Jean-François Léal (Jeff) est réalisateur et photographe. Après avoir voyagé et habité dans de nombreux pays, il expose actuellement ‘Fantaisie végétale’ dans le jardin de l'Institut français de Turquie antenne d’Istanbul. Rencontre avec ce baroudeur parisien atypique qui nous conte son amour inconditionnel pour Istanbul, ville qu'il rêve un jour d'habiter.
Un déferlement d’odeurs, de couleurs, de formes inconnues, m’a immédiatement envahi
Albane Akyüz pour lepetitjournal.com Istanbul/Turquie : Comment avez-vous "rencontré" Istanbul ? Quelles ont été vos premières émotions ?
Jeff Léal : En 1985, à 25 ans, je sortais d'Europe pour la 1ère fois de ma vie. Arrivé à l'aéroport d’Izmir en plein mois d'août, j'ai perdu tous mes repères à peine débarqué. J’ai fui la ville, que je n'avais même pas visitée, pour me réfugier dans une mégapole, où je serais plus à mon aise, moi qui venais de Paris. Que savais-je, de la Turquie ou d'Istanbul ? Absolument rien. J’avais juste vu le film Topkapi, de Jules Dassin, que j’avais adoré, où l’on voyait les toits d'Istanbul, c'est tout.
J’étais totalement vierge de tout a priori.
Un déferlement d’odeurs, de couleurs, de formes inconnues, m’a immédiatement envahi. La gentillesse, la ténacité, l'honnêteté et la curiosité de ses habitants m'ont stupéfait. Mais surtout cette capacité irrésistible de construire, d’entreprendre, et de répondre à tous les défis.
Ces quelques jours à Istanbul du 1er voyage m'ont donné suffisamment confiance en moi et en la Turquie pour la traverser et voyager jusqu'à ses frontières avec l'U.R.S.S et l'Iran. Ce fut génial.
Une relation quasi amoureuse
Quelle est aujourd'hui votre relation à cette ville ?
Quelle relation peut-on avoir avec une ville ? Une ville où l’on ne vit pas, une ville que l’on redécouvre quasiment à chacune de ses mutations, et au fil des années, au gré de ses voyages, et du temps que l’on passe à l'explorer, à tenter de s’en approprier l'âme. Je dirais une relation quasi amoureuse.
On est surpris, séduit, attristé, émerveillé. À la recherche d’une synchronicité, on en découvre les failles, les errements, et puis on apprend à l’aimer, à l’accepter tout simplement. Je dirais finalement que lorsque j’arrive dans cette ville, j’ai l'impression que j’ai changé de planète, et que tout y est possible.
Un contrôle sur les couleurs à la façon d’un peintre impressionniste
Pourriez-vous nous présenter votre exposition 'Fantaisie végétale' ?
J’ai initié ma mère au dessin et à la peinture les dernières années de sa vie. Après son décès en 2018, j’ai éprouvé le besoin de lui rendre hommage, à travers un travail artistique sur le vivant.
C’est dans une errance urbaine, que j’ai enfin accédé à la paix, en photographiant les quelques rares plantes des villes. Après avoir montré mes photos, je me suis tout de suite aperçu que les gens n’y voyaient qu'un cadrage et une lumière, et non du vivant. J’ai donc décidé de transformer leur vision, à travers une autre dimension chromatique.
Pour cela, j’ai utilisé des outils numériques d’aujourd'hui, sans rentrer dans la facilité des filtres, ni de photoshop, mais en ayant un contrôle total sur les couleurs à la façon d’un peintre impressionniste.
Tout le bien qu’Istanbul fera à la nature de sa ville, la nature le lui rendra au centuple
‘Fantaisie végétale’ est un travail qui découle de la nécessité de redonner leur place aux plantes, quel message souhaitez-vous faire passer en exposant votre travail dans une mégapole comme Istanbul ?
Dans des sociétés qui nous déshumanisent chaque jour davantage, le retour à la nature et à des environnements sains et naturels est de plus en plus nécessaire. Regardez, qu’est-ce qui vous rattache à la nature, au vivant, dans une grande ville ? Des chiens, des chats (spécialement à Istanbul), et quelques oiseaux lorsque l’on a la chance de pouvoir cohabiter avec eux. Et des arbres, dans de rares parcs, lorsque ceux-ci n’ont pas été remplacés par des centres commerciaux ou des immeubles. Toutes les villes du monde sont polluées à l'extrême et seules les plantes peuvent nous donner ce qui nous manque le plus, un air sain, de l’ombre lorsqu’il fait chaud, du vivant, des fleurs en couleurs lorsque nous étouffons de la grisaille et du béton. Des espaces de repos visuel et de paix mentale. Et surtout un retour à la connexion archaïque et profonde à un environnement naturel. Réimplanter la nature au cœur même des villes ne peut que favoriser la santé, des villes comme de leurs habitants. Que ce soit des arbustes, des arbres, ou même des plantes en pots, peu importe du moment que l’on retrouve cette connexion quotidienne à la nature. Tout ce bien qu’Istanbul fera à la nature de sa ville, la nature le lui rendra au centuple.
Un studio de rêve à ciel ouvert pour les cinéastes et photographes du monde entier
Avec votre regard de réalisateur et photographe, qu’est-ce qu’Istanbul vous inspire ?
Un lieu fantasmagorique, un espace comme un décor mobile, entre passé et futur, entre luxe et pauvreté, entre standards et avant garde, entre rêve et réalité. Istanbul, un diamant à multiples facettes que l’on pourrait tailler, retailler et polir sans cesse. Des habitants qui se laissent photographier, et qui apprécient les photographes, sans tomber dans des travers paranoïaques de droit à l'image (rires), qui empêchent aujourd'hui de faire de l'instantané. De par ses points de vues uniques, son architecture, sa diversité de visages, ses ponts sur le Bosphore, ses mosquées, ses synagogues et ses églises, Istanbul est un studio de rêve à ciel ouvert pour les cinéastes et photographes du monde entier.
Associer une troupe de danseurs chorégraphes à la rencontre entre passé et futur
Avez-vous d'autres projets artistiques en lien avec Istanbul ou plus généralement avec la Turquie ?
Oui, j'aimerais associer une troupe de danseurs chorégraphes à la rencontre entre passé et futur, en costumes traditionnels et lieux emblématiques de l'architecture contemporaine et futuriste d'aujourd'hui, se télescopant avec le passé, avec des habits et accessoires à la dernière mode et futuristes, dans des hauts lieux de l’histoire d’Istanbul.
Également un projet d'installation éphémère, de plusieurs milliers de mètres de tapis rouge dans les ruelles des gecekondu, où la bourgeoisie et l'intelligentsia stambouliote rencontrerait cette population de survivants économiques.
D’autres projets sonores et musicaux également, avec des muezzins chanteurs d’appel à la prière, sur l’eau du Bosphore, à l'image de la Water Music d'Handel en 1717.
Ce ne sont pas les idées qui manquent dans ces lieux propices à l'imaginaire.
J’espère juste trouver des collaborations fructueuses avec des sponsors désireux de s’associer à des projets, où Istanbul et la Turquie retrouveront une visibilité internationale.
J'aimerais créer un espace d'art et de nature entre la Turquie et la France, sans frontières, qui rassemble les peuples du monde, pour les générations présentes et futures
> L’exposition ‘Fantaisie végétale’ est visible jusqu’au 21 décembre dans les jardins de l’Institut français de Turquie, antenne d’Istanbul. L'exposition fait également partie du festival "la route culturelle de Beyoglu", qui se poursuit jusqu'au 14 novembre.
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