

Le 8 mars dernier était célébrée à Istanbul et dans le monde la "journée de la femme", introduite en 1977 par l'ONU en guise de réponse aux attentes égalitaires des luttes féministes. Cette journée toute particulière n'est pas l'occasion d'offrir des chocolats ou des roses mais de rappeler à quel point les inégalités entre hommes et femmes perdurent ici en France et dans le monde
Contrairement aux idées reçues, l'égalité n'est pas de fait et les acquis sociaux dont les femmes bénéficient aujourd'hui ne sont pas des cadeaux. Ils ont été obtenus, parfois dans le sang, par des femmes ordinaires qui se sont battues pour.
Journée de la femme, manifestation à Istanbul le 8 mars (photo JD)
Le droit de voter, d'avorter (de disposer de son corps), l'entrée des femmes sur le marché du travail, pour ne citer qu'elles, sont de ces conquêtes historiques. Notre éducation façonne nos rôles et nos genres dans la société. Généralement hétéro-normée où l'on nous apprend que la normalité est d'aimer le sexe opposé au nôtre, mais aussi sexuée où par nature une petite fille aime le rose et jouer à la dinette tandis que le petit garçon aiguise son esprit d'initiative par des jeux de stratégie, des jeux de construction ou de guerre.
En France si les inégalités ne sont pas visibles au premier coup d'?il, en profondeur la vérité est toute autre : 75.000 viols par an, violences conjugales parfois meurtrières, différences de salaire au même poste, centres IVG menacés de fermeture et, le plus révélateur peut être, la non-parité gouvernementale. Cette succession d'inégalités n'est bien sûr pas exhaustive.
Qu'en est-il en Turquie ?

Est-ce qu'on a l'air "opprimé" nous ? (photo JD)
Le poids de la tradition et des moeurs mélangés à la modernité amènent à des schémas dichotomiques. Dans les grandes villes, coeurs de cible de l'industrialisation comme Istanbul, les femmes travaillent plus aisément et sont libres. Libres de choisir leur vie, leurs activités. Ce qui n'est pas évident dans des villes plus conservatrices comme Konya ou Trabzon où la religion et les traditions restent une référence.
La famille étant une valeur refuge en Turquie, la femme est d'abord perçue comme une femme, une mère ou une soeur appartenant donc à la sphère privée qu'il faut d'abord protéger plutôt que de laisser s'émanciper.
Le nombre d'associations défendant les droits des femmes et les droits des homosexuels est exaltant mais elles se concentrent dans les grandes villes où la liberté d'expression est plus accessible. Ces associations regroupent des jeunes filles ou des anciennes, preuves que la transmission des valeurs a opéré.
Dans les universités, le nombre de filles et de garçons est proportionnel ; ce qui est plutôt encourageant. Par contre, les institutions gouvernementales restent masculines et le pouvoir en place voudrait durcir les valeurs religieuses, ce qui de mon point de vue constituerait une menace pour les libertés des femmes.
Les violences conjugales restent meurtrières et pas assez reconnues à en croire le rapport d'Amnesty International
Le nombre de foyers d'accueil était très inférieur à ce que prévoyait la loi de 2004 sur les municipalités, à savoir une structure d'hébergement dans toute ville de plus de 50.000 habitants. À la fin de l'année, la ligne téléphonique d'urgence demandée en juillet 2006 par le Premier ministre pour les victimes de violences domestiques n'avait pas encore été mise en place.

Les violences faites aux femmes ne sont pas rares et les viols en sont des indicateurs évidents. Les jugements ne sont pas toujours justiciers comme en témoigne l'affaire de cette adolescente de 13 ans abusée par 26 hommes en 2002 dans la province de Mardin. Les juges avaient conclu que la jeune fille avait consenti ces rapports et avaient allégé les peines pour les coupables.
Ce contexte peut trouver ses explications dans une censure de ce qui a attrait au corps et aux relations interpersonnelles. La tradition et la censure créent une frustration se traduisant parfois par des dérives.
La Turquie reste un pays masculin, de contrastes, dont les grandes villes dynamiques restent les plus avancées en matière de droits des femmes. Mais cette lutte ici comme ailleurs n'est pas achevée et le processus d'égalité pourra prendre beaucoup de temps.
Les 8 et 10 mars à Taksim et Kadiköy étaient organisées des marches réunissant féministes de tout bord et c'est avec plaisir que je me suis mêlée à la foule, appréciant les différences entre les groupes mais la convergence des idées.
Loin de moi l'envie de donner une vision manichéenne des choses, simplement mon ressenti de femme et d'apprentie stambouliote.
Johanna Drouet ( www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 30 mars 2012
