Reporters sans frontières (RSF) organisait mercredi matin à Istanbul la première conférence de presse de Can Dündar, directeur de la rédaction de Cumhuriyet, depuis sa libération de la prison de Silivri le vendredi 26 février après 92 jours de détention.
Dans l’attente de leur procès, les deux journalistes – Can Dündar ainsi que son chef de bureau à Ankara, Erdem Gül – avaient été incarcérés en novembre 2015 pour “divulgation d’informations en lien avec la sécurité de l’État”, “espionnage politique et militaire”, “soutien à une organisation armée” et “tentative de coup d’État” suite à la publication d’un article faisant état de livraisons d’armes et de munitions par les services secrets turcs (MIT) en Syrie. Les reporters du Cumhuriyet ont été libérés le 26 février dernier grâce à une décision de la Cour constitutionnelle, qui a suscité des remous dans le camp politique.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a vivement critiqué ce jugement en affirmant qu’il n’acceptait, ni ne respectait une telle décision. Selon lui, cette affaire “n’a rien à voir avec la liberté d’expression” et relève du domaine de l’espionnage. En réponse au chef de l’Etat, le président de la Cour constitutionnelle, Zühtü Arslan, a déclaré que les “les jugements [de la cour] ont force de loi pour tout le monde”. La cour suprême turque avait estimé la semaine dernière que les droits des deux journalistes à la liberté et à la sécurité avaient été violés par leur détention provisoire.
Alors que la première audience du procès doit s’ouvrir le 25 mars prochain, Can Dündar a déclaré hier vouloir “exposer en pleine lumière les crimes de l’Etat” plutôt que se défendre. Revenant sur le reportage qui avait conduit le président Erdoğan à porter plainte contre Cumhuriyet, il a insisté sur le rôle des journalistes d’informer le public : “Nous faisions notre métier”. Les deux hommes risquent la prison à vie.
Christophe Deloire (RSF) et Can Dündar (photo NP)
“Le gouvernement a pris conscience que de telles incarcérations suscitaient une mobilisation internationale”, a ajouté Can Dündar, saluant les soutiens reçus au cours des trois derniers mois. L’ONG Reporters sans frontières avait lancé un appel international et une pétition pour la libération de Can Dündar et Erdem Gül. Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire, présent à Istanbul hier pour la conférence de presse, a souligné le “courage de la Cour constitutionnelle”.
“Trois mois, ce n’est rien comparé à ceux qui sont là-bas depuis cinq ans”
Le rédacteur en chef de Cumhuriyet a dit vouloir “être le porte-parole” des journalistes derrière les barreaux. Christophe Deloire a appelé de son côté le président turc à “cesser les procédures illégitimes et les tentatives d’intimidation envers les journalistes”. Selon le Syndicat des journalistes de Turquie (TGS), 29 journalistes sont incarcérés dans le pays. “Lorsque nous étions en prison, cela nous faisait rire d’entendre notre Premier ministre, Ahmet Davutoğlu, déclarer à la télévision qu’il n’y avait pas de journalistes dans les prisons de son pays” s’est souvenu Can Dündar. Le journaliste, qui a continué de publier ses chroniques tout au long de sa détention, a également remercié ses confrères qui l’ont aidé à faire paraître ses articles pendant ces trois mois.
A propos des déclarations du président Recep Tayyip Erdoğan contre le jugement de la Cour constitutionnelle, le représentant de RSF a estimé que le chef d’Etat ne “devrait pas seulement respecter mais également garantir l'indépendance” de ces jugements. “M. Erdoğan, nous vous tenons pour responsable de la sécurité de Can Dündar et Erdem Gül”, a lancé Christophe Deloire.
Noémie Peycelon (www.lepetitjournal.com/Istanbul) jeudi 3 mars 2016
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