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ARCHEOLOGIE – Quand la Turquie réclame ses trésors volés

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 28 mars 2017

Ce lundi, le ministre turc de la Culture et du Tourisme a annoncé le retour prochain d'un sarcophage découvert dans la cité antique de Pergé (province d'Antalya) dans les années 1960, exporté illégalement en Suisse. L'affaire est loin d'être exceptionnelle. Le British Museum de Londres, le MET de New York, le Louvre à Paris et bien d'autres? Depuis des années, Ankara réclame à de grands musées occidentaux des centaines d'?uvres d'art et autres antiquités acquises aux siècles passés, souvent lors du pillage de sites archéologiques. Les autorités turques appliquent la même intransigeance à l'égard de touristes soupçonnés d'emmener des vestiges dans leurs valises.

Un jour de novembre 2010, le bijoutier Adil Birsen reçoit dans sa boutique, à deux pas de Sainte-Sophie, une touriste américaine. La femme, très âgée, lui demande une chaise, mais au lieu de s'intéresser aux bagues et aux colliers : ?D'un coup, elle se met à pleurer ! raconte le commerçant. En suffoquant, elle m'explique qu'en 1955, elle et son mari sont venus à Istanbul. A l'époque, Sainte-Sophie était en travaux. D'après ses dires, pendant qu'ils visitaient l'édifice, l'un des ouvriers lui a tendu 11 carrés de mosaïque en lui disant : ?cadeau?. Les années ont passé et le couple n'est pas revenu à Istanbul. ?Depuis ce jour?, m'a-t-elle dit, ?je ne suis pas en paix avec ma conscience, car ces mosaïques appartiennent à un patrimoine historique.? Sur ce, elle m'a demandé d'aller les rendre à sa place.?

Le Louvre est concerné

L'anecdote a fait beaucoup de bruit en Turquie. Le directeur du musée Sainte-Sophie a remercié la touriste américaine et en a profité pour décocher une flèche en direction, non pas des Etats-Unis? mais de France. ?Si seulement les responsables du musée du Louvre pouvaient faire preuve à notre égard de la même politesse?, a-t-il déclaré en substance.

Depuis des années, la Turquie réclame au musée parisien la restitution d'un panneau de faïences daté du 16ème siècle (photo AA). Albert Sorlin-Dorigny, collectionneur français qui travaillait à la restauration de Sainte-Sophie à la fin des années 1880, aurait subtilisé ces faïences au nez et à la barbe du sultan, avant de les vendre au Louvre. L'épisode pourrait inspirer les scénaristes d'Hollywood, plaisante Ömer Erbil, un journaliste turc qui a remonté la trace des faïences : ?A l'issue des travaux de restauration, qui durent quatre ans, les autorités ottomanes sont satisfaites du résultat et rémunèrent Dorigny. Il faudra attendre plus d'un siècle pour que la Turquie découvre enfin ce que Dorigny a manigancé pendant ces quatre ans ! En réalité, il a fait reproduire à l'identique les faïences dans un atelier de porcelaine réputé, situé sur les bords de la Seine. Puis, il a remplacé les faïences originales par ces contrefaçons et a affrété un bateau pour ramener les vraies faïences en France !?

Du grand musée au simple touriste

Les 11 fragments de mosaïque de la touriste américaine sont anecdotiques à côté des milliers d'?uvres qui ont quitté leur terre natale, l'actuelle Turquie, au fil des siècles. Du Trésor de Troie, conservé au Musée Pouchkine de Moscou, au Grand autel de Pergame, exposé à Berlin, en passant par le MET de New York, le British Museum ou le Louvre, la Turquie accuse les plus grands musées du monde de détenir dans leur inventaire des ?uvres acquises illégalement. Et en réclame la restitution avec une intransigeance nouvelle. ?Au début de ma carrière, dans les années 90, j'écrivais des articles sur l'état lamentable des dépôts de nos musées ou sur les sites antiques transformés en décharges à ciel ouvert. La situation actuelle n'a absolument rien à voir, souligne le journaliste Ömer Erbil, spécialiste du sujet. La Turquie est de plus en plus puissante et le fait savoir. Fini l'époque où le premier venu pouvait tranquillement nous voler un morceau de statue antique et le ramener dans son pays. »

Du plus grand musée au simple touriste, la Turquie n'hésite plus à sévir. Pour obtenir satisfaction, ses dirigeants vont jusqu'à recourir au chantage. En cas de litige, le pays refuse de prêter ses ?uvres aux musées qui les demandent, quitte à risquer l'annulation d'expositions prévues de longue date.

Pour convaincre l'Allemagne de retourner le Sphinx d'Hattusha, exposé au musée de Pergame, le ministère de la Culture a menacé de retirer aux archéologues allemands leurs permis de fouilles en Turquie. L'ultimatum a fonctionné et le Sphinx est rentré en grande pompe, sous l'?il des caméras de télévision, de même que ?L'Héraclès fatigué" conservé pendant des années à Boston.. ?La Turquie a toute légitimité à réclamer des ?uvres sorties illégalement de son territoire?, estime l'archéologue Nezih Basgelen, directeur de publication d'une revue spécialisée. Mais il critique la méthode : ?Pénaliser, par le chantage, le travail de confrères étrangers qui n'ont rien à voir avec ces histoires, c'est autre chose. Il me semble même que sur la scène internationale, ces méthodes portent atteinte à la légitimité dont la Turquie veut se prévaloir dans ce genre d'affaires.?

Anne Andlauer (http://lepetitjournal.com/istanbul) mardi 28 mars 2017 / REDIFFUSION

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Publié le 27 mars 2017, mis à jour le 28 mars 2017

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