(Cet article a été publié en novembre 2017.)
A quelques pas de la Mosquée Bleue se trouve un restaurant, le Pudding Shop, dont l'enseigne affiche fièrement sa célébrité mondiale "depuis 1957". Lieu de rencontre de la génération beatnik, puis des hippies et des enfants fleurs, ce restaurant marquait le point de départ des voyageurs dans leur route vers l'Est. Lepetitjournal.com d'Istanbul a rencontré l'un des propriétaires, Adem Çolpan, afin de revenir sur l'histoire originale de ce restaurant.
Le "Lale Restaurant" (ou restaurant de la Tulipe, en turc), surnommé "Pudding Shop", était un lieu de rencontre incontournable, dès les années 1960, pour les voyageurs occidentaux en quête d'Orient. Alors pâtisserie, il est devenu le point de départ de la "route des hippies" puisqu'il était "placé au bon endroit, au bon moment", selon les mots d'un des patrons, Adem Çolpan, fils du propriétaire de l'époque.
Ouvert initialement pour une "clientèle turque" dans le quartier alors "populaire" de Sultanahmet, ce lieu attirait les voyageurs pour sa "localisation européenne", sur l'artère principale menant à Sainte Sophie et à la Mosquée Bleue. Proposant pâtisseries et desserts, ce restaurant a également profité de "l'absence d'office de tourisme et de services de transport" pour se développer.
"Les gens ne pouvaient pas prononcer "Lale"?
Les deux frères à l'origine du lieu se chargeaient d'indiquer aux touristes les endroits d'intérêt et historiques de la ville, ainsi que les informations importantes pour les voyageurs, à l'aide de pancartes murales. Le Pudding Shop est, petit à petit, devenu un centre de communication pour les globe-trotters qui pouvaient se laisser des messages sur le tableau d'affichage, à l'heure où le téléphone n'était pas si développé. Les ambassades, comme les parents inquiets, utilisaient également cette pâtisserie pour joindre les voyageurs, envoyant des lettres, collectées et épinglées sur les murs, en attente de leur destinataire.
Par la suite, la pâtisserie a développé un système de transport international illégal, par la vente de billets de bus pour les voyageurs d'Europe et des Etats-Unis voulant se rendre en Inde ou au Népal. "Les soldats américains qui ne voulaient faire la guerre au Vietnam ont fui leur pays et ont ouvert la route des hippies? Le reste du monde occidental a suivi", explique Adem Çolpan.
Mais pourquoi ce nom, Pudding Shop ? "Les gens ne pouvaient pas prononcer "Lale" et la pâtisserie était la seule vendant des gâteaux dans le coin, d'où le surnom de Pudding Shop", raconte Adem Çolpan, jamais à court d'anecdotes. "Dans les années 1970, un groupe de 15 personnes a voulu embarquer pour l'Inde, mais il n'y avait plus que 14 places disponibles dans le bus et ils ne voulaient pas être séparés" se souvient-il. "Nous leur avons alors donné une petite chaise pour faire le trajet, qui est ensuite revenue d'Inde jusqu'ici !"
Adem et Faruk Çolpan, les deux cousins propriétaires (photo NB)
Dans les années 80, la pâtisserie s'est reconvertie en restaurant, car "les gens ne pouvaient pas manger tout le temps des desserts, ils devaient aussi se restaurer", explique encore Adem Çolpan.
"Il avait rencontré sa femme ici il y a 20 ans"
De cette histoire riche, reste le tableau d'affichage des voyageurs, encore en usage, bien que moins indispensable qu'autrefois. Des photos du restaurant à l'époque agrémentent les murs, lorsqu'ils ne sont pas recouverts de larges miroirs. Des coupures de presse ainsi que des clichés de visiteurs célèbres viennent également décorer le lieu. Le Pudding Shop, pâtisserie ou restaurant, a accueilli des personnalités telles que l'ancien président Bill Clinton, le chercheur français Olivier Roy, le ministre allemand Joschka Fischer, mais aussi l'écrivain turc Orhan Pamuk ainsi que de nombreux artistes et musiciens turcs. Les nostalgiques reviennent également à intervalle régulier dans ce restaurant. "Il y a seulement deux heures, une voyageuse de 1986 est revenue au restaurant", commente Adem Çolpan.
Qui livre une dernière anecdote : "Un jour, un père, sa fille et son fils étaient assis à une table avec un air triste" se souvient-il. "Je pensais qu'ils n'appréciaient pas la nourriture? En réalité, l'homme avait rencontré sa femme ici il y a 20 ans. Ils avaient eu deux enfants ensemble. Il l'a perdue à cause d'un cancer et il venait à Istanbul pour disperser ses cendres dans le Bosphore. Un triste mais fort souvenir" confie-t-il. Adem Çolpan envisage désormais de réunir ces souvenirs dans un livre.