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MASSACRE DE SIVAS - L’impossible justice

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 janvier 2018

Le 2 juillet 1993, 37 personnes mourraient dans l'incendie criminel de l'hôtel Mad?mak à Sivas, au centre de l'Anatolie. Presque tous étaient des intellectuels venus commémorer le poète alévi Pir Sultan Abdal. Le procès ouvert peu de temps après n'a jamais fait la pleine lumière sur ce drame. Les charges contre les suspects encore poursuivis viennent d'être abandonnées

Les appels des familles, d'associations, de parlementaires et même de certains ministres auront été vains. La 11ème Haute Cour criminelle d'Ankara a décidé mardi de refermer le procès du ?massacre de Sivas?. Le procureur Hakan Yüksel réclamait cet abandon de charges, arguant de l'expiration du délai légal de 15 ans.

Près de 20 ans ont passé depuis les faits. Le principal suspect, un ancien membre du conseil municipal de Sivas, Cafer Erçakmak, est mort en 2011. Pendant toutes ces années, il a échappé à la justice et à un mandat d'arrêt international tout en continuant de vivre à Sivas ? y compris de s'y marier et d'y passer le permis. Un deuxième suspect est décédé en cours de procès. Restent cinq suspects non encore jugés, en fuite et qui ne seront plus inquiétés, alors que de nombreuses questions restent sans réponse, à commencer par celle des commanditaires du massacre.

La Une de Hürriyet hier matin consacrée au drame de Sivas avec ce titre "Le temps ne peut pas oublier". (photo AA)

?Je m'attendais à cette décision mais je suis effondrée?
Zeynep Alt?ok, qui a perdu son père, le poète Metin Alt?ok, ce 2 juillet 1993, écrit sa déception sur son compte Twitter : ?Le procès est abandonné. Les meurtriers sont libres! Je m'attendais à cette décision mais je suis effondrée.?
Le juge Dündar Örsdemir justifie la décision par le fait que les suspects ?sont des civils et non des fonctionnaires?. Autrement dit, le procès de Cafer Erçakmak aurait pu continuer s'il était encore en vie. Et si la justice était finalement parvenue à mettre la main dessus.

Vingt ans à réclamer justice
À l'annonce de la décision, des manifestants se sont retrouvés devant le tribunal d'Ankara. La police les a dispersés à l'aide de gaz lacrymogènes et de canons à eau alors qu'ils tentaient de défiler sur le boulevard Atatürk.
De l'avis des familles, le procès avait pourtant bien commencé. De lourdes peines ont même été prononcées. Trente-trois accusés ont notamment écopé d'une condamnation à mort en juin 2000, sentence commuée en prison à vie après l'abolition de la peine capitale par la Turquie en 2002.
Mais les proches des 37 victimes ? des écrivains, artistes, journalistes mais aussi employés de l'hôtel Mad?mak ? réclament toujours justice. S'il le faut, ils ont promis de s'adresser à la Cour européenne des droits de l'Homme. Car de nombreuses zones d'ombre planent encore sur cette journée funeste.

Pogrom anti-alévi
Les victimes s'étaient retrouvées à Sivas pour un festival culturel alévi (branche hétérodoxe de l'Islam, proche du chiisme sans s'y assimiler, qui emprunte aussi au chamanisme et à d'autres croyances pré-islamiques). Au deuxième jour de l'événement, un vendredi, une foule d'islamistes radicaux de plus en plus menaçante se forme après la prière, sans que la police n'intervienne. Ils protestent contre la tenue du festival et contre ces intellectuels, alévis mais pas tous. L'écrivain Aziz Nesin, connu pour avoir publié en Turquie Les Versets sataniques de Salman Rushdie, est notamment visé par leurs slogans.
L'hôtel Mad?mak, où se sont regroupés les participants au festival, se transforme en piège quand des manifestants y mettent le feu. Aziz Nesin en sort vivant. Ceux qui ne peuvent s'enfuir périssent dans le brasier.
L'hôtel Mad?mak, restauré après le drame, a longtemps continué d'accueillir des clients. Finalement racheté par l'État, il est devenu l'an dernier un centre culturel.

Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul.html) jeudi 15 mars 2012

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Publié le 15 mars 2012, mis à jour le 5 janvier 2018
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