Édition Istanbul

CÉRÉMONIE – Les derviches tourneurs rendent hommage à leur “père”

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 février 2018

Cette année marque le 741ème anniversaire du décès de l'inspirateur de l’ordre soufi mevlevi, Mevlânâ Celaleddin Rûmi.Cette branche mystique de l’Islam est née à Konya (Anatolie centrale) au XIIIème siècle, avant de se répandre dans tout l’Empire ottoman. Chaque année, du 10 au 17 décembre, les derviches tourneurs organisent des cérémonies afin de commémorer la disparition du "père" de leur mouvement, fondé à sa mort par son fils Sultan Veled. Se laissant transcender par la force du divin, ils dansent et prient afin de perpétuer la tradition. Récit de cette cérémonie du Şeb'İ Arûs, organisée le 17 décembre dernier par la mairie de Başakşehir.

S

ur scène, l’atmosphère est lunaire. Les sons du ney et du kanun viennent fendre un silence quasi sidéral et les premiers chants religieux retentissent. Ayant revêtu leurs capes  noires et leurs toques cylindriques - qui représentent, selon la croyance, la pierre tombale - les dix semazen font leur entrée. Ils sont accompagnés de leur chef et du maître soufi Nail Dede. Ce dernier s’installe sur un tapis rouge symbolisant le Soleil et les derviches, agenouillés, prennent place autour. 

La cérémonie, ou sema en turc, débute enfin. Elle est composée, entre autres, de quatre cycles - les selam -  aux rythmes contrastés. Les semazen ôtent leur habit noir et dévoilent une longue tunique d’un blanc immaculé. Les bras croisés sur la poitrine, pour signifier l’union de l’Être à Dieu, ils viennent successivement s’incliner devant “le sage parmi les sages“ avant d’entamer cette rotation qui les conduira in fine à un état d’extase mystique. Dans cette danse aérienne, les derviches tournent sur la pointe du pied gauche en utilisant le pied droit pour pivoter. La paume de la main droite tendue vers le ciel, l’autre vers la terre, ils recueillent la grâce divine afin de la propager ici bas. Les yeux ouverts et le regard dans le vide, les derviches tournoient - sous la bienveillance du semazen başı qui vérifie leur positionnement - jusqu’à ce que les images deviennent floues. 

Le tournoiement, forme de méditation active, s’achève une heure plus tard. Alignés devant l’orchestre, les derviches couvrent de nouveau leurs épaules de leur manteau noir appelé hırka. Le  maître soufi, précédé du chef semazen, psalmodie quelques invocations divines tandis que les derviches se prosternent sur leurs tapis de prière en laine. Ils convergent tous ensemble vers le centre de la scène où se déroulent les salutations finales : un baiser réciproque sur la main. 

L'adjoint au maire de Başakşehir a ensuite remis un bouquet de fleurs au chef de la confrérie soufie mevlevi de Galata (Istanbul), le dede Nail Kesova. Des représentants religieux chrétiens ont également rencontré et échangé avec les derviches en coulisses avant d’immortaliser cet instant par une photographie (photo Nathalie Ritzmann).

Mevlânâ Celaleddin Rûmi, père de cette tradition millénaire

La danse des derviches tourneurs est inspirée du poète mystique Mevlânâ Celaleddin Rûmi. Le message d’amour et de tolérance véhiculé par ce poète mystique s’était propagé dans tout l’Empire ottoman. La légende veut que Mevlânâ ait reçu les enseignements de Shams ed Dîn Tabrîzî au XIIIème siècle. Les deux se seraient enfermés durant 40 jours afin que Shams initie Mevlânâ à cette pratique qui permettrait d’atteindre le plus haut degré de proximité avec le divin. Cette danse, baptisée alors sema (qui signifie ciel), est ensuite reproduite par les disciples : les derviches tourneurs ou semazen. Leur formation nécessitait 1.001 jours en compagnie des mevlevis – aujourd’hui ce n’est plus le cas. Durant cette période précise, les futurs mevlevis intégraient les codes de conduite, les pratiques, la musique, l’art de la poésie et la danse, et étaient tenus d'accomplir 18 tâches diverses au sein de la communauté. Une fois formés, ces derniers rejoignaient la société ou s’engageaient dans la confrérie à tout jamais.

Ces danseurs à la quête d’énergie divine appartiennent à une branche soufie de l’Islam – alliant spiritualité et philosophie - appelée ordre mevlevi, qui s’est répandue en Égypte, en Syrie mais aussi dans les Balkans.

La révolution laïque impulsée par Mustafa Kemal Atatürk en Turquie a profondément marqué l’histoire de ce mouvement car en 1925, les mevlevihane, lieux de formation des derviches, sont fermés. Il aura fallu attendre trente années pour que ce mouvement puisse vivre de nouveau, à condition que les cérémonies soient publiques. Durant ces années de clandestinité, seuls la musique et le chant ont été transmis, tout l’aspect spirituel et religieux étant prohibé par l’État turc. Les conséquences de cette clandestinité se font ressentir dans les cérémonies. Aujourd’hui, elles sont amputées de l’aspect spirituel intime d’origine. Dans les années 1990, les mesures restrictives à l’encontre de cette branche soufie de l’Islam se sont estompées, laissant émerger à la surface certains groupes fermés ayant pour but de rétablir l’essence même de ce mouvement mystique…

Isma Maaz et Shadia Darhouche (http://www.lepetitjournal.com/Istanbul) lundi 22 décembre 2014

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Publié le 21 décembre 2014, mis à jour le 8 février 2018

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