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Coupures Internet et maintien de l'ordre public en Inde

Lors de vacances à Jaipur, un groupe d'amis a été surpris par les problèmes d'accès à Internet et les difficultés rencontrées pour organiser les activités quotidiennes. Cela m'a amenée à me poser la question : dans quelle mesure cet incident est-il courant ? En réalité, à l’échelle mondiale, l’Inde est le premier pays à imposer des coupures Internet, mais elle n’est pas le seul. L'année dernière, les gouvernements de 35 pays dans le monde ont restreint l'accès à Internet. L'Inde a été à l'origine d'environ 58 % de toutes les coupures.

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Photo : Donald Trung, CC
Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 5 février 2024, mis à jour le 29 avril 2024

Ces dernières années, la coupure Internet a été utilisée dans divers contextes, que ce soit lors de manifestations, d'élections, d'émeutes, de conflits, d'examens scolaires, voire même de processions religieuses. Elle a été employée à titre préventif, avant qu'un événement ne se produise, ou après un événement, pour éviter qu'il ne dégénère en troubles communautaires majeurs. En règle générale, elle est utilisée comme méthode de maintien de l'ordre public.

La raison la plus fréquemment invoquée par les autorités pour justifier la coupure Internet est la prévention des tensions communautaires, comme récemment à Manipur. Quelles sont les règles régissant le recours à cette mesure ? Comment déposer une plainte ? Est-ce devenu une mesure de facto qui sera utilisée à l'avenir par défaut ?
 

Coupure d'Internet et protection de l'ordre public, le cas du Jammu-et-Cachemire

La coupure Internet au Jammu-et-Cachemire allait devenir un événement marquant. Dans cet État, l’interruption d’Internet a débuté le 5 août 2019 et le service mobile 4G n’a été rétabli qu’en 2020. Cette coupure, d'une durée totale de 552 jours, est devenue la plus longue enregistrée au monde.

Cette longue coupure a été contestée par la journaliste Anuradha Bhasin, éditrice exécutive du journal Kashmir Times, qui a saisi la Cour suprême.

 

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L’affaire “Anuradha Bhasin contre l’Union indienne”

L’affaire “Anuradha Bhasin contre l’Union indienne” a marqué un tournant. Dans cette décision significative, la Cour a statué que l'interdiction d’Internet ne pouvait pas être indéfinie et a souligné que la liberté d'expression en ligne bénéficie d'une protection constitutionnelle, tout en reconnaissant qu'elle peut être restreinte au nom de la sécurité nationale.

Dans sa décision, le tribunal a déclaré qu'une suspension indéfinie des services Internet était illégale en vertu de la loi indienne et que les ordonnances de coupure d'Internet doivent satisfaire aux critères de nécessité et de proportionnalité.

La Cour a estimé que le gouvernement était néanmoins habilité à imposer une coupure complète d’Internet, mais que toute ordonnance imposant de telles restrictions devait être rendue publique et soumise à un contrôle judiciaire.

La Cour n'a pas levé les restrictions Internet. Elle a en fait ordonné au gouvernement de réexaminer les ordonnances de fermeture à la lumière des critères énoncés dans son jugement (nécessité et proportionnalité) et de lever celles qui n'étaient pas nécessaires ou qui n'avaient pas de limite temporelle.


Coupures Internet et prévention de la triche aux examens

Il est courant dans tout le pays que des sujets d’examen volés apparaissent en ligne. L’objectif, important mais plutôt banal, d’empêcher la tricherie, représente près d’un tiers de toutes les coupures d’Internet en Inde.

Ainsi, au Rajasthan en 2022, Internet a été coupé un dimanche pour 25 millions de personnes afin d'empêcher la tricherie au REET, l'examen du Rajasthan pour devenir enseignant. La même mesure a été appliquée au Bengale-Occidental avant le Madhamyk Parisksha, un examen destiné aux étudiants après la Seconde.


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Mais auparavant, entre 2018 et 2021, les gouvernements des États du Rajasthan, du Gujarat, de l'Arunachal Pradesh, de l'Assam et du Bengale-Occidental ont émis environ 15 ordonnances de suspension d'Internet, restreignant l’accès au web dans le but d'empêcher les étudiants de tricher pendant les examens.

De nombreux districts utilisent des brouilleurs Internet à proximité des écoles et des centres d'examen, mais certains États ont opté pour l'option plus extrême de bloquer complètement Internet dans certaines zones.

 

Deux Indiens regardant leur smartphone et un lisant un journal papier. Photo : Adam Cohn (CC)
Photo : Adam Cohn (CC)

 

Position de la Cour suprême de l'Inde sur la coupure Internet pour empêcher la tricherie

En réponse à ces fréquentes ordonnances de coupure d'Internet en période d’examen, l’organisation Software Freedom Law Center a déposé une requête contestant l'imposition arbitraire de telles coupures et sa constitutionnalité en vertu de l'article 32 de la Constitution, qui garantit le droit à des recours constitutionnels.

La Cour suprême a demandé au ministère de l'Électronique et des Technologies de l'information (MEITy) de fournir une réponse, en précisant s'il existe un protocole standard pour la coupure d'Internet pendant les examens. Et, en cas d’existence d’un protocole, elle a également exigé des détails sur la manière dont il a été respecté et mis en œuvre.

Le ministère a été contraint de déposer sa réponse dans les trois semaines à compter du 9 septembre 2022 et l’audience a été fixée au 14 octobre 2022.

À ce jour, l'affaire demeure en attente devant la Cour suprême de l'Inde.

 

Impact des coupures d'Internet en Inde

La principale préoccupation concernant les coupures d’Internet réside dans le fait que la vie contemporaine dépend largement de cet outil.

Dans un pays comme l’Inde, où une part importante de l’économie est informelle, il est difficile de mesurer l’impact de ces mesures, et jusqu’à présent, aucune étude n'a été réalisée pour évaluer les conséquences économiques, humanitaires, sociales et psychologiques significatives sur les familles et les individus.

Une coupure d'Internet empêche ceux qui suivent des cours en ligne de continuer leur apprentissage, perturbe les transactions bancaires et la réception des formulaires de paiement des clients, provoque des dépassements de délais d’envoi de documents, rend difficile la prise de rendez-vous médicaux. Et bien sûr, rend impossible la communication par courrier électronique ou WhatsApp, ce qui paralyse des vies et des moyens de subsistance.

 

Un paiment dans un marché via Internet. Photo : PayTM
Photo : PayTM


En fin de compte, ces coupures rendent la vie très difficile, car les citoyens se trouvent dans l’incapacité de travailler et de mener à bien les tâches quotidiennes. Une prise en compte appropriée de la nécessité et de la proportionnalité est donc une nécessité réelle, comme l'a clairement souligné la Cour suprême de l'Inde.

 

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