Porté par Istanbul, le volley féminin est devenu un espace de réussite et d’émancipation. Comment ce sport a-t-il pris une telle place dans la société turque ?


Le football, mais plus seulement
Le volley-ball s’installe en Turquie au sortir de la Première Guerre mondiale, d’abord dans les écoles huppées d’Istanbul. Avec la fondation de la République en 1923 et la volonté affirmée d’Atatürk d’élargir la place des femmes dans la société, la discipline change d’échelle. Elle se diffuse dans les établissements d’enseignement et crée un environnement propice à la pratique féminine du sport.
Peu à peu, le volley devient un marqueur culturel des milieux éduqués, bourgeois et laïques, avant d’être adopté à l’échelle nationale. Parmi les pionnières figure Sabiha Gürayman, première ingénieure du pays et joueuse de Fenerbahçe, dont le parcours incarne cette ouverture.
La professionnalisation suit son cours avec la création de la Fédération de volley en 1958. L’organisation reste encore fragile face à l’omniprésence du football masculin, mais cela n’empêche pas le développement du volley féminin. Les fondations sportives (vakıf), les universités et les clubs associatifs jouent alors un rôle déterminant en formant des générations de jeunes joueuses. Les bases du succès futur sont posées, même si la reconnaissance médiatique tarde encore à venir.
Une montée en puissance portée par les clubs d’Istanbul

À partir des années 1990, l’investissement dans les infrastructures et l’arrivée de grands sponsors transforment profondément la discipline. La professionnalisation s’accélère, et la ligue féminine devient l’une des plus compétitives d’Europe. Les clubs stambouliotes jouent un rôle moteur dans cette ascension.
VakıfBank, soutenu par un conglomérat bancaire, incarne la culture de la performance : un modèle de formation solide, une attractivité internationale et une domination croissante sur la scène nationale. Eczacıbaşı, appuyé par l’une des fondations industrielles les plus influentes du pays, s’impose comme un club engagé, doté d’un palmarès riche et reconnu. Quant à Fenerbahçe, il apporte une dimension populaire : son public, l’un des plus fervents de Turquie, ouvre le volley féminin à une audience bien plus large.
Cette rivalité permanente nourrit l’émulation. Les trois clubs se partagent la majorité des trophées (16 titres pour Eczacıbaşı, 14 pour VakıfBank, 7 pour Fenerbahçe) et leurs confrontations deviennent de véritables événements nationaux. À l’échelle européenne, la Turquie s’impose également : depuis 2010, ses clubs ont remporté huit Ligues des champions féminines, dont six pour Eczacıbaşı, sans compter les nombreuses finales et places d’honneur.
Des joueuses devenues des symboles
Le volley féminin turc se distingue aussi par la place accordée à ses athlètes. Certaines joueuses jouissent d’une notoriété qui dépasse largement leur discipline. La plus emblématique est Eda Erdem, capitaine de Fenerbahçe et figure de la sélection nationale. Son image, omniprésente dans les campagnes de communication, en fait l’un des visages du sport féminin en Turquie.
Ebrar Karakurt et Melissa Vargas, née à Cuba et naturalisée turque, incarnent quant à elles la nouvelle génération. Leur énergie, leur visibilité médiatique et leur rôle central en équipe nationale en font des modèles identifiés par de nombreuses jeunes joueuses.
« Je sers mon pays depuis des années. C’est un grand honneur pour moi de le représenter ainsi que les femmes turques sur la scène européenne. » Eda Erdem, capitaine de la sélection nationale (Source : KRT TV)
L’arrivée de stars internationales contribue, elle aussi, à renforcer l’attractivité de la ligue. Ce cosmopolitisme enrichit le jeu, renforce le niveau général et consolide la réputation du championnat turc. Au-delà des résultats, ces athlètes incarnent des parcours de réussite, de professionnalisme et d’autonomie dans un pays où la place des femmes dans l’espace public fait encore débat.
Un espace d’affirmation féminine croissant
Le volley-ball féminin occupe aujourd’hui une place singulière en Turquie. Dans un paysage sportif souvent dominé par les sections masculines, ce sont les équipes féminines qui portent les plus grands succès internationaux. Cette inversion symbolique donne à la discipline une résonance particulière.
Les « Filenin Sultanları », les Sultanes du filet, sont devenues une véritable référence nationale. Leur victoire au championnat d’Europe 2023, arrachée face à la Serbie (3–2), nourrit un sentiment de fierté et projette l’image d’une Turquie moderne, ambitieuse et tournée vers la réussite sportive féminine.
Euro de volley féminin 2023 : les Turques sacrées championnes !
Leur visibilité transforme aussi les représentations. Ces performances répétées renforcent l’idée que les trajectoires féminines peuvent être valorisées, encouragées et soutenues institutionnellement. Le volley offre ainsi un espace où les femmes gagnent en reconnaissance dans la vie publique, économique et culturelle.
Soft power, stratégies locales et enjeux politiques
Le succès du volley féminin turc s’inscrit aussi dans des logiques politiques et institutionnelles. Les clubs bénéficient du soutien de fondations, d’entreprises publiques ou semi-publiques et de sponsors majeurs. La discipline devient ainsi un terrain où se reflètent des stratégies d’image, un moyen de renforcer la visibilité et la crédibilité.
Les performances internationales sont régulièrement présentées comme des réussites nationales. Elles participent à projeter une image positive du pays, à l’instar du basket turc - porté par Anadolu Efes ou Fenerbahçe en Euroleague. En s’imposant sur la scène européenne, le volley féminin renforce l’idée d’un modèle sportif structuré et performant.
Cette valorisation récurrente contribue à faire de la discipline un instrument de soft power. Des salles pleines, une médiatisation régulière sur la chaîne publique et des résultats constants nourrissent cette dynamique. Le fait que ces succès soient portés par des équipes féminines ajoute une dimension culturelle forte, en rupture avec les hiérarchies traditionnelles du sport.
Un phénomène culturel ancré dans la vie urbaine
Le volley occupe désormais une place visible dans le quotidien des grandes métropoles turques. À Istanbul, chaque rencontre devient un événement : les tribunes réunissent familles, étudiants, expatriés et jeunes joueuses venues observer leurs modèles.
Les clubs entretiennent cet engouement par une communication particulièrement active. Vidéos, portraits, contenus interactifs, retransmissions en direct : le volley féminin est omniprésent dans l’espace numérique. Les audiences télévisées atteignent régulièrement des sommets lors des matchs de la sélection nationale, renforçant encore la popularité de la discipline.
Cette visibilité constante fait du volley un marqueur de la culture urbaine contemporaine. On y retrouve diversité, cohésion, modernité : les ingrédients d’un sport capable d’unir au-delà des clivages classiques. Dans un pays en mouvement permanent, le volley féminin rappelle que la société turque évolue, s’ouvre et se transforme, souvent grâce aux femmes qui la portent sur les terrains.
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