

Et si, au lieu de débourser une centaine de livres turques pour demander à un plombier de réparer notre évier, on donnait une heure de notre temps ? C'est la nouvelle méthode de rétribution que propose Zumbara, unique ?banque du temps? en Turquie. Rencontre avec Ay?egül Güzel, co-fondatrice de Zumbara et adepte de ce système économique alternatif qui est né aux Etats-Unis dans les années 90.
Le petitjournal.com d'Istanbul: Zumbara est une banque du temps ou un Système d'échanges locaux (SEL). Ce nouveau mode d'échange connaît un grand succès dans 35 pays du monde notamment au Royaume-Uni, en Grèce, au Chili et depuis 2011 en Turquie. De quoi s'agit-il ?
Ay?egül Güzel (photo DJ): Une banque du temps est une plateforme, généralement mise en ligne sur internet, où chacun dispose d'un crédit en termes de temps et non d'argent. Ainsi on ne compte plus en livres turques, en euros ou en dollars mais en heures. Quand vous entrez dans la communauté Zumbara, vous disposez immédiatement d'un porte-monnaie de cinq heures dont vous pouvez profiter à votre guise. Par exemple, votre tuyauterie est endommagée, vous cherchez un plombier près de chez vous. Le service vous coûtera une heure, le temps de la réparation.
Le petitjournal.com : Et pour remplir à nouveau son compte de crédits horaires, que fait-on ?
Pour ?gagner? des heures supplémentaires, vous mettez à la disposition de la communauté vos savoir-faire. Aucune compétence n'est requise. Il est possible d'être débité d'une heure ou plus en gardant les animaux de compagnie d'une famille qui part en vacances, par exemple. Ainsi, l'échange de service peut se faire en ligne, sur le web mais également avec votre voisin. Zumbara, et les autres banques du temps aident à centraliser les besoins et offres des individus pour mieux coordonner l'échange. Plus qu'une banque, Zumbara se veut créateur de communautés.
Quels sont les principaux services proposés par les membres de la communauté Zumbara ?
La palette de services proposés par les individus peut varier. Il n'y a pas de règle, ça peut être n'importe quoi ! Quelqu'un peut donner une séance de yoga, raconter une histoire à un aveugle, entretenir les comptes d'une entreprise, et j'en passe. Nous enregistrons une très forte demande pour tout ce qui concerne les nouvelles technologies (apprendre à se servir d'un smartphone, à utiliser un logiciel de retouche photo ou réparer un ordinateur, etc.). L'éducation linguistique est en deuxième position. Enfin, beaucoup demandent à se retrouver pour aller voir une pièce de théâtre à plusieurs ou pour courir le long du Bosphore.
Avec Zumbara et les autres SEL, une heure de cuisine équivaut à une heure avec un consultant d'un cabinet de conseil. N'est-ce pas un point noir en termes de valeur ?
C'est un peu le reproche que l'on nous fait souvent. La valeur d'un service par rapport à un autre dépend de l'appréciation et des besoins de chacun. Si une personne à mobilité réduite a besoin de remplir son réfrigérateur, se nourrir lui importera plus qu'une heure avec un cabinet de conseil. A l'inverse, si une autre personne souhaite monter son entreprise, une heure avec ce même cabinet lui sera extrêmement précieuse. Nous nous attachons surtout à ce que les services rendus conservent une qualité maximale. Sur le site internet, les membres commentent et notent les services dont ils ont profité. La réputation que l'on se fait joue pour beaucoup. C'est la communauté elle-même qui sélectionne les services, pour ne laisser transparaître que les meilleurs. C'est une forme d'auto-régulation.
Zumbara compte aujourd'hui 16.000 membres, qui sont-ils ?
La majorité des membres est âgé de 40 à 70 ans. Beaucoup de retraités profitent du système, étant donné leur temps libre mais pas seulement. Nous sommes en train de développer des plateformes particulières pour les étudiants et mieux coordonner les interactions sur les campus universitaires en Turquie. Il y a aussi beaucoup de jeunes entrepreneurs qui demandent de l'aide pour monter leur start-up. Zumbara permet ainsi de promouvoir l'innovation sociale et entrepreneuriale.
Grande question ! Je pense que dans beaucoup de pays et en particulier dans les grandes villes, il y a un problème avec la perception de l'Autre. Deux individus qui ne se connaissent pas ont tendance à être méfiants l'un envers l'autre. La communauté en pâtit. Il en résulte un manque de connexion entre les individus. Or, une société a besoin de valeurs et d'établir un réseau pour fonctionner. La présence du matérialisme et de la compétition fait qu'elle a tendance à se concentrer sans cesse sur le futur, en éclipsant les problèmes d'aujourd'hui. Ce que je souhaite avec Zumbara, c'est que les gens s'interrogent sur ce mode de fonctionnement et prennent conscience de leur relation à l'argent.
Zumbara est en contact avec Martin Simon, fondateur de la Time Bank anglaise, mais aussi avec d'autres banques du temps à l'étranger. Vous consultez également plusieurs organismes d'autres types de systèmes économiques alternatifs. S'agit-il de remettre en question la machine macroéconomique actuelle?
Contrairement à ce que les gens pensent de la plupart des systèmes économiques alternatifs, nous n'avons pas l'objectif particulier de détruire le système financier actuel, simplement de sensibiliser les mentalités, de les rendre plus solidaires. Beaucoup de livres et d'articles universitaires montrent que l'être humain se sent plus ?riche? et plus heureux quand il donne. C'est notamment ce qu'explique Charles Eisenstein dans son livre Sacred Economics. Être anti-capitaliste oucontre le néo-libéralisme ne sert à rien. Il faut donner du sens à ce que l'on fait. Les banques du temps ne se résument pas à une simple conversion de monnaie. C'est plutôt l'apprentissage d'une attitude quotidienne et engagée. Ce système (macroéconomique, ndlr), c'est bien nous qui l'avons créé ! Pour le changer, nous devons d'abord nous remettre en question.
Propos recueillis par Diane Jean (http://lepetitjournal.com) jeudi 11 juillet 2013





































