

A l'occasion du tricentenaire de sa naissance, Jean-Jacques Rousseau sera à l'honneur cette année à travers le monde?et à Istanbul aussi. Sur tout le mois de mai, le lycée Notre Dame de Sion propose différents évènements autour du thème " Rousseau et la Turquie "
Le projet " Rousseau et la Turquie " vise à mettre en lumière les liens qu'entretenait Rousseau avec la Turquie et les traces que son ?uvre a laissé dans le pays. Une exposition au lycée Notre Dame de Sion proposera une présentation de la vie et de l'?uvre de Rousseau mais aussi les liens spécifiques qui l'unissent à la Turquie. Un colloque international de trois jours reviendra en détails sur l'influence de la Turquie sur Rousseau. Des concerts seront également donnés pour présenter un visage plus méconnu de Rousseau, celui de musicien et compositeur. Enfin des courts-métrages seront projetés, montrant que la pensée du philosophe est toujours d'actualité.
Rencontre avec Martin Stern, à l'initiative de ce projet
Martin Stern, sur la terrasse de l'hôtel Anemon lors de la conférence de presse (photo MA)
Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous vous présenter ?
Martin Stern : Je suis professeur de philosophie. J'ai enseigné six ans au Lycée et à l'Université de Galatasaray. J'ai fait ma thèse de philosophie sur Rousseau musicien et philosophe, thèse dont mon livre est issu. Je suis également musicien depuis longtemps et actuellement directeur de l'Ecole francophone de musique d'Istanbul. Depuis deux ans, je travaille à Notre Dame de Sion comme responsable des projets culturels liés à l'international.
Comment est venue l'idée de ce projet " Rousseau et la Turquie " ?
En travaillant sur Rousseau, je me suis aperçu qu'il y avait des liens intellectuels et familiaux avec la Turquie. J'avais lu dans des livres d'histoire que Rousseau, Montesquieu ou Auguste Comte étaient des figures intellectuelles européennes qui avaient énormément influencé les fondateurs de la République turque, et en particulier Mustafa Kemal. Je me suis donc dit qu'il y avait matière à créer un évènement de cette ampleur à Istanbul.
De quelle façon Rousseau et son ?uvre ont influencé Mustafa Kemal ?
Je crois que Mustafa Kemal a été très impressionné par le Contrat social de Rousseau. Cet ouvrage et L'Esprit des lois de Montesquieu constituent ses deux grandes sources d'inspiration issues des Lumières françaises. Le Contrat social de Rousseau est une ?uvre théorique, elle n'a pas été conçue pour être appliquée dans tel ou tel pays. Mais Mustafa Kemal s'en est inspiré, en particulier sur la question de la souveraineté du peuple. La définition rousseauiste de la souveraineté du peuple était révolutionnaire à l'époque et constitue l'un des piliers théoriques de la réflexion sur la démocratie moderne.
Il y a un visage de Rousseau que l'on connait moins bien, celui du musicien. Pouvez-vous nous parler de cet aspect ?
La musique est la grande passion de la vie de Rousseau. Il écrit même que c'est la seule chose qu'il a pratiqué et aimé durant toute sa vie. Ce qui est intéressant est qu'il a à la fois un parcours de musicien, de compositeur, de théoricien et de philosophe de la musique. Jusqu'à ses 40 ans, Rousseau n'avait qu'une idée en tête : réussir sur la scène parisienne. Il y est parvenu avec Le devin du village. Mais ses autres ?uvres n'ont pas eu le même succès. Parallèlement, il a développé toute une activité théorique autour de la musique. Cela a commencé par l'invention d'un nouveau système d'écriture de la musique, par chiffres, qu'il a soutenu à l'Académie des sciences. Il est aussi l'auteur des articles sur la musique dans l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert, ce que beaucoup de gens ne savent pas. A la suite de ça, très curieusement, il s'est mis à écrire contre la musique française et de manière assez violente ; en particulier dans un texte appelé Lettre sur la musique française. Il y déclare que les Français n'ont pas de musique et ne peuvent pas en avoir. Il a développé une réflexion qui débouche sur une véritable philosophie de la musique et des langues qu'il élabore au fur et à mesure et dont on trouve de larges extraits dans son Dictionnaire de musique et dans un autre texte qui s'appelle Essai sur l'origine de langues. Cette philosophie de la musique et des langues prend le contre-pied de la pensée classique française. La musique était sa grande passion, mais en même temps il n'a jamais pu en finir avec elle. Elle lui a toujours posé problème, aux niveaux théorique et philosophique et son rapport à la musique est extrêmement perturbé. Par exemple, il a écrit contre la musique française mais lui-même n'a composé que de la musique française.

Aujourd'hui en Turquie de quelle façon l'?uvre de Rousseau est-elle présente ?
L'?uvre de Rousseau dans sa diversité reste assez méconnue en Turquie. Ce sont ses ?uvres politiques qui sont les plus connues : le Contrat social et le traité pédagogique Emile ou De l'éducation. Ces deux textes se sont introduits en Turquie à partir de la moitié du 19ème siècle. Mais l'?uvre musicale n'est absolument pas connue. Le devin du village, qui a été joué à travers toute l'Europe, ne l'a jamais été en Turquie. Le 10 mai ce sera donc une première. L'?uvre littéraire est un peu connue, mais n'est pas traduite dans sa totalité. Donc pour les Turcs, il y a encore beaucoup de travail à faire sur Rousseau. Pas seulement pour les Turcs d'ailleurs. On pourrait dire la même chose pour tout le monde, tellement cette ?uvre est inépuisable. Il faut savoir que c'est sur Rousseau qu'il y a le plus d'articles publiés dans le monde chaque année. C'est l'auteur qui fait couler le plus d'encre, encore aujourd'hui.
Propos recueillis par Margaux Agnès (www.lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 3 mai 2012
Le livre de Martin Stern - Jean-Jacques Rousseau, la conversion d'un musicien philosophe - a été publié cette année aux éditions Honoré Champion (Paris) et Slatkine (Genève)
Retrouvez le programme complet de l'évènement " Rousseau et la Turquie " en cliquant ici.





































