donnerait le sourire à leurs enfants. A Istanbul, ces femmes n’ont pas toujours de sources de revenus, la vie y est plus chère et les tentations plus grandes. 

Le projet s’accompagne de formations. Expliquez-nous…

Oui, ces groupes d’épargne ne sont pas suffisants. Ils nécessitent des formations, ou workshops, proposés en turc et en arabe, pour discuter de la gestion du budget, apprendre à faire des économies… La première mission est de trouver un objectif motivant pour épargner, sinon, c’est très difficile de se lancer. Cela peut être quelque chose de futile, mais pratique, comme l’achat d’un sèche-cheveux. Ou un achat plus important, comme un passeport. Quand les participantes intègrent les groupes, elles ont chacune un carnet dans lequel elles écrivent leurs dépenses. On les accompagne ensuite pour trouver dans quels domaines elles peuvent les réduire. Puis, on leur conseille de mettre directement de côté ce qu’elles souhaitent chaque mois, et de dépenser le reste. Sinon c’est bien connu, et c’est pareil pour tout le monde, il ne reste jamais rien!

On leur apprend à être conscientes de leurs dépenses de manière à ce qu’elles puissent mieux gérer leur budget. Par exemple, le Ramadan et Bayram, comme Noël, sont des périodes de dépenses importantes. C’est primordial de savoir comment réduire les dépenses facultatives à l’approche de ces festivités. Après les deux séances de formation, on organise ensuite des réunions tous les mois parmi ces groupes d’épargne. Ce sont des lieux de discussion et d’échange. On encourage les femmes à s’entraider et se soutenir. 

Combien de groupes d’épargne se sont ainsi formés ? 

Nous avons actuellement 8 groupes, de 5 à 15 personnes. Pour le moment, ils sont concentrés à Istanbul mais le projet est amené à se développer à Gaziantep et à Urfa. Nous rencontrons ces femmes via les centres communautaires pour réfugiés. Parfois, nous sommes aussi contactés par des ONG, qui ont trouvé un emploi à des réfugiées et souhaitent maintenant que ces femmes apprennent à gérer l’argent qu’elles gagnent de façon convenable. 

Aujourd’hui, on essaie aussi d’avoir des solutions inclusives, donc ce n’est plus seulement pour les réfugiés, ni uniquement pour les femmes. Les Turcs, et les hommes, sont aussi les bienvenus. 

jana istanbul turquie

 

 

 

Parlez-nous maintenant du deuxième programme pour lequel vous avez été financés, par l’ambassade des Etats-Unis. Quelle est la situation de l’entreprenariat chez les réfugiés ? 

Au départ, nous étions tous très excités par l’idée. Entreprenariat, startup… Ça fait rêver. Mais on s’est vite rendu compte que pour être entrepreneur, il faut de l’espoir, un objectif auquel on croit suffisamment pour trouver la force de se lever tous les matins et le tenir. C’est presque impossible pour la plupart de ces femmes réfugiées. On ne peut pas s’attendre à ce que sur les 3,5 millions de réfugiés syriens en Turquie, 1 million décide de se lancer dans l’entreprenariat… D’abord, car l’entreprenariat demande des "rôles modèles". Ces rôles modèles féminins existent peu en Syrie. Donc il est difficile pour ces femmes d’être inspirées. Elles n’ont pas nécessairement vu leurs mères, grands-mères, tantes ou cousines travailler. Ensuite, elles vivent avec le traumatisme de la situation en Syrie, y compris pour les réfugiées qui sont arrivées dans les meilleures conditions. Dans leur tête, elles ont d’autres préoccupations au jour le jour, il est donc très difficile pour elles de se concentrer sur un projet d'entreprenariat. 

Ce constat fait, on a dû réduire nos ambitions. L’important pour ces femmes, c’est de se sentir soutenues, de faire partie d’une communauté. La dimension sociale est très importante et il est primordial pour elles de sortir, de se rendre dans les centres communautaires établis pour les réfugiés. Beaucoup de ces centres avaient reçu des fonds pour former ces femmes, au tricot, à la cuisine… Ces femmes créaient des choses, oui, mais ne les vendaient pas. Nous les avons donc accompagnées avec nos compétences professionnelles : approche du marché, étude de la clientèle potentielle, mise en place de la communication, recherche d’acheteurs… Nous incitons aussi ces centres communautaires et ONG à s’assembler, pour avoir une chance plus grande de recevoir des fonds. 

J’aimerais pouvoir dire qu’après un an, on a contribué à la création d’une centaine de sociétés mais on n’en est pas là. Cependant, je suis convaincue que nous avons planté beaucoup de graines, et maintenant… On attend que ça pousse!

Quels événements êtes-vous amenés à organiser ? 

Comme je le disais, il y a peu de rôles modèles féminins de Syrie mais nous en avons trouvé et nous les avons réunis, ainsi que des experts turcs et nos groupes de femmes, à deux reprises lors de notre Syrian Women Entrepreneur Night, et d’un dîner de l’Iftar, pendant le Ramadan. Des occasions d’échanger autour d’un bon repas syrien. 

Nous organisons aussi des Probono Drinks, tous les trimestres, qui consistent à découvrir les projets de différentes ONG, autour d’un verre. Ainsi que des Corporate Breakfast, des petits-déjeuner très exclusifs avec le responsable d’une ONG et un directeur général d’une société, pour les inciter à collaborer. Et des speedatings professionnels, durant lesquels les participants peuvent travailler leur communication. 

Nous sommes actuellement en recherche de fonds supplémentaires, pour développer de nouveaux projets.

Propos recueillis par Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) lundi 19 mars 2018

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