La justice turque a mené un coup de filet sans précédent contre des députés du HDP, parti prokurde et troisième force politique du pays, incarcérant notamment ses deux coprésidents. Ils sont accusés d'être liés au PKK, alors qu'un attentat a endeuillé Diyarbakır vendredi. Le HDP a décidé dimanche de boycotter le Parlement jusqu'à nouvel ordre
C’est une scène que la Turquie n’avait pas vue depuis les années 1990 : dans la nuit de jeudi à vendredi, la police a arrêté 12 députés prokurdes du Parti démocratique des peuples (HDP). Les gardes à vue ont été ordonnées – et visiblement coordonnées – par des procureurs de cinq provinces de l’Est et du Sud-Est. Dans leur viseur : des figures du parti, dont ses coprésidents. Les députés sont poursuivis dans différentes enquêtes pour des accusations d’appartenance à une organisation terroriste (le Parti des travailleurs du Kurdistan, PKK), propagande pour cette organisation ou encore "tentative de nuire à l’unité de l’État". En cas de condamnation, ils risquent de longues années de prison.
Conscientes du retentissement de la nouvelle en Turquie et à l’étranger, les autorités ont publié à 2h du matin vendredi un communiqué en six langues "à l’intention de la presse et de l’opinion internationales" – un procédé inhabituel. Les arrestations font suite "au refus de certains députés du HDP de comparaître devant un tribunal" malgré une convocation, indiquent dans ce communiqué les services du Premier ministre. De fait, la plupart des 12 élus n’ont pas été conduits au commissariat mais directement au bureau du procureur, pour être ensuite présentés à un juge. Vendredi soir, neuf députés du HDP étaient emprisonnés, dont ses codirigeants, Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdağ, ainsi qu’Idris Baluken, chef du groupe parlementaire. Trois autres ont été libérés.
Neuf morts à Diyarbakır
L’arrestation des députés fait suite à la levée de leur immunité lors d’un vote le 20 mai. Réclamée par le président Recep Tayyip Erdogan, cette menace judiciaire ne vaut que pour les poursuites engagées avant le vote. Elle concerne tout de même 152 des 550 parlementaires, dont 55 des 59 députés HDP. Ces derniers avaient annoncé qu’ils ne répondraient pas aux convocations, lesquelles – à la différence des autres partis – concernent surtout des enquêtes antiterroristes. "Ceux qui veulent nous interroger devront nous amener par la force", avait prévenu Selahattin Demirtas, dénonçant une "justice aux ordres" du chef de l’État, lequel considère le troisième parti de Turquie comme une vitrine du PKK.
"Les élus qui s’allient au terrorisme doivent rendre des comptes", a réagi vendredi le Premier ministre, Binali Yıldırım. D’autres arrestations pourraient suivre rapidement. A Diyarbakır, épicentre du Sud-Est à majorité kurde, la tension était vive dès les premières heures du jour. Une voiture piégée a explosé à proximité d’un poste de police dans un quartier central. L’attentat, attribué au PKK, a tué au moins neuf personnes dont sept civils, et blessé une centaine d’autres.
Les réseaux sociaux Facebook, Twitter, YouTube et la messagerie WhatsApp étaient inaccessibles en Turquie vendredi, une "mesure de sécurité provisoire", a reconnu le Premier ministre. Pour Martin Schulz, président du Parlement européen, ces arrestations "envoient un signal glaçant sur l’état du pluralisme en Turquie (…) et mettent en question les bases d'une relation durable entre l’UE et la Turquie".
Istanbul (http://lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 4 novembre 2016