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CATASTROPHE MINIÈRE À SOMA – La tension monte autour de la sécurité dans les mines de charbon

Trois jours de deuil national ont été décrétés hier à la suite de l'accident survenu mardi dans la mine de charbon de Soma, dans la province de Manisa (ouest). Le bilan, d'au moins 282 morts, s'aggrave d'heure en heure. La catastrophe a suscité l'émoi dans la société turque et à l'international, et a soulevé une controverse autour de la sécurité dans les mines de charbon turques.

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Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 14 mai 2014, mis à jour le 28 février 2024

Aux alentours de 15 heures mardi, une explosion a déclenché un feu qui s'est propagé dans la mine, entraînant une coupure de courant. Les ascenseurs permettant aux mineurs de retourner à la surface ont ainsi été rendus hors d'usage. Le ministre de l'Énergie, Taner Yıldız, a avancé le nombre de 787 mineurs piégés sous terre au moment de l'explosion, qui est intervenue lors du changement des équipes. Le bilan serait d'au moins 282 morts d'après les derniers chiffres fournis par le ministre. Plus de 80 blessés ont été transportés dans les hôpitaux de la ville. Le travail des secours est compliqué par la fumée et le gaz présents à l'intérieur de la mine. Selon le ministre, la plupart des victimes ont succombé à une intoxication au monoxyde de carbone.

Le chef du Parti Républicain du Peuple (CHP), Kemal Kılıçdaroğlu, s’est rendu à Soma dans la journée, de même que le Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan. Le président Abdullah Gül a annulé une visite officielle en Chine et se rendra à Soma dans la journée de jeudi.

L'émoi de la société civile

Des manifestations ont éclaté pendant toute la journée de mercredi à travers le pays. Des canons à eau (TOMA) ont été déployés aux abords du siège de la Soma Coal Mining Compagny, la société exploitant la mine, dans le quartier de Levent à Istanbul, afin de contenir d'éventuelles manifestations. Un groupe de jeunes a organisé un sit-in devant le bâtiment, accusant la compagnie de “meurtre”. Sur leurs pancartes, on pouvait lire "Ils ne sont pas morts admirablement. C'est un meurtre, pas le destin", en référence aux propos tenus par le ministre du Travail de l’époque, Ömer Dinçer, après la catastrophe de Zonguldak en 2010. Selon lui, les mineurs ne montraient pas de traces de brûlures, et étaient morts "admirablement". Après cet accident, Recep Tayyip Erdoğan avait lui-même déclaré que la mort était "le destin" des mineurs. Hier à Soma, il a répété que les accidents du travail étaient “constitutifs” de l’activité minière.

À Ankara, la police a employé mercredi après-midi des gaz lacrymogènes et des canons à eau afin de disperser une manifestation d'étudiants de l'Université technique du Moyen-Orient qui se dirigeaient vers le ministère de l'Energie. Environ 800 étudiants ont été retenus à l’intérieur du campus. Un sit-in a également été organisé à la station de métro de la place Taksim aux alentours de midi mercredi. Les manifestants se sont allongés sur le sol pour figurer la mort des mineurs de Soma.

Dans la soirée, de nombreux policiers étaient déployés aux abords de la place et sur l’avenue Istiklal où des manifestants se sont regroupés, certains le visage peint en noir. La police a usé de gaz lacrymogènes et de canons à eau aux alentours de 20h30 afin de disperser les protestataires. Des manifestations ont également eut lieu à Kadıköy, où des groupes se sont retrouvés avec des bougies. D’importants rassemblements sont attendus dans la journée de jeudi, de nombreux syndicats, chambres professionnelles et partis politiques ayant appelé à manifester. Des appels à la grève ont été lancés.

À Soma, des manifestants ont assailli le bureau local de l’AKP, endommageant le bâtiment. À la sortie de sa conférence de presse à la municipalité, le Premier ministre a été hué par un groupe de manifestants demandant sa démission. Il a dû se réfugier quelques instants dans une supérette.

Mineur, une profession à haut risque

Les conditions de sécurité dans la mine de Soma ont été pointées du doigt par de nombreux travailleurs. "Nous faisons face au pire meurtre au travail de l'histoire de notre pays", a déclaré Çetin Uygur, l'ancien responsable du syndicat de mineurs Maden-İş.

L'entreprise Soma Holding exploite la mine de Soma depuis 1984. Dans une interview accordée en septembre 2012 au quotidien Hürriyet, le propriétaire du conglomérat, Alp Gürkan, s'était félicité d'avoir pu réduire le coût de production du charbon par tonne de 130 dollars à 23,8 dollars, grâce "aux méthodes d'opération du secteur privé", et notamment au fait que la compagnie manufacture elle-même ses transformateurs électriques et ne les importe pas. Selon le ministère du Travail, la mine de Soma avait été inspectée il y a deux mois et était en conformité avec les règles de sécurité.

La Turquie détient le record européen du nombre d'accidents dans les mines. En mai 2010, une explosion dans la mine de Zonguldak avait fait 30 morts. Chaque année, 80 mineurs perdent la vie dans des accidents souvent liés aux conditions de sécurité défaillantes. Avant Soma, le souvenir le plus douloureux remonte à 1992, quand 263 ouvriers avaient péri à la suite d'un coup de grisou dans une mine de charbon de la province de Zonguldak. Dans cette même province, un ouvrier est d’ailleurs décédé mercredi après l’effondrement d’un gisement illégal.

Une motion sur la sécurité des mines rejetée au Parlement

Le 23 octobre 2013, le député CHP (Parti républicain du peuple) de Manisa, Özgür Özel, soutenu par le MHP (Parti d’action nationaliste) et le BDP (Parti de la paix et de la démocratie), avait proposé une motion au Parlement concernant la sécurité dans les mines. Il demandait la nomination d’une commission d’enquête sur la sécurité dans les mines de Soma. Cette motion a été rejetée par l'AKP (Parti de la justice et du développement) il y a deux semaines, ont rapporté les médias turcs.

Lors de la session parlementaire du 29 avril, le député MHP de Manisa, Erkan Akçay, avait dénoncé les accidents meurtriers qu'ont déjà connus les mines de Soma. "En 2013, 5.000 accidents du travail se sont produits dans le district de Soma, dont 90% dans les mines", a-t-il expliqué, estimant que pourtant, les soins pour les grands brûlés dans les hôpitaux de la ville laissaient à désirer. "Les ouvriers meurent en moyenne 8,5 fois plus en Turquie que dans l'Union européenne", a-t-il ajouté.

Recep Tayyip Erdoğan a déclaré  hier que la proposition du CHP au Parlement n’était qu’une tentative pour "changer l’agenda politique" qui n’avait "n’avait rien à voir avec la mine de Soma". Selon lui, les accidents du travail sont “ordinaires". "Cependant, la dimension de cet accident nous a profondément émus", a ajouté le Premier ministre.

Réactions de la communauté internationale

Les leaders politiques internationaux, tout comme certaines personnalités, ne sont pas restées silencieux devant la catastrophe, s’exprimant principalement via le réseau social Twitter. Le Conseil de Sécurité nationale des Etats-Unis a présenté ses condoléances aux familles des victimes : "nos pensées sont avec le peuple de Turquie et ceux toujours piégés", pouvait-on lire dans ce message.

"Je suis profondément choqué par l'accident catastrophique de Soma et présente mes sincères condoléances aux familles. Au Conseil de l'Europe, nous pensons à nos amis turcs aujourd'hui et nous partageons votre peine", a déclaré le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjorn Jagland.

L’Élysée a publié un communiqué exprimant "le soutien et la solidarité de la France" à la Turquie après "la tragédie" qui la touche. Le président de la République François Hollande a proposé au Premier ministre turc "de mettre à sa disposition toute assistance [nécessaire] pour porter secours aux survivants".

De même, le président israélien Shimon Peres a proposé l’aide de son pays dans une lettre au président turc Abdullah Gül. "En ces temps de tragédie, nous devons faire tout notre possible pour s’entraider et nous devons offrir à la Turquie toute l’assistance requise", a-t-il écrit. L’Agence turque chargée de la gestion des situations d'urgence (AFAD) a toutefois décliné toute aide proposée par des pays étrangers pour les recherches et le secours aux mineurs de Soma, a rapporté le Hürriyet Daily News.

Sarah Baqué (www.lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 15 mai 2014

lepetitjournal.com istanbul
Publié le 14 mai 2014, mis à jour le 28 février 2024

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